Comment analysez vous ces problématiques telles quelles sont vécues sur les terrains ?
J’ai enseigné pendant 35 ans dans une vingtaine d’universités. Je travaille depuis très longtemps dans les organisations internationales : UNESCO ou Banque Mondiale et en Europe sur l’évaluation des systèmes éducatifs. Comme j’accompagne un certain nombre de PEdT (en France et ailleurs), ce qui m’intéresse c’est l’évaluation pédagogique des apprentissages de ceux qui apprennent et dont on ne parle pas assez.
A la question « comment se fait le pilotage pédagogique ? », je comprends bien tous les troubles institutionnels, politiques évoqués…mais quand on va dans un pays …c’est dix fois pire que chez nous. !
Pour moi la question est très simple : Comment faire pour évaluer pédagogiquement un projet éducatif ?
Je vous rappelle que la visée de la Loi de Refondation c’est la réussite de ceux qui ne réussissent pas ; et vous savez très bien qu’il y a 30% d’élèves qui réussiraient même sans l’école et en plus ils deviendraient…. profs !
Par ailleurs, la réforme des rythmes scolaires n’existe pas. ! En effet sur le plan scientifique n’existent que les rythmes chrono-biologiques et les rythmes d’apprentissages. L’organisation scolaire n’est que la forme extérieure de l’approche des rythmes d’apprentissages.
Donc la question centrale est : comment peut-on faire pour évaluer un projet éducatif qu’ il soit petit grand ou moyen ? Cela vaut pour un pays ou pour une petite commune. C’est très simple : on demande aux enfants qui ont traversé le projet qu’est-ce qu’ils ont gagné de plus en éducation ? Et on ne leur demande pas de le dire mais on leur demande de le montrer… !
Évaluer en pédagogie c’est comparer des traces successives et ce n’est pas regarder les résultats qui s’apparente au contrôle. Donc évaluer c’est expliciter la qualité de la trajectoire et expliciter les possibilités de transfert. Donc quand on évalue un projet éducatif, quand on accompagne… je redis tout de suite que personne n’est habilité à évaluer à la place d’un autre si on est tout seul à prendre la décision ou à lire les indicateurs si on est tout seul à les choisir cela s’appelle du contrôle. Et quand c’est un contrôle exacerbé cela s’appelle de l’audit.
Une des raisons de la vitrification provisoire de l’Ecole c’est l’excès de contrôle. Tous les systèmes meurent d’excès de contrôle.
Vous ne contrôlez que ce qui est extérieur à la personne : ses résultats par exemple ou ses productions ; mais cela ne vous dit rien de la qualité du processus qui a permis la construction.
Par conséquent, évaluer des stratégies d’apprentissages n’est pas contrôler des résultats. Il faut donc s’y prendre autrement. C’est ce qu’essaye de faire maladroitement PISA vous savez « le grand programme international », or PISA n’évalue que des acquis. Et sur les acquis vous ne savez toujours pas si la construction des acquis est pérenne. Et vous ne savez toujours pas si la construction des acquis est finalisée dans la vie de tous les jours.
Par rapport à la question du territoire à l’UNESCO on c’est mis d’accord sur deux trois choses simples à savoir : Comme le territoire c’est l’avenir…la bonne unité de pilotage du système c’est le territoire. A un moment on avait eu la faiblesse de croire que c’était le projet d’établissement ; or les projets d’établissements ne sont pas évaluables : d’ailleurs il n’y a pas que le projet d’Ecole, il n’y a pas que le projet de collège. Il va falloir bâtir des projets d’établissements qui suivent le jeune depuis son entrée dans la scolarité obligatoire jusqu’à bac +3. Puisque le temps d’étude dans les pays riches comme les nôtres c’est 19 ans six mois ; ils en prennent pour 20 ans quand ils rentrent. C’est ainsi qu’il faut construire les projets. Les établissements scolaires ne suffiront pas puisque les dernières études montrent que un enfant de 11 ans qui a suivi une scolarité normale utilise ce qu’il a appris à l’école que dans 40% des situations qu’il rencontre dans sa vie ; 60% il le construit et il l’apprend ailleurs.
L’autre finalité des projets de territoire c’est de faire rentrer les compétences dites non formelles, les compétences dites non scolaires, les compétences dites informelles (ce qui est d’ailleurs pour nous un gros mot car la compétence existe en soi ; elle n’est ni formelle ni informelle. Je vous rappelle qu’être compétent c’est construire à partir de soi les ressources pour résoudre les problèmes qu’on va rencontrer pour exister. Donc c’est réservé à personne. Si vous êtes vivant vous êtes forcément compétent… !
Je reprends ma question, « Comment s’y prendre ? » Normalement évaluer un projet éducatif c’est dire la plus-value éducative ; ce n’est pas un gros mot ; c’est-à-dire la valeur ajoutée éducative. Or vous voyez la difficulté majeure ; c’est que pour dire la plus-value à la fin il faut la regarder au début ; sinon qu’est-ce que vous faîtes ? Vous mesurez. Je suis soi-disant un spécialiste d’évaluations ; il n’y a pas de mesures dans les évaluations. La mesure est réservée aux contrôles.
Il y a une explication du changement de la qualité ce qui n’est pas tout à fait pareil. Autrement dit on n’évalue pas un projet en demandant aux gens s’ils ont dépensé beaucoup d’argent, en demandant aux adultes s’ils ont été compétents, en demandant à ceux qui ont fait le projet à la place des enfants s’ils ont bien fait. On évalue un projet en prenant ceux qui sortent et en leur demandant ce qui leur est arrivé. Et en leur demandant ce qui leur en reste….Et j’espère qu’avec les PEdT on va y arriver.
Deuxième condition : si les enfants, par exemple, ont appris à construire leur personnalité. Au Québec on travaille avec eux. Je vous rappelle que tout le système éducatif du Québec est finalisé sur 9 capacités. 9 pas 141 et qui fonctionnent de la maternelle à Bac +2.
Structurer sa personnalité c’est dans les capacités. Si on a accompagné l’enfant pour qu’il structure une petite partie très modeste de sa personnalité ; la deuxième question va être est-ce que le dispositif mis en place était cohérent ? Est-ce que les adultes avaient les compétences ? Et on appelle cela les effets en évaluation.
Les effets, c’est-à-dire que si votre système a bien fonctionné il va bouleverser le système lui-même. Et c’est pour cela qu’on appelle pilotage cette posture qui consiste à dire « j’ai mis en place des choses ; je suis garant du sens mais je laisse les acteurs prendre le risque de faire autrement ».
Si vous contrôlez les stratégies cela s’appelle diriger.
– Quand vous dirigez vous donnez la direction vous donnez les directives ; les autres se taisent et font les programmes.
– Quand vous pilotez vous donnez la direction, le sens et vous laissez les acteurs prendre les risques pour pouvoir faire autrement au plus près des besoins des gens.
Et vous avez une troisième dimension dans l’évaluation des projets qui est ce que l’on appelle l’impact. « L’impact c’est : si le projet fonctionne bien, comment va-t-il impacter les autres systèmes ?
L’impact d’un projet éducatif c’est très simple ; c’est lorsque la personne a quitté le projet éducatif et qu’elle va devenir actrice responsable dans les autres systèmes. Appelez cela développement de la citoyenneté, appelez cela développement de l’esprit critique. Il faut un projet construit dans une logique ; on va dire du sens qui devrait commencer par les hypothèses d’impact. Or les hypothèses d’impact sont dans le projet politique.
Comment vous voulez que soient vos jeunes dans 5 à 10 ans si le projet éducatif que vous mettez en place tient la route ? Est-ce que vous êtes sûr que vous voulez qu’ils soient questionnants ? Est-ce que vous êtes sûr que vous voulez qu’ils soient confrontants ? Est-ce que vous êtes sûr qu’ils soient émancipants ? Je vous rappelle qu’émanciper en latin ça veut dire « ouvrir sa main », les lâcher… .
Faire des projets c’est prendre des risques. Si vous ne voulez pas prendre de risques, vous faites des programmes. Au moins avec un programme vous êtes sûr que vous n’en « bousillez » que 3 sur 4.
Or quand vous prenez des risques vous ne pouvez pas à la fin contrôler quelque chose puisqu’un projet échoue toujours et réussit toujours. Et cela a même plutôt tendance à réussir là où on ne l’attendait pas.
C’est pour cela que l’autre concept qu’il faut développer c’est celui d’évaluation. On voit bien à l’UNESCO tous les systèmes qui sont sur le modèle du nôtre. Je vous rappelle qu’on a colonisé une grande partie du monde ; dans tous les pays dans lesquels je vais en ce moment ce n’est pas un bon exemple parce qu’en ce moment ils s’appellent le Mali, il s’appelle la Centrafrique, il s’appelle la République du Congo ; ils sont tous dans un mauvais état. Et on n’en est pas complètement irresponsables. En tout cas quand on regarde on voit bien que tous les systèmes comme le nôtre c’est-à-dire latin, méditerranéen fondé sur la richesse des contenus on a exacerbé le contrôle. On contrôle tout. On contrôle chaque petit morceau et si jamais il manque un morceau vous savez comment ça se passe dans nos systèmes on recommence tout. ! Cela s’appelle le redoublement.
D’autres systèmes ont été bâtis différemment. Ils ont été faits pour accueillir les jeunes, pour que les jeunes puissent devenir des adultes, puissent grandir et du coup ce qui est développé c’est la prise de risque. Et cela serait bien que dans les projets éducatifs de territoires on lâche le contrôle pour développer une évaluation intelligente… Une évaluation dit Vincent PEILLON valorisante. PEILLON qui est agrégé en Grammaire et qui connaît bien la langue française : évaluation valorisante c’est un pléonasme ! Valeur en latin cela veut dire « le sens et la force » ; cela a donné évaluer et cela a donné valoriser justement. Quand on parle de valoriser cela veut dire : « est-ce que oui ou non vous avez partagé les évaluations avec les acteurs ? ».
Quand on travaille avec les acteurs, quand on travaille avec les enfants, qu’est-ce qu’il faudrait qu’on arrive à faire ? Vous savez très bien que la difficulté majeure actuellement dans les classes c’est l’indicateur majeur de développement d’un enfant, d’une personne à savoir la maîtrise du langage. Plus vous avez de vocabulaire, plus votre représentation du monde est riche, plus vous serez acteur du monde. Moins vous avez de mots, moins vous allez communiquer, moins vous allez accepter les autres. Et si votre vocabulaire s’est réduit à la cage d’escalier vous savez très bien qu’on ne vous laissera pas rentrer dans la cage d’escalier !
Par exemple : il y aurait une tendance qu’il ne faudrait pas lâcher. Toute activité qui a été construite d’un projet éducatif doit donner lieu à une évaluation de l’amélioration de la pratique langagière. C’est fondamental. Entre un élève qui sort de 3ème qui a une maîtrise de 7 500 mots et puis un élève en grande difficulté qui a été viré avant la fin de la 5ème. L’élève en grande difficulté qui se trouve dans les « couronnes » où vous êtes maîtrise à peu près 1 500 à 1 800 mots. Avec 1 500 à 1 800 mots votre vision du monde se réduit à l’espace qui est autour de 4 à 5 mètres autour de vous.
Vous savez qu’il y a une deuxième constante qu’il faudrait regarder : 40% des élèves en difficulté en mathématiques ne sont pas en difficulté en mathématiques ; ils sont en difficulté de compréhension des consignes. Ils ne comprennent pas la manière dont c’est dit. Alors ils s’arrangent pour trouver des stratégies qui satisfassent aux contrôles bien sur. Ils redisent ce que moi prof j’ai dit mais ils n’ont toujours pas compris. Je vous rappelle que la réussite n’a jamais garanti la compréhension. Réussir ce n’est pas comprendre ; c’est satisfaire aux indicateurs de contrôles de la normalité.
Un autre élément fondamental :. la capacité. c’est ce qui transverse, c’est ce qui est indépendant du contexte et ce qui structure ainsi la personne. Vous en avez une troisième. Je vous donne pas au hasard : c’est celle qui est à l’UNESCO. Pour le moment ce sont les inventaires qu’on est entrain de monter parce qu’elles sont récurrentes. On appelle cela des invariants. Quel que soit le pays et quelle que soit la culture ils revienneent tout le temps. Structurer sa pensée par exemple c’est important.
Pourquoi est-ce qu’on n’arriverait pas à ce que vous (et cette fois moi qui suis sur le pilotage pédagogique parce qu’il en faut un entre le moment où l’élève fait un travail doit comprendre les consignes de maths. Si le prof pouvait discuter avec l’animateur de foot pour qu’il explique à l’élève que comprendre des consignes de foot et comprendre des consignes de maths c’est le même processus cognitif mais ce n’est pas la même situation ; c’est pour cela que quand vous changez la situation vous changez la compétence. Pourquoi il n’arriverait pas à le faire ? Pourquoi dans son parcours de découvertes artistiques il va bien comprendre les consignes pour savoir comment lire le manuel ou pour savoir comment utiliser la même chose ?
En fait et on est dans quelque chose qui est dans la définition que Jean a lu toute à l’heure il faut rechercher la cohérence et la continuité. Et moi j’aurai tendance à renverser la question du pilotage ; pour moi il n’y a qu’un seul pilote dans l’avion : c’est l’enfant. Après il y a d’autres pilotes autour qui sont payés pour l’accompagner. Cela repose la question, vous le disiez, des postures et des compétences : est-ce que vous êtes sûr qu’ils savent le faire ?
J’ai une vieille dent contre ma maison qui s’appelle l’Éducation nationale. J’ai été le conseiller de 4 ministres successifs cela n’a pas été très efficace ! Si l’Éducation nationale ne veut pas montrer sa compétence à piloter toutes les formes d’apprentissages que traversent les enfants elle va être mise sur la touche par des organismes aujourd’hui… des cabinets privés ont déjà proposé dans beaucoup de communes de le faire. Si personne ne veut le faire on va le faire disent-ils ? A 1 200/1 500 Euros la journée !
On pilote les apprentissages par les capacités. On construit les apprentissages par des compétences. On rentre dans les compétences, par des savoirs, des connaissances, des techniques et du sens. Et ensuite on construit des trajectoires. Le vrai enjeu des projets territoriaux c’est celui là : faire la même chose mais faire autrement.
Je termine en vous rappelant les trois indicateurs de l’UNESCO que j’ai déjà eu l’occasion de discuter avec vous. Pour nous la réussite scolaire n’existe pas ; elle n’a jamais été garante d’une réussite éducative et je connais plein de pays où il n’y a pas d’ Ecole. Il y a beaucoup de pays où l’ Ecole est entrain de disparaître pour diverses raisons ; donc le concept ne nous intéresse pas ; ce qui nous intéresse c’est la réussite éducative.
Qu’est-ce que c’est qu’une réussite éducative ? C’est quelqu’un qui a traversé un dispositif ou un système et qui sort avec trois outils dans les mains. Le premier outil c’est : voilà ce que je sais faire quand je vous quitte ; cela s’appelle un portefeuille de compétences. Nous on parle même pas de porte-folio. On en demande une ou deux. Derrière la compétence il y a « entretien public » tu verras dans 5 ans ta compétence tu vas la perdre. Je vous rappelle que les compétences sont mortelles ; les métiers disparaissent des répertoires internationaux ; il y en a d’autres à la place. Regardez tous les métiers que vous avez traversés vous, qu’est-ce qu’il vous en reste des compétences d’avant ?
Donc derrière la compétence il y a ce qui les structure. A l’UNESCO on appelle cela des capacités. Je sais que cela pose beaucoup de problèmes théoriques mais il faut de temps en temps se mettre un petit peu d’accord ; c’est ainsi que recrute malheureusement Pôle Emploi… Pas sur des compétences mais sur des capacités. C’est avec les capacités qu’on fait la validation des acquis des expériences et c’est avec les capacités qu’on construit la formation tout au long de la vie.
Et on a un troisième indicateur : qu’est-ce que tu penses de ce que tu vas faire de tout ce que « tu as appris » quand tu ne seras plus avec moi ?
Je vous rappelle que la finalité de l’Éducation c’est de libérer l’autre et de lui apprendre à se passer de nous.