Un inspecteur général me disait récemment avoir constaté au cours des nombreuses visites effectuées dans les établissements que le premier facteur facilitant le développement du numérique éducatif c’était bien la personnalité du chef d’établissement.
Certes, d’autres facteurs interviennent bien sûr, et ils ne sont pas des moindres, comme les infrastructures ou la stabilité du corps enseignant, et surtout la présence d’un ou plusieurs professeurs motivés, innovants et il faut le dire un peu geek, qui permettent de faciliter la tâche en jouant un rôle d’entrainement.
Les personnels de direction sont encore peu nombreux à s’être investi dans le champ du numérique éducatif, mais cela change et particulièrement avec les nouveaux cadres qui ne sont pas insensibles aux attentes des élèves et de l’institution et participent aux formations mises en ligne par l’ESENESR.
Il faut dire qu’ils se heurtent souvent à de sérieuses difficultés avec certains ENT qui loin d’être opérationnels ne sont pas interopérables en particulier avec les outils de vie scolaire du marché qu’ils utilisent depuis longtemps et dont ils sont satisfaits : gestion des notes et des absences, emplois du temps…Il faut reconnaître, et j’ai pu l’expérimenter dans mes fonctions de proviseur, que les entreprises qui les ont mis au point ont su dans une démarche XDesign tenir compte de l’avis des utilisateurs pour faire évoluer leurs outils devenus in fine très professionnels.
Ils se heurtent aussi parfois à des infrastructures insuffisamment performantes qui ne permettent pas véritablement un changement d’échelle dans l’usage du numérique par les enseignants : bande passante insuffisante en particulier dans l’enseignement technique qui utilise des applications gourmandes, architecture des salles et des locaux, stratégie d’investissement relevant plutôt d’une politique de l’offre.
Enfin, les modalités d’organisation des examens, particulièrement les baccalauréats, ne constituent pas des stimulants pour la mise en œuvre en classe des méthodes pédagogiques que le numérique permet.
En bons cadres du système ils se lancent et accompagnent les équipes pédagogiques. Mais ils interrogent aussi les institutions et par-delà les politiques pour que les changements attendus et préconisés tiennent véritablement compte de la réalité du terrain.
Comme pour les Inspecteurs, mais également les enseignants voire les cadres des rectorats ou du ministère il est des personnels de direction qui depuis longtemps s’investissent dans le numérique éducatif et innovent car ils y ont vu les outils pour faire mieux réussir leurs élèves, pour dynamiser et valoriser le travail des équipes pédagogiques, pour créer de l’intelligence collective par un nouveau mode de gouvernance.
Dominique TESORIERE est certainement de ceux-là !
Principal du Collège Belle de Mai dans le 3e arrondissement de Marseille, son établissement cumule de vrais handicaps structuraux : construit au cœur du quartier le plus pauvre d’Europe, Zone violence, Zone de sécurité prioritaire, programme Eclair ! Il est toutefois devenu le premier collège connecté de l’Académie.
Il suffit d’entendre ce chef d’établissement volontaire, engagé et somme toute profondément humain et attachant pour comprendre comment l’investissement des équipes pédagogiques et d’éducation sur le numérique éducatif participe au plaisir de travailler ensemble et constitue pour les élèves un formidable levier pour appendre à apprendre..
Dans l’interview qu’il accepte de me donner au milieu de ses élèves et de ses enseignants lors des rencontres de l’Orme à Marseille il dit avec force et simplicité : » Ma mission c’est de mettre en place des dispositifs qui permettent aux enseignants de faire progresser les élèves, de les mettre en capacité de faire réussir, afin qu’ils aient du plaisir à travailler » au collège.
La consultation du site de l’établissement révèle d’ailleurs l’investissement des équipes pédagogiques mais également de la direction de l’établissement .Un site particulièrement intéressant et qui se distingue de ceux plus traditionnels d’autres collèges du département.
On y trouve en particulier dans la rubrique intitulée « l’espace élève » la possibilité pour les jeunes voire leur famille d’accéder à un portail dévolu au« travail en autonomie » qui offre dans plusieurs disciplines, le français, le latin, les mathématiques, l’anglais …. des exercices interactifs, des outils de travail, des activités de recherche, construits par les enseignants du collège à l’intention des élèves . Mais on y trouve aussi un espace professeurs pour apprendre à rechercher, ou chacun peut découvrir les usages pédagogiques des outils numériques ou accéder à des sites d’aide à la recherche documentaire, de Presse et Médias, de ressources disciplinaires, de moteurs de recherche , voire des sites comme celui de la BNF . Il s’agit de nombreux outils mis à la disposition des enseignants pour un usage professionnel.
Il faut ici noter les efforts du département de Bouches du Rhône qui met à la disposition des collèges du département des infrastructures lourdes, le don d’un ordinateur par élèves avec Ordina13, l’accès à des ressources en ligne avec Courdecol13 .
Mais également du rectorat qui a fait le choix du projet partenarial d’ENT ouvert et libre Envole : une dizaine d’académie ont en effet décidé de coopérer et de conjuguer leurs efforts pour développer en commun un espace numérique de travail à destination des écoles et des établissements scolaires dont profitent tous les acteurs …
A cette rentrée scolaire le collège Belle de Mai accueille la « nouvelle Principale-Adjointe Mme WARZAGER, qui apporte tout son dynamisme et toute sa fraîcheur ainsi que sa compétence technique pour nous aider à naviguer dans les eaux souvent troubles de la technologie Numérique » précise Dominique TESORIERE dans le billet d’accueil du site du Collège qui « s’engage dans la 2è année du Projet « Collège connecté », année qui sera l’occasion de développer les travaux et usages liés au Numérique, pour emmener tous les élèves sur la voie d’une réussite en lien avec le Monde Moderne et le développement technologique. Dès le mois de Novembre une équipe d’élèves de 5è partira sur Paris pour faire une démonstration au Salon Démotice de l’ usage d’un outil numérique, les projets Astronomie et Environnement, ainsi que toutes les activités en lien avec la Friche Belle de Mai «
Entretien avec Dominique TESORIERE lors des Rencontres de l’Orme à Marseille
Comment faire un collège connecté ?
Dominique TESORIERE est formel : le numérique ce n’est pas simplement du THD et du matériel mis à disposition, l’outil ne suffit pas, il faut un projet d’établissement fort », c’est à dire un projet qui s’appuie sur » le travail effectivement réalisé par les équipes d’enseignants..
Son rôle ?
Je suis un » favorisateur » du travail des équipes d’enseignants dit-t-il maniant le néologisme avec un vrai plaisir.
Il résume enfin l’effet dynamique du numérique éducatif dans son collège en une équation : » numérique + pratique = intérêt des enfants « car maintenant constate-t-il, » les élèves ont besoin de cette pratique numérique ; ils sont demandeurs et les enseignants se doivent de suivre. » Des enseignants dont les qualités aujourd’hui, c’est d’ être « adaptables » ..
Alors, comment concilier la verticalité institutionnelle dans laquelle se situe le chef d’établissement et l’horizontalité nécessaire au fonctionnement pédagogique du collège ? Question délicate. » La commande venant d’en haut doit être partie prenante d’un intérêt collectif … la commande peut être forte mais il y a la réalité du terrain. «
Et les résultats ?
Certes nous n’abordons pas, dans l’entretien, les résultats des élèves, comme l’obtention du Diplôme National du Brevet – j’ai consulté cet indicateur qui s’il est moins bon que la moyenne du département, il indique que 70% des collégiens l’obtiennent et un sur trois avec mention-
Mais existe-t-il des indicateurs qui mesurent le plaisir des collégiens à venir au collège ?
Nul doute, comme le suggérait la Directrice du Numérique Pour l’Education dans l’entretien qu’elle donne pour Educavox, que l’expérience acquise par ce chef d’établissement comme d’autres comme lui, gagnerait à être mise au service de la formation initiale et continue des personnels de direction.
Crédit photo : projet 6°3 du collège « le temps qui passe »
Claude TRAN
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