En quoi l’École est-elle interpellée par les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes ?
Ces faits ont suscité une grande émotion dans le pays et les élèves attendaient certainement d’en parler avec les enseignants. D’autre part ces attentats posent de manière très violente la question de la liberté d’expression et des retombées en France d’événements internationaux.
Comment comprendre, chez certains élèves, le refus de la minute de silence et/ou des débats ?
Il exprime la diversité des réactions dans l’ensemble de la société, qui n’est pas unanime sur ces événements. Le slogan «Je suis Charlie», répété en boucle dans les médias, n’est pas partagé par tous et une multitude d’opinions s’expriment dans tous les médias.
Il n’est pas étonnant que des réactions de défiance ou d’opposition aient eu lieu à l’École, d’autant plus que la minute de silence a été organisée à chaud, sans préparation a minima, le lendemain du premier attentat, alors que
médias, dirigeants politiques, enseignants et élèves étaient en plein choc émotionnel.
D’ailleurs, les remontées d’incidents ont été relativement peu nombreuses par rapport au nombre d’établissements scolaires et aucune n’a fait état de propos antimusulmans, ce qui parait curieux. D’autre part, une minute de silence est un moment de recueillement collectif qui implique que les participants adhèrent à l’émotion commune et savent ce qu’ils font. Or elle a été imposée à des élèves dont beaucoup ne connaissent ni Charlie Hebdo ni les caricaturistes assassinés, n’ont aucune idée de la distinction entre blasphème et injure et n’ont pas saisi la portée symbolique de l’évènement. Certains d’entre eux
grandissent dans des quartiers où l’on cherche vainement le début d’une application des valeurs de la République, y compris à l’École. Les enquêtes internationales montrent qu’en France, plus le milieu de l’élève est défavorisé,
moins il a de chances de réussir sa scolarité.
Quelles réponses l’École peut-elle apporter ?
Certainement pas des réponses systématiques de type disciplinaire (sanctions, conseil de discipline…). On ne peut pas traiter les prises de position d’adolescents comme celles d’adultes, à moins de leur attribuer la même
maturité et partant, les mêmes droits. L’École est un lieu d’apprentissage, où les élèves doivent pouvoir questionner, demander des éclaircissements, émettre des opinions différentes de celles des enseignants et des autres professionnels, qui ne sont d’ailleurs pas unanimes sur l’analyse de l’actualité et manquent cruellement de formation pour échanger avec les élèves. La citoyenneté et la laïcité doivent être illustrées au quotidien par l’équité entre
les élèves, le soutien à ceux qui sont le plus en difficulté, l’organisation de la vie démocratique dans les établissements scolaires… tous points qui restent en chantier (avec de valeureuses exceptions bien sûr). Il faut absolument sortir de la logique binaire «les bons et les méchants», sinon on risque de voir une inversion des valeurs justement : les bons des uns sont les méchants des autres ! Mieux vaut aussi attendre que la tension retombe pour aborder le fond des choses : quelques mots le jour même peuvent suffire, chaque élève
se forgeant son avis au cours des jours qui suivent le drame. Quand l’émotion est retombée, les enseignants qui s’y sentent prêts peuvent, dans le cadre d’un travail en équipe, poursuivre un travail de fond avec les élèves. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait certains avec un réel travail pédagogique à la clé. Ce que l’école peut apporter, c’est un approfondissement de la pensée, une meilleure capacité à comprendre l’actualité et non pas l’imposition d’une doxa dominante, qui serait le contraire de l’apprentissage de la citoyenneté.
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