Intervention de Romani Rose
Président du Conseil central des Sinti et Rroms d’Allemagne (Heidelberg),
à l’occasion du 60e anniversaire de la libération du camp d’extermination
d’Auschwitz-Birkenau, le 27 janvier 2005, sur les lieux du mémorial.
(traduction de l’allemand)
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Je tiens d’abord à remercier Monsieur le Président Kwasniewski et le gouvernement polonais de leur invitation. Je considère que cela constitue pour moi un honneur particulier en ce jour historique – en tant que représentant des minorités nationales Sinti et Rroms – que de commémorer toutes celles et ceux qui furent pourchassés et assassinés.
Auschwitz, ce nom est internationalement connu comme le symbole du Crime organisé par un Etat contre des peuples, notamment contre notre minorité présente dans l’Europe centrale et orientale occupée par les Nazis, Crime qui a fait un demi-million de victimes parmi les Sinti et Rroms.
Auschwitz a été le terrible aboutissement d’un processus d’anéantissement des droits et de déshumanisation qui a commencé avec la prise du pouvoir par le Nazisme. Déjà , dans son ordonnance fondamentale du 8 décembre 1938, Himmler mentionnait la nécessité d’une « solution finale de la question des tsiganes ».
Le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau en a été le véritable centre de mise en oeuvre. En s’appuyant sur l’ordre d’Himmler du 16 décembre 1942, des milliers de Sinti et Rroms de l’empire allemand, comme de presque tous les peuples européens occupés, ont été déportés ici. Ils ont été humiliés, martyrisés et assassinés de façon bestiale. Les rares survivants ont essayé de témoigner de l’horreur inimaginable de ce lieu. Mais il n’existe pas de mots pour exprimer ce que des êtres humains ont dû subir ici.
Pour presque tous les membres de notre minorité déportée à Auschwitz-Birkenau, il s’est agi de la dernière étape de leur persécution historique. Les 2 900 derniers survivants, essentiellement des mères avec leurs enfants, ainsi que des vieillards, ont été asphyxiés dans les chambres à gaz dans la nuit du 2 au 3 août 1944.
La majeure partie de ce Crime contre les peuples a été constituée par les expériences médicales de médecins SS, tels que Mengele, sur des Sinti et des Rroms mais aussi sur d’autres prisonniers du camp qui fut un lieu non seulement de concentration mais d’extermination par le travail. Selon les paroles de Goebbels, les « Juifs et les Tsignaes devaient de toutes façons » être anéantis .
Une grande partie des Sinti et des Rroms, qui furent assassinés ou fusillés dans les camps de concentration par les commandos SS, étaient des enfants et des jeunes. Les enfants Sinti et Rroms qui se trouvaient placés dans des internats (leurs parents ayant été déportés dans les camps de concentration) ont ainsi été recensés de façon systématique par le régime nazi et mis à la disposition de l’appareil d’extermination.
Cette idéologie de mépris pour l’être humain, liée à la barbarie d’une logique froide et bureaucratique, d’une efficacité meurtrière, a trouvé son expression la plus visible à Auschwitz et dans les autres usines de la mort nazies. Ceci échappe jusqu’à présent à toutes les comparaisons historiques. Les noms de ces lieux restent gravés de manière ineffaçable dans la mémoire collective de notre minorité et marqueront aussi la conscience de nos générations à venir.
L’ancien président de la république allemande, Roman Herzog, à l’occasion de l’inauguration de notre Centre de documentation à Heidelberg, a décrit, lors de son importante allocution historique du 16 mars 1997, l’ampleur des crimes perpétrés envers les membres de notre communauté, dans les termes suivants : « le crime commis contre les peuples Sinti et Rroms est dû à la folie raciste et l’a été dans les mêmes et uniques but et intention : la planification de la solution finale, comme dans le cas des Juifs . Ils ont été, dans la totalité de la zone d’influence nazie, systématiquement assassinés, par famille entière, du jeune enfant au vieillard ».
C’est le souhait expressément manifesté par les survivants et les organisations internationales des Rroms que cette citation soit inscrite sur le monument aux Sinti et Rroms Européens assassinés. Ce mémorial sera construit à Berlin, entre le Reichstag et la Porte de Brandebourg. Il se trouvera donc au coeur même de la ville où le Crime contre les peuples fut mis en œuvre et en gardera la mémoire pour les générations futures dans son ampleur inimaginable.
En ce jour, je tiens à exprimer aux anciens alliés, toute notre gratitude et notre reconnaissance pour avoir, au prix de grands sacrifices, libéré l’Allemagne et l’Europe de la dictature nazie. Je demande aux chefs d’Etat ici présents, aux représentants politiques, de transmettre aux anciens soldats alliés notre plus profond respect. C’est grâce à leur engagement qu’une partie des prisonniers des camps de concentration ont été libérés et ainsi sauvés d’une mort certaine.
Mesdames, Messieurs,
Auschwitz n’est pas seulement un lieu de commémoration. C’est aussi un lieu de vigilance au regard des crimes d’aujourd’hui contre l’humanité. Auschwitz est la conscience des valeurs communes des Etats démocratiques.
Il est normal que les dangers de montée de l’antisémitisme soient toujours dénoncés au niveau international. Cependant, la violence croissante des actes racistes à l’encontre des Sinti et des Rroms, la plus grande minorité d’Europe, ne trouvent pas, et de loin, l’écho nécessaire de la part des politiques et du public.
C’est pourquoi, depuis ce lieu, j’appelle les représentants des gouvernements à agir avec la même détermination à l’égard du racisme contre les Sinti et les Rroms.
Ce n’est que lorsque les Etats d’Europe assureront l’intégration de leurs minorités nationales Sinti et Rroms comme pleinement membres de leurs propres sociétés et participant de leur propre histoire, que la vision d’une « Maison Européenne » pourra devenir réalité.
Je vous remercie.