A l’usage des enseignants, des (directeurs, inspecteurs) et décideurs (président, ministre, membres des cabinets). (Ré)instaurer la laïcité à l’école n’est pas « chose » simple ; ce sera même une épreuve de longue haleine tant il y a (aura) d’obstacles à dépasser, d’habitudes à outrepasser ou d’évidences à changer. Pourquoi ne pas le tenter… mais pas n’importe comment. (1)
Règle n°1
Le programme de Morale et Instruction civique (ECM) ‘2) que l’on appelait Instruction civique il y a encore peu, est bien sûr à repenser. Il n’a aucune prise sur la réalité d’aujourd’hui… Toutefois il ne suffit pas de mettre des notions en plus sur la laïcité, sur le « vivre ensemble », encore faut-il que celles-ci ne soient pas éthérées. Certes les programmes demandent à être renforcés, mais pas seulement par des textes en sus… Seront-ils seulement effectués ? Il y a un long chemin de l’intention à l’action. Ce peut être possible si on leur accorde plus qu’une ou deux petites heures par semaine, cantonnées dans la seule sphère de l’histoire-géo. Les profs. les aborderont quand ils auront bien avancé les autres matières, celles considérées comme sérieuses, « parce qu’au bac » !..
Règle n°2
La laïcité, le « vivre ensemble » ne sont-ils pas plutôt l’affaire de toutes les disciplines (Règle n°2) ; dans notre société contemporaine mondialisée traversée par l’individualisme et la consommation, elle est à promouvoir avant les maths. Va-t-on instaurer une épreuve –sur projet ou comme un TPE par exemple- avec un fort coefficient au baccalauréat ? Sans une telle incitation, l’EMC n’aura jamais d’envergure, elle ne trouvera pas sa raison d’être, l’émotion passée.
Règle n°3
Arrêtons de répéter « laïcité, laïcité, laïcité… » au point d’en faire un mot « valise » ! Pour prendre sens, cette éducation doit être en prise directe avec le vécu des élèves. Pas facile avec des jeunes qui se sentent étrangers à la Nation ou quand la laïcité est perçue comme l’adversaire de leur identité… Pour commencer, elle ne peut être qu’un engagement, une prise de responsabilités au niveau de l’école. Nombre d’expériences sur le terrain ont déjà été tentées avec succès. Elles s’avèrent plus pertinentes quand elles existent dans la durée, quand elles sont partie prenante du quotidien de l’école : services dans l’établissement (participation à l’entretien, à la convivialité des lieux, accueil et accompagnement des élèves plus jeunes,..) animations de clubs, actions de médiation, éducation à la gestion de conflits, échanges réciproques de savoirs promus par les Heber-Suffren, etc.. Pourquoi ne pas mieux les partager pour les généraliser ?
Dans la classe, on peut également penser faire vivre l’EMC dans les travaux de groupes, dans l’émulation par le sport, l’introduire dans les projets interdisciplinaires, dans les rencontres avec des partenaires locaux associatifs, municipaux, étatiques… pour percevoir la dimension citoyenne de leur ville, de leur village, dans des activités de sécurité, d’écocitoyenneté, etc.. On peut encore instaurer un conseil de classe hebdomadaire, type Freinet, où l’on traite tous les problèmes, de l’organisation aux responsabilités de chacun, etc…
L’EMC peut les mobiliser dans des pratiques au sein des quartiers ou dans des actions humanitaires de part le monde. Il existe bien un Parlement d’enfants, des Conseils municipaux de jeunes, des prix contre le harcèlement, l’égalité des sexes ou des fondations pour la philanthropie ; ce sont des opérations « bonne conscience » qui ne touchent qu’un nombre restreint de classes ou d’élèves. Les questions de tolérance, d’égalité, de violence, d’intégrisme doivent être abordées au quotidien, dans des moments d’Ethique, autre lacune des programmes. Un travail de clarification des valeurs, notamment des valeurs de la République, est à introduire dès l’école maternelle… Nombre de phrases répétées sont à décoder. Par exemple, la liberté d’expression n’est pas absolue, elle est limitée par la loi…
Règle n°4
Pour y mettre du sens, l’école devrait se saisir en permanence de l’actualité, elle ne devrait pas rester frileuse par rapport aux médias ou aux réseaux sociaux. (Règle N°’4). Nombre d’enseignants hésitent à aborder ces questions car l’Ethique n’est programmée qu’en terminale ou à cause d’une certaine conception de l’éducation –elle est affaire de la famille – (3) et même de la laïcité envisagée comme une certaine neutralité.
Règle n°5
« L’autorité des enseignants et des personnels d’établissement doit être renforcée ». Mais encore ne suffit-il pas de le dire ! Bien sûr les manquements doivent être remontés au chef d’établissement, mais ce dernier que peut-il faire si on le laisse esseulé ? Il peut convoquer les parents, les enfants à problèmes ont des parents qui ont démissionné. Il peut faire appel au Conseil de discipline ; ce n’est pas par une exclusion de 3 jours, d’une semaine ou une exclusion définitive que le problème sera réglé. Bien au contraire, la sanction est la pire des solutions, les élèves qui s’affrontent à l’autorité se sont de facto déjà exclus de l’institution. Très souvent, ils dépassent toutes les bornes pour se sentir encore un peu partie prenante de l’école.
Règle n°6
La solution est ailleurs, elle est dans le recrutement, le statut et dans la formation des enseignants pour en faire des personnalités qui s’imposent d’elles-mêmes, qui se coordonnent pour affronter la violence du jeune en déshérence et la faire cesser (Règle n°6).
Règle n°7
Beaucoup pourrait être fait en amont pour éviter cette exclusion. Il faut s’interroger sur le fonctionnement des écoles des quartiers difficiles (profs. sans expérience, locaux délabrés, absence de convivialité, notamment à la « cantine », etc..) et sur la place faite à l’élève dans l’école. Au delà des beaux discours, du saupoudrage de moyens pour faire bonne conscience, il nous faut prendre conscience que notre école est actuellement très inégalitaire, comme l’ont démontré les évaluations PISA. Sans doute la moins inclusive en Europe.
Règle n°8
Ses programmes et ses méthodes pédagogiques produisent de l’ennui, du désintérêt parce qu’on prend rarement en compte les questions des élèves. Non pas pour y rester, cher Monsieur Finkielkraut, mais pour partir d’elles et aller vers la Connaissance, sans oublier les compétences. Surtout, et cela est vraiment dramatique, sa façon d’évaluer fait perdre tout à la fois confiance et estime de soi à nombre d’enfants, d’adolescents qu’elle finit par dégoûter, stigmatiser, puis exclure du système scolaire, et par là de toute vie sociale. L’évaluation n’est pas qu’une question de note ou d’appréciation. Certaines appréciations sont pires que les notes ! L’évaluation ne peut plus rester une fin en soi et se situer en fin d’apprentissage. Elle doit être une étape du travail pédagogique pour permettre à l’élève de prendre conscience de ses difficultés, ensuite d’avoir un accompagnement pédagogique pour y remédier, avec la possibilité de repasser son évaluation (Règle n°8). De telles pratiques (4) ne demandent pas plus de moyens supplémentaires -combien de temps-enseignant sont actuellement perdus- mais une autre organisation de la classe, une autre culture de l’école. Les élèves apprennent dès l’école primaire à « consommer » du cours et ils attendent que le professeur fasse son cours pour apprendre, au lieu d’apprendre à apprendre. En sus, trop d’enseignement frontal non situé tue le désir d’apprendre.
Règle n°9
Pour éviter la perte de confiance, puis la déshérence qui conduit à l’exclusion et à la violence, il est un point fondamental à mettre en place de façon apaisée ; il demeure tabou parce que l’école reste toujours inféodée à un Ministère de l’Instruction . (5) On n’ose toujours pas explicitement permettre à chaque élève de « travailler sa propre personnalité », de faire émerger sa propre identité au sein de la Nation. Une pédagogie humaniste doit désormais aller résolument dans ce sens, nombre de propositions et de documents pour la classe ont déjà été produits pour y parvenir . (6) Ces jeunes qu’on dit « violents » ont besoin d’abord d’écoute et surtout de reconnaissance. Ils ont besoin de comprendre, de se comprendre, de mettre du sens, de mettre des mots pour exister autrement et sortir de leur violence.
Règle n°10
Un tel projet éducatif renvoie à un travail sur soi, à la prise de conscience et à la valorisation de son potentiel, à l’amélioration de sa qualité de vie et à la réalisation de ses aspirations et de ses passions, etc. Il n’est pas une thérapie, il démarre simplement par des situations pour améliorer ses performances scolaires (apprendre à apprendre pour mieux mémoriser, communiquer, s’organiser, gérer son temps,..), une prise de conscience de son rapport au Savoir, à l’école ou à la culture, et une transformation de soi, à la fois pour se défaire de certains aspects négatifs (phobie, anxiété, timidité, violence,..) et aller vers de meilleures confiance et estime de soi et vers une clarification des valeurs que l’on souhaite porter. De simples jeux de rôle, des ateliers d’écriture, du théâtre interactif, un photolange, des moments où on parle de soi à travers des objets auxquels on tient, d’autres où on se sent écoutés, reconnus sont une première approche pertinente qui peut se faire facilement en classe (Règle n°10).
Règle n°11
Sur tous ces plans, se pose en premier la question de la formation des enseignants et des cadres de l’éducation (directeurs, conseillers, inspecteurs, ministre, président,..). Rien ne peut se faire si ceux-ci ne s’approprient pas une ECM vivante, si les valeurs -celles de la république, celles de la démocratie, celles du vivre ensemble- ne sont pas explicitement introduite dans la culture de l’école, encore moins s’ils ne sont pas formés à accompagner l’émergence d’une personne pour les premiers, d’un système apprenant ou d’une équipe éducative pour les seconds. Ce sont ces questions « vives » que devraient traiter en priorité une Commission des Programmes d’une part, une Commission de l’Education transpartisane d’autre part.
Quant aux Ministres ou aux Présidents successifs, ce n’est pas par des annonces ou par des lois qu’ils pourront faire évoluer ce système éducatif. Peut-être devraient-ils prendre conscience de combien leurs réformes ont été (sont) contreproductives, combien cette suite de réformes sur 30 ans mises en place à la va-vite, non accompagnées, non évaluées ont pu être même bloquantes. Il ne suffit pas de répéter qu’on a mis en place des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) pour les rendre pertinentes. Déjà pouvaient-il tirer partie des dysfonctionnements des anciennes Ecoles normales et des IUFM pour penser ces Ecoles, leurs cabinets ne pourraient-ils pas faire un minimum de veille pour repérer les « bonnes pratiques » pour leur mise en place et leur fonctionnement avant de leur préparer des annonces qui resteront sans suivi efficace.
Et Règle n°12
Sans doute faudrait-il pour commencer (re)penser l’organisation du système éducatif lui-même. La moindre des innovations ou des propositions butent sur une somme de blocages liés aux territoires de compétences, aux égos et aux corporatismes de toutes sortes. Obtenir la « conjonction des planètes » pour y parvenir, comme disent les observateurs du système tient du démiurge ! Sans doute faudra-t-il sortir de l’habitude des décrets, des circulaires et des injonctions descendantes qui ne font exister qu’énarques et politiques aux dépends de l’école (Règle n°12) !.. Il est vrai que la systémique, la pragmatique dont les processus de changement ne sont pas non plus au… programme.
André Giordan
Notes :
1 Le Café pédagogique avait publié en 2013 une Check-list pour préparer son bac ; elle avait reçu un certain succès. Pourquoi ne pas faire de même pour tenter d’implanter la laïcité à l’école. Malgré la gravité de la question et de la situation, je me suis permis quelques clins d’oeil en hommage à Charlie Hebdo.
2 Le président François Hollande a défendu un « nouvel enseignement moral et civique » à l’école le 21 janvier 2015.
3 Bien sûr l’éducation reste l’apanage des familles. Toutefois dans une société complexe où la famille est souvent dépassée, on ne peut plus faire l’impasse d’une synergie famille-école.
4 L’école en tant qu’institution n’a toujours pas su réagir ; seuls quelques enseignants ou quelques directeurs bien isolés y parviennent. Ces jeunes en déshérence, ces « laisser pour compte » sont prêts à suivre n’importe quel gourou ou prédicateur. L’institution en produit 150 000 par an. Nous avons beaucoup de chances que tous ne tombent pas dans la délinquance ou le djiadisme.
5 Même si on l’appelle désormais « Ministère de l’Education Nationale ».
6 Voir par exemple le site Ecole changer de cap : http://www.ecolechangerdecap.net
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