In Se-Unsa – le 4 mars 2013 :
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A l’occasion de la journée des droits des femmes le 8 mars, le SE-Unsa a souhaité interroger la Ministre responsable de ce dossier pour avoir son éclairage sur cette célébration. Najat Vallaud-Belkacem a accepté de répondre aux questions d’Eric Pédeboscq, secrétaire national en charge des questions de société et de laïcité au SE-Unsa.
C’est bientôt le 8 mars, journée dont on ne sait plus trop si c’est la « journée de la femme » ou celle de « lutte pour les droits des femmes ». Cette journée, a-t-elle encore une utilité aujourd’hui ?
Le 8 mars est la journée internationale des droits des femmes. Issue de la Conférence internationale des femmes socialistes réunie en 1910, l’initiative est liée à la revendication de citoyenneté politique des femmes. En France, c’est en 1982 que le Gouvernement, avec Yvette ROUDY au ministère chargé des Droits de la femme, a décidé de célébrer officiellement cette journée.
Depuis, la situation des femmes a beaucoup évolué, et le sens de cette journée aussi, naturellement. Pour moi, c’est l’occasion de rappeler que les droits des femmes ont avancé grâce aux mobilisations collectives, et à l’engagement des pouvoirs publics : rien n’est dû au hasard. L’histoire est importante, et cette date constitue un moment pour prendre du recul, et constater que nous sommes encore loin de l’égalité. Qu’il s’agisse des différences de salaires, de la répartition des tâches domestiques ou des violences sexuelles, les femmes subissent encore aujourd’hui des inégalités inacceptables. Le 8 mars est donc une occasion forte de le rappeler au plus grand nombre, mais aussi de réaffirmer tous ensemble que l’égalité femmes – hommes est une condition indispensable pour faire progresser la société d’aujourd’hui. Je veux donc à cette occasion mettre en valeur les initiatives, grandes ou petites, issues des administrations, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux ou des associations qui plaident et font avancer la cause des femmes. Je veux mobiliser toute la société pour que le 8 mars, ce soit toute l’année.
Y-a-t-il encore des droits qui, au 21ème siècle, restent à conforter ou à conquérir ? Autrement dit, ce combat pour les droits des femmes reste-t-il d’actualité ?
Bien sûr, mais l’interrogation est légitime. Lors du Comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes du 30 novembre dernier, nous avons établi le constat que, depuis près de 40 ans, beaucoup de textes prescrivant l’égalité ont été pris, dans tous les domaines. Mais trop peu ont été effectifs, et sont parvenus à créer les conditions d’une égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Le combat des féministes nous a permis au siècle dernier de conquérir, après la guerre, les droits civils et politiques. C’était la première génération des droits des femmes. Puis la seconde génération a été le temps des droits économiques et sociaux, comme l’égalité professionnelle inscrite dans le code du travail en 1972, et celui des droits spécifiques pour l’autonomie et le droit des femmes à disposer de leur corps, avec la contraception et l’IVG.
Notre combat aujourd’hui, c’est celui de la troisième génération des droits des femmes qui doit être le temps de la construction d’une société de l’égalité réelle dans laquelle les droits acquis trouvent un écho dans la vie quotidienne des femmes. C’est le passage au réel ainsi que le changement des mentalités qu’il nous revient de mettre en œuvre.
Cela suppose évidemment de nouveaux textes, comme en matière d’institutions politiques où il faut permettre d’inscrire la parité dans la pratique de nos institutions.
Cela implique surtout une action forte pour rendre les droits effectifs. En matière d’égalité professionnelle par exemple, nous avons décidé avec les partenaires sociaux et les régions lors de la grande conférence sociale de juillet 2012, de conduire des expérimentations sur des territoires d’excellence. 8 régions métropolitaines sont partie prenantes de cette aventure, et La Réunion devrait nous rejoindre. Concrètement, nous mettons en place des programmes pour nous assurer de l’effectivité des textes prescrivant l’égalité, mais pas uniquement sous forme de contrôles – même si c’est nécessaire – mais aussi sous forme d’accompagnement vers les entreprises, les PME en particulier pour que la pratique de l’égalité se développe.
Et puis, cette troisième génération des droits des femmes nous conduit à nous attaquer à un angle mort des politiques conduites pour les droits des femmes jusqu’à présent : je veux parler des stéréotypes sexistes qui sont véhiculés par la société et souvent reproduits par l’école, le milieu professionnel, dans la culture ou les médias, et qui sont des vecteurs puissants des inégalités, souvent invisibles.
La société de l’égalité réelle que nous voulons porter avec l’ensemble du Gouvernement est une société dans laquelle les femmes et les hommes peuvent construire une vie personnelle, professionnelle, sociale ou citoyenne avec les mêmes chances de réussir.
L’un des espaces où, au-delà des discours, les changements ont du mal à s’imposer, c’est la sphère domestique, la double journée à laquelle les femmes restent toujours astreintes. Comment peut-on agir, par des politiques publiques, dans un lieu qui reste nécessairement très intime ?
C’est très juste. L’Insee évalue à 60 milliards le nombre d’heures de « travail domestique » qui ont été réalisées en France en 2010, dont 2/3 effectuées par les femmes. Malgré la présence massive des femmes sur le marché du travail, les mères consacrent encore 2/3 de leur temps de travail à des tâches domestiques, lesquelles sont invisibles dans les indicateurs économiques. Ces chiffres manifestent la persistance des inégalités entre femmes et hommes. Et ces inégalités ne se résorbent pas. En 25 ans, le temps de travail domestique des hommes n’a augmenté que de 6 minutes !
Agir sur le partage des tâches, c’est forcément agir sur les mentalités, combattre le sexisme ordinaire non pas en culpabilisant les uns ou les autres, mais en illustrant les conséquences concrètes de ces réflexes sexistes, ou "inégalités d’habitude", dans le monde du travail, dans l’organisation de la vie sociale.
On évoque le difficile changement de mentalités comme étant l’un des freins majeurs à l’égalité femmes/hommes. Comment peut-on, sauf à attendre longtemps, agir sur les représentations des uns et des autres ?
Il doit s’agir d’une action globale et transversale qui nous touche tous. C’est pour cela que nous agissons dans le champ professionnel, mais aussi dans les champs de l’école, des médias, du sport, de la vie culturelle ou politique. En une génération, on peut changer beaucoup de choses.
On agit par les messages de sensibilisation et d’information, bien sûr. Mais on agit aussi sur les représentations : c’est le développement de la place du sport féminin dans les médias ; c’est la promotion de femmes à des postes à responsabilité pour diriger des administrations, des fédérations sportives, des entreprises, des institutions culturelles ; c’est aussi l’inscription de la parité comme une règle de fonctionnement de nos institutions, comme cette semaine avec la nomination de trois femmes au Conseil constitutionnel.
On le sait, l’Ecole renforce parfois les stéréotypes (mixité des filières, orientation, manuels scolaires…). Dans l’acte d’enseigner même, on peut, sans en avoir conscience, conforter les représentations des uns et des autres. Pensez-vous que l’Ecole, et les enseignants, ont une place à prendre dans la lutte contre les stéréotypes ?
Le rôle de l’éducation est prépondérant. J’étais la semaine dernière à Orléans, et j’ai vu successivement dans un lycée d’enseignement général et technologique, puis dans un lycée professionnel, comment les équipes de direction, les équipes enseignantes pouvaient prendre leur part, au quotidien, par de petits gestes, à la construction de rapports plus égalitaires entre les sexes.
L’école doit s’organiser et agir pour ne pas alimenter malgré elle les stéréotypes sexistes. Les manières d’interroger, de donner la parole, de noter, de sanctionner et évidemment d’orienter, révèlent des représentations profondément ancrées sur les compétences supposées des unes et des autres. Ces pratiques, le plus souvent involontaires, ont des conséquences significatives sur les parcours scolaires, puis professionnels des jeunes.
Avec Vincent PEILLON, nous avons décidé de prendre le sujet à bras le corps, par la formation des enseignants et des personnels de direction, d’inspection ou d’orientation mais aussi par la mise en place de programmes pour apprendre l’égalité dès le plus jeune âge, pour inscrire l’égalité dans l’enseignement moral et civique.
C’est une action globale qui concerne les trois niveaux, écoles, collèges et lycées et que nous avons voulu décliner au travers de deux actions. D’abord, le renouvellement de la convention interministérielle pour l’égalité filles-garçons et femmes-hommes dans le système éducatif qui avait été laissée à l’abandon par nos prédécesseurs. La convention 2013-2018 a été publiée jeudi 8 février, et les actions qu’elle prévoit seront déclinées annuellement autour de 3 priorités :
1. Acquérir et transmettre une culture de l’égalité entre les sexes ;
2. Renforcer l’éducation au respect mutuel et à l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes ;
3. S’engager pour une mixité plus forte des filières de formation et à tous les niveaux d’étude.
Localement, cette convention se déclinera dans les prochaines semaines dans toutes les académies sous forme d’actions pédagogiques, de formation ou d’éducation. Pour une mise en œuvre efficace, les réseaux de l’éducation nationale travailleront étroitement avec ceux des ministères des droits des femmes et de l’agriculture.
Avec Vincent Peillon, nous avons voulu que 2013 soit une année de mobilisation, impliquant enseignants, recteurs, parents d’élèves, syndicats, pour que l’égalité filles-garçons devienne une réalité concrète dans les écoles et établissements scolaires. Cette année de mobilisation sera faite de mesures tangibles, je pense au lancement de l’expérimentation du Programme « ABCD de l’égalité » que nous mettrons en place à la rentrée dans 5 à 10 académies et qui concernera les enseignants et élèves de la maternelle au CM2. Je viens d’ailleurs de rendre visite à Nicole ABAR, qui, à Toulouse, expérimente avec succès ce programme. Je pense aussi à la formation à l’égalité que nous inscrirons dans le référentiel des enseignants, et qui doit se retrouver dans les formations dispensées par les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
Cette année de mobilisation est enfin l’occasion de relancer des chantiers importants, comme la mixité dans l’orientation, l’éducation à la sexualité, la lutte contre les violences sexistes à l’école pour lesquels les établissements scolaires mais aussi plusieurs partenaires comme les associations ou les collectivités sont impliqués.
Enfin, cette année de mobilisation sera l’occasion d’impliquer les jeunes eux-mêmes. Je signerai avec le Président de l’Agence du service civique et avec Valérie Fourneyron une convention pour permettre à 1000 jeunes en service civique d’aider des associations qui luttent contre les stéréotypes, les discriminations et les violences sexistes, en soutien des enseignants dans les établissements scolaires.
Les organisations syndicales portent souvent des aspirations fortes à l’émancipation et à l’Egalité. Pourtant, les revendications mises en avant, les pratiques intègrent rarement la notion du genre. Et les femmes semblent s’investir comparativement moins que les hommes dans le militantisme syndical. On peut agir là-dessus ?
Comme toute instance représentative, les syndicats ont un rôle considérable pour faire évoluer les mentalités, pour inscrire ce sujet dans l’agenda, pour faire connaitre et dénoncer les inégalités entre les femmes et les hommes. Je crois beaucoup au travail des syndicats en matière de lutte contre les violences au travail, comme pour le harcèlement sexuel contre lequel le Gouvernement s’est fortement investi en faisant voter une loi plus protectrice pour les femmes.
Les syndicats ont un rôle très complémentaire des pouvoirs publics et c’est pour cela que, dès la grande conférence sociale de juillet 2012, le Gouvernement a souhaité inscrire l’égalité professionnelle à l’agenda social. Depuis, deux négociations sont conduites : l’une dans la fonction publique qui s’achève, l’autre dans le secteur privé qui doit se finaliser pour le 8 mars prochain.