In La Gazette Santé social – le 13 septembre 2013 :
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A l’occasion de la publication le 12 septembre 2013 du baromètre de l’action sociale 2013 réalisé par l’Union nationale des CCAS et la Gazette Santé-Social, avec le soutien des Banques alimentaires, Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), nous livre son analyse.
Quelle est votre réaction à la lecture des résultats du baromètre de l’action sociale 2013 ?
Les centres communaux d’action sociale (CCAS) qui font face à une précarité croissante sont comparables à des digues qui chercheraient à maitriser des vagues de plus en plus fortes. Les demandes d’aide formulées par les familles monoparentales et les personnes isolées progressent, et de moins en moins de personnes personnes réussissent à faire face aux dépenses en matière de logementou de santé… Il faut se pencher sérieusement sur les causes de ces phénomènes et développer de nouveaux objectifs de cohésion sociale.
Lorsque les CCAS interviennent dans le champ de la santé, ils signent les limites de la CMU et témoignent de phénomènes d’exclusion par des complémentaires. Notre société témoigne une méfiance de plus en plus grande vis-à-vis de la solidité de notre modèle de solidarité et les CCAS sont le réceptacle de tous ses dysfonctionnements. Pourquoi, par exemple, ne verser les allocations familiales qu’à partir du deuxième enfant ? Il est peut-être temps d’imaginer une autre société dans laquelle chacun aurait sa place.
A quel modèle de société pensez-vous ?
Notre système de cohésion sociale est fondé sur la compensation des handicaps et sur une politique inclusive.. Or ce n’est pas le cas. Notre société génère de l’exclusion à cause de trop nombreux effets de seuil par exemple s’agissant d’aides conditionnées à l’âge ou aux ressources. Et il est évident que chaque citoyen ne dispose pas des mêmes chances, par exemple de retrouver un emploi. Nous devons donc réfléchir à un modèle basé sur l’égalité des parcours -différent du modèle utopique de l’égalité des chances -, permettant à chacun de travailler selon ses moyens tout en lui garantissant de conserver sa dignité et sa responsabilité, c’est-à-dire la perception d’être acteur et utile.
Par ailleurs, la structure de notre société a évolué ; nous sommes passés d’une forme pyramidale avec une classe ouvrière, une classe moyenne et une élite, qui valorisait des mécanismes de redistribution et de solidarité, à une société de la performance caractérisée par un écrasement de la classe moyenne coincée entre une base de plus en plus précaire et une élite individualiste qui a le monde comme horizon. Cette nouvelle structure est symptomatique d’une société très instable, caractérisée par la peur du déclassement de la société moyenne et le fatalisme de la société précaire. Il est donc indispensable de passer de la société de la performance à la société de l’épanouissement, de la société du bien à la société du lien.
Croyez-vous à une reprise économique ?
La croissance sera moyenne, voire faible, autour de 1 à 1,5% pour la prochaine décennie. Pendant ce temps, la création d’emplois sera ralentie et il ne sera plus possible de continuer à financer les politiques de retraites, de santé, de famille et de solidarité uniquement sur les revenus du travail. A ce niveau de croissance, nous devons revoir notre rapport à la pauvreté, à l’activité et aux biens non matériels. Nous ne pouvons plus être dans l’acquisition, nous devons être dans le partage. Je dis aux élus : « vous avez passé beaucoup de temps à construire des ponts et des routes, vous devez aujourd’hui reconstruire des espérances individuelles car la révolte des ventres est plus immaitrisable que la révolte des esprits ». Les élus locaux doivent impulser le passage d’une cohésion sociale à une vitalité sociale qui sera impulsée dans les quartiers.
Mais avant cela il y a urgence à répondre aux besoins immédiats…
Effectivement et en plus des situations économiques douloureuses, il ne faut pas perdre de vue ce drame contemporain qu’est l’isolement. Nous avons rendu en février 2013 un avis sur la prévention des suicides qui fait état de 11 000 suicides par an pour 220 000 tentatives. Malheureusement, le phénomène de crise aggrave cette situation.
Un des moyens d’apporter une réponse passe par la détection des signaux par tout un chacun, mais aussi par la mise en place de lieux d’écoute. L’une des premières vertus des CCAS est de rester en lien avec ceux qui se trouvent face à une administration qui communique de manière de plus en plus automatisée et qui ajoute un isolement administratif à un isolement physique, d’où l’augmentation des non-recours.
Les CCAS apportent un accompagnement et une orientation au sein d’une administration complexe et incompréhensible. Ils peuvent aussi redonner le sens de la communauté à ceux qui se sentent exclus. Ils peuvent enfin être un moteur d’innovations intéressantes. En se posant des questions simples : est-ce que les personnes âgées sont un coût pour la société ou une chance ? Je suis convaincu par le fait que les personnes âgées peuvent être une formidable richesse pour la vitalité sociale. Et pour résoudre la précarité des jeunes de moins de 25 ans, ne pourrait-on pas réfléchir à un revenu minimum en contrepartie de travaux menés sur des chantiers collectifs au profit de la collectivité ? Il est grand temps de généraliser les expérimentations sociales et d’impulser des initiatives citoyennes généreuses et solidaires.
Pour en savoir plus
Consultez notre Baromètre des CCAS 2013
Propos recueillis par H. Delmotte et G. Garvanèse