Le rapport de la sixième mandature du Conseil supérieur du travail social (CSTS) intitulé « Le travail social aujourd’hui et demain », non encore rendu public, propose plusieurs perspectives pour l’avenir du secteur, qu’il souhaite voir mieux reconnu par les décideurs. Parmi elles, la recherche d’effets sociaux globaux sur le long terme, le renforcement des missions de recherche et la valorisation des fonctions dirigeantes. Explications du rapporteur, François Roche, membre du bureau de l’instance et directeur des formations supérieures, continues et du développement de l’Institut de travail social de la région Auvergne.
Comment avez-vous accueilli la commande de la ministre au moment où s’exprime beaucoup de souffrance professionnelle?
Les membres du bureau du conseil, qui venait d’être renouvelé, l’on reçue comme un défi. Cette commande étant associée à la campagne de promotion des métiers du social et du médico-social que Valérie Létard entend mener dans le cadre de son « plan métiers », nous craignions de voir nos travaux utilisés avec un souci d’image et d’efficacité rapide qui n’était pas le nôtre. EN même temps, cette mission nous offrait l’opportunité de dire la réalité du travail social, un secteur qui fait trop peu parler de lui, de le défendre, de le révéler à des décideurs qui mettent en œuvre les politiques sociales.
Nous avons donc décidé de produire deux travaux. D’une part, un rapport qui sera publié par l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) dans la collection des rapports du CSTS, qui s’adresse aux travailleurs sociaux et à ceux qui peuvent être commanditaires du travail social sans bien le connaître. D’autre part, nous préparons une brochure avec un spécialiste de la communication, destinée au grand public, surtout aux jeunes. Elle vise à expliquer clairement ce qu’est le travail social et qu’il existe de bonnes raisons de s’engager dans cette aventure.
Vous abordez donc peu son contexte difficile…
Ce n’était pas le mandat, mais la question s’est tout de même posée. Nous avons pris le parti, il est vrai, de dire ce qu’est le travail social, ce qu’il vise, ce qu’il fait: un métier guidé sur l’engagement, la recherche de sens, ayant pour ambition de garantir les fondements du bien vivre ensemble et dont l’enjeu est à la fois humain, social, éthique. Nous n’avons pas voulu parler des conditions d’exercice de ce travail, parce qu’en quelques mois seulement, nous n’avions pas le temps de le faire sérieusement. Nous ne voulions pas nous écarter du sujet, de ce que nous avions à dire. C’est pourquoi, lorsque nous avons abordé les difficultés et les souffrances, nous n’avons pas insisté sur celles des travailleurs sociaux, il s’agissait plutôt de décrire leurs missions, mais celles des publics. Nous avons cherché à aller au plus significatif, dans un effort de concision. Un exercice frustrant, il est vrai, puisque nous n’avons pas traité certaines questions.
Avec le RSA, le droit au logement opposable, la réforme de la protection de l’enfance…les travailleurs sociaux sont de plus en plus sollicités. Signe d’un regain de légitimité ou d’un glissement de leur rôle vers l’accompagnement des politiques publiques?
Les travailleurs sociaux sont accompagnants de personnes et pas de prestations, rappelons-le. Mais nous n’avons pas minoré les conditions dans lesquelles ils peuvent être instrumentalisés. Les craintes sont nombreuses, et le CSTS a interpellé Martin Hirsch sur le RSA (revenu de solidarité active, de voir les travailleurs sociaux mis en échec parce qu’ils n’auraient pas les moyens d’accueillir en nombre les bénéficiaires, seraient sommés de donner des réponses sans disposer des conditions nécessaires ou acculés à une logique de guichet pour répondre aux exigences de mise en œuvre des dispositifs.
Cependant, il nous semble qu’être sollicité pour mettre en œuvre des politiques publiques représente pour le travail social davantage une opportunité qu’une source d’inquiétude, même lorsque des politiques sont peu cohérentes ou mal préparées, ou que les dispositifs s’empilent en millefeuilles, ce qui est souvent le cas.
Être acteur de politiques publiques est d’abord une chance. Pour les professionnels, dont le cadre d’exercice s’inscrit dans le double ancrage du mandat institutionnel et de la commande sociale, c’est une possibilité de développer leurs missions. En première ligne, les travailleurs sociaux en prennent « plein la figure ». C’est dur, mais, comme des marins en pleine mer, ils sont à leur affaire: ne sont-ils pas les mieux placés pour accompagner les changements sociaux ou pour montrer que les conditions ne sont pas réunies afin de les faire évoluer? oui, les travailleurs sociaux sont des acteurs des politiques sociales: qu’ils soient reconnus comme tels, avec des choses à dire, et non comme de vulgaires outils! Ils sont en capacité d’observer, de diagnostiquer les situations et d’élaborer des réponses avec les usagers, si on leur donne le temps, les moyens nécessaires, et si on les écoute.