In Slate.Fr – le 21 juillet 2014 :
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On entend de plus en plus souvent les parents assumer mettre leurs enfants dans une école pas encore aussi «gentrifiée» que leur quartier. Mais que disent les parents qui assument l’inverse?
Le débat alimente les discussions des parents, surtout dans les quartiers en cours de gentrification, de Montreuil à Belleville, des Lilas à Montmartre et il en va de même dans toutes les villes et les quartiers dont la composition sociologique change. Et c’est la même question qui revient dans les kermesses de fin d’année et les rencontres entre parents: faut-il rester dans l’école du quartier?
Souvent, la réponse s’appelle «évitement scolaire», terme issu de la sociologie de l’éducation qui caractérise la croyance très forte et généralisée que la composition sociale —voire ethnique— des établissements en définit mécaniquement le niveau et l’attractivité. Cette conception, qu’elle soit fondée ou non, alimente et renforce la ségrégation sociale de ces établissements.
On la croyait réservée aux collèges et lycées mais ce n’est plus le cas. L’évitement concerne désormais l’école élémentaire. Les données sont connues pour les collèges mais la question est encore taboue, aussi bien à l’Education nationale et à la mairie de Paris, où il semble difficile à la mi-juillet de trouver un interlocuteur pour fournir des chiffres.
Mais il reste difficile de répondre à l’inquiétude des parents, une inquiétude particulièrement vive en France comme l’ont montré par exemple les sociologues François Dubet et Marie Duru-Bellat (Les sociétés et leur école. Emprise du diplôme et cohésion sociale, 2010).
Les parents qui contournent la carte scolaire sont souvent interrogés, leurs justifications sont connues et évidentes avec, toujours, cet argument massue : je ne vais pas mettre en jeu l’avenir des mes enfants en les laissant fréquenter une «mauvaise» école. Et quand ces parents sont mal à l’aise moralement avec l’idée d’évitement, quand ils se disent de gauche, l’idée finit par être formulée un peu autrement : «Je ne vais pas sacrifier l’avenir de mes enfants à mes principes», comme l’illustre cet article de Mediapart qui s’intéresse justement à l’évitement dans les plus petites classes.
Souvent, ces choix scolaires ne s’appuient pas sur des faits incontestés mais plutôt sur des impressions, des craintes et des informations glanées au fil de discussions avec les gens du quartier.
Mais que disent les parents qui décident de ne pas contourner la carte scolaire et qui résistent à l’idée que l’école en bas de leur maison est possiblement toxique pour leur chère «tête blonde» perdue au milieu des têtes brunes, si brunes, des quartiers populaires? Comment considère-t-on le fait de ne pas «éviter» quand c’est devenu l’évidence dans le quartier, comment vit-on ce choix scolaire?
Françoise, maman d’Hadrien, CP:
Je ne regrette pas du tout d’avoir respecté la carte scolaire. D’abord mon fils a passé une excellente année, tant sur le plan humain que sur le plan scolaire. Les conditions de travail sont très bonnes (petits effectifs, très bonne enseignante, maîtresse surnuméraire, pédagogie différenciée). Je crois que c’est enrichissant pour lui d’être au contact d’enfants de différentes origines, de différents milieux.
Il est vrai que ses affinités vont souvent vers ceux qui ont un mode de vie plus proche du nôtre (de fait un tiers des enfants sont issus de milieux favorisés en CP l’année où mon fils est arrivé) mais pas seulement, et je trouve que c’est bien qu’il soit copain avec les enfants du quartier, ceux qui jouent dans le square en bas de chez nous. Et pour les parents il y a de belles rencontres aussi, avec des gens qui s’impliquent dans la vie de l’école, qui peuvent être critiques mais qui sont ouverts, ni élitistes ni apeurés.
Proximité, implication, l’école publique a finalement ses charmes comme le dit Anne-Marie, mère d’Antoine (CP) et Félix (CE2) à l’école Belleville :
«Au départ j’étais, comme beaucoup de parents, très préoccupée par les rumeurs sur le niveau ou la violence à l’école publique. J’ai donc fait la démarche d’aller me renseigner dans une école privée pour une éventuelle inscription, sans m’engager. J’y suis allée un peu à reculons, un peu mal à l’aise, d’autant plus que mon mari n’était pas d’accord du tout, et ne voyait pas le problème avec l’école publique (j’ai remarqué qu’en général ces inquiétudes venaient souvent de mères, peut-être trop protectrices, plutôt que de pères).
Je n’ai pas apprécié du tout ce rendez-vous: j’avais l’impression d’être une cliente à qui une entreprise de loisirs vendait des services (sorties, options, activités diverses). Comme en plus la plupart des amis de maternelle de mon fils s’inscrivaient à Belleville, je n’ai pas voulu les séparer, et j’ai bien fait.
Je n’ai jamais regretté mon choix, mes deux fils sont ravis, et moi je me suis énormément impliquée au conseil d’école, pour l’organisation des kermesses, des fêtes de fin d’année, mais aussi justement pour parler aux réunions de pré-rentrée avec des parents inquiets, à qui je pouvais raconter mon parcours pour les rassurer.»
La question du niveau préoccupe les parents, comme l’avoue sans détour, Patricia, mère d’élève, il semble qu’il faille combattre ses craintes:
«J’avais des inquiétudes sur le niveau des classes à cause de la mauvaise réputation qui collait à cette école (et qui lui colle toujours, à mon grand regret…). mais j’avais envie que mon enfant aille à l’école du quartier et je savais par mes voisins qui avaient déjà des enfants dans cette école qu’elle était bien, que tout se passait bien…»
Pour Sophie, professeur dans un collège très populaire du quartier de la Goutte d’or dans le XVIIIe arrondissement, où les écoles ne sont pas du tout mixtes socialement mais composées d’élèves de milieu très populaire et/ou fraichement immigrés:
«Les parents des classes favorisées qui maintiennent leurs enfants en primaire puis au collège sont des gens qui ont choisi de s’intégrer pleinement au quartier et qui ne doutent pas des capacités de leurs enfants à s’intégrer eux-mêmes et à progresser dans leurs écoles. Cette confiance est essentielle. Leurs enfants seuls “blancs” de leur collège y font des parcours tout à fait satisfaisants. Mais, à la Goutte d’or, ces parents restent des exceptions… »
Au delà des constats établis par les uns et les autres sur le terrain, les études le montrent et le démontrent: mélanger les élèves rend le système éducatif plus performant! Les bénéfices à être «triés» existent pour les bons élèves mais ils sont marginaux par rapport aux bénéfices pour l’ensemble des élèves à être dans des classes hétérogènes. Par ailleurs, il faut surtout souligner que des réponses pédagogiques existent: les enseignants pratiquent la pédagogie différenciée, s’attardant auprès des élèves en difficulté et laissant plus d’autonomie aux autres. Ce qui s’avère très positif pour les bons élèves aussi.
Mas revenons aux parents «non évitant», comment vivent-il un non choix, que, paradoxalement, pour Renaud, le papa du même Hadrien, il faut justifier!
«Du coup mon non-choix, dicté par la confiance dans des règles qui me paraissent justes et égalitaires, se transforme, à ma grande surprise, en choix idéologique radical. On me félicite : “c’est bien qu’il y en ait qui le fassent, il en faut des comme toi”. “Bravo, tu es un vrai militant!” Je n’ai jamais milité nulle part, je ne m’en vante pas, je le constate, et ne vois rien de militant dans l’inscription de mon fils à l’école publique. Surtout je sens bien le reproche à peine voilé derrière cette apparente admiration : parfois j’ai l’impression d’être un dangereux bolchevik illuminé qui envoie ses enfants dans une école-prison parce qu’il faut suivre les ordres du Parti.»
De fait, ce choix donne aussi aux parents de l’école de Belleville la quasi obligation de se mobiliser. Les rumeurs qui à leur tour entraîneront la fuite d’autres parents peuvent avoir pour conséquence la fermeture de classes, par manque d’élèves, ce qui rend encore plus difficiles les conditions de travail des enseignants et au final de leurs enfants, comme l’indique Renaud:
«C’est devenu une tâche en soi, pour nous, de chercher à combattre tout cela, de dissiper les fantasmes. Même si nous ne devrions pas avoir à le faire, nous nous retrouvons entre parents, nous cherchons les meilleures stratégies, nous cherchons à rencontrer les parents des écoles maternelles et à échanger avec eux pour les convaincre de venir.»
Car finalement que se passe-t-il dans les grandes villes et les banlieues. Voici l’analyse de la situation que dresse, sous couvert d’anonymat, ce cadre de l’Éducation nationale:
«Le plus drôle, c’est que les écoles privées, à force d’accueillir tous ces élèves qui fuient le système public finissent par être les seules qui abritent une vraie mixité sociale!»
On peut modestement rappeler que le rôle de l’Éducation nationale, des communes, des départements, leur responsabilité, serait d’éviter la constitution et le renforcement de ghettos scolaires. Une conception intelligente des cartes scolaires, le maintien des équipes enseignantes en place, des propositions pédagogiques efficaces, des options et de filières perçues comme attractives (classes musique, classes européennes etc) au collège, et même l’entretien des bâtiments font partie des politiques publiques sont les éléments nécessaires au maintien de l’attractivité des écoles payées par les impôts des citoyens et au maintien de la confiance en cette école publique.