La concertation nationale pour la refondation de l’Ecole a été généralement perçue comme une réussite, malgré ses faiblesses et sa tendance au scolaro-centrisme, et le rapport remis au premier ministre comme une bonne base de réflexion. Il n’en a pas été de même avec les concertations décentralisées. Pilotées par les DASEN qui, en majorité, ne sont pas convaincus par la refondation et ont été encouragés à imposer la continuité, elles n’ont été qu’une parodie de consultation avec des questions souvent fermées, « bien » choisies pour cautionner l’existant plutôt que pour mobiliser l’intelligence collective et construire du neuf.
La morale traditionnelle de la gauche refusant de suspendre ou d’annuler les dispositions prises par le gouvernement précédent tant que de nouvelles politiques n’étaient pas définies en concertation, a également pesé, et pèse encore, lourd dans la vie des établissements. Le ministre X. Darcos avait eu moins de scrupules en balayant d’un revers de main les programmes de 2002 et en imposant sans la moindre concertation une série de dispositifs de nature à détruire l’Ecole, comme la suppression du samedi matin dont le seul objectif était de réduire la dépense publique avec la suppression des RASED – abusivement justifiée par l’escroquerie de l’aide individualisée -, la suppression de la formation des enseignants – remplacée par un temps d’animation pédagogique qui a trop souvent pris des allures de propagande.
Dans un grand nombre d’écoles et de collèges, les enseignants n’ont jamais entendu parler de la refondation et n’ont jamais été invités à penser le changement. Au contraire même, les pratiques autoritaristes, les exigences paperassières du pilotage ultra libéral par les résultats apparents, ont sévi et sévissent toujours. Le doute s’est installé dans les milieux progressistes en même temps que le soulagement chez les conservateurs.
La phase de négociation du projet de la loi d’orientation a ensuite été marquée par les exigences des syndicats d’enseignants, à la veille d’élections professionnelles, par d’évidents réflexes corporatistes, par l’occultation des vrais problèmes avec la question des rythmes scolaires dont les médias se sont emparés avec un regard réducteur, faisant oublier le sens même du mot refondation. La situation est devenue si compliquée que le ministre lui-même, ayant le sentiment d’avancer, s’étonnait que tout le monde considère qu’il reculait.
Le salon européen de l’éducation, évènement annuel très important organisé par la Ligue de l’Enseignement à Paris, a permis d’ouvrir une nouvelle période d’espoir. Les échanges directs entre Vincent Peillon, son équipe, les responsables de toutes les organisations concernées, le discours tenu jeudi après-midi devant un public nombreux dans l’attente de clarification, marquera probablement un virage dans cette période confuse avant le débat parlementaire. Passant toute sa journée au salon, il a tenu des propos considérés comme offensifs, rappelant avec force sa conviction que l’éducation est nécessairement globale, qu’elle dépasse l’Ecole, que la pédagogie sera le levier et la condition de la réussite de la refondation, que l’Ecole doit changer mais que l’éducation populaire devra jouer pleinement son rôle en accord avec les collectivités locales. Il a lancé un appel aux mouvements pédagogiques, aux mouvements d’éducation populaire, au secteur associatif, qui sont regroupés dans le CAPE (collectif des associations partenaires de l’Ecole), pour qu’ils lui apportent leur soutien.
Face aux incertitudes et au doute, l’urgent est d’informer l’opinion, de mobiliser les enseignants avec tous les partenaires de l’école pour réfléchir, préparer, impulser le changement qui ne peut pas être réduit à la correction de l’existant et qui doit s’inscrire dans une nouvelle vision de l’éducation.
Sans doute conviendrait-il que chaque mouvement prenne des initiatives sur le terrain pour débattre, proposer, engager des expérimentations, surmontant les frilosités et les obstacles posés par l’administration conservatrice de l’Ecole. Les projets éducatifs locaux quand ils existent sont des espaces intéressants pour avancer si l’on réussit à ce que les interventions de chacun ne soient pas seulement juxtaposées.
Pour les enseignants particulièrement sensibilisés sur la place du numérique, comme le sont les lecteurs d’Educavox, le temps est venu de s’engager sur le terrain en médiatisant les transformations réelles des pratiques pédagogiques induites par le numérique, en proposant des actions inter générationnelles dans les sites informatiques existants largement ouverts avec l’aide des collectivités et du secteur associatif, en conseillant les mouvements pour des actions non scolaires sur le numérique hors temps scolaire, en communiquant encore davantage sur le site Educavox.
J’étais déçu, inquiet, souvent en colère face aux résistances au progrès et à la menace de l’eau tiède. Au salon de l’éducation, ayant eu la possibilité de dialoguer avec un directeur de cabinet, le doyen de l’inspection générale, des directeurs d’administration centrale, etc, ayant écouté le ministre, je lutte contre mon propre scepticisme. Les graines d’espoir semées doivent germer et croître sur le terrain pour garantir la refondation. La mobilisation des acteurs, la résistance ouverte à l’autoritarisme hiérarchique persistant, la multiplication de vrais projets éducatifs locaux sans attendre les nouveaux textes, la poursuite du combat pour démontrer la nocivité des politiques précédentes, peuvent constituer un riche terreau pour ces graines que nous n’avons pas le droit de laisser mourir.
Ne tuons pas l’espoir mais poursuivons le combat qui est encore loin d’être gagné.