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" Décentralisées, les collectivités locales françaises ont acquis une large autonomie. Mais la complexité institutionnelle du système les oblige souvent à coopérer. Paradoxe : cela exacerbe les rapports de force et les logiques de concurrence. Régulièrement évoqué dans la presse et dans le discours des édiles eux-mêmes, le « malaise » des élus locaux a de quoi surprendre. La politique de décentralisation, amorcée au début des années 1980, était justement censée les libérer des pesanteurs institutionnelles d’un État réputé « jacobin ». De fait, les libertés locales n’ont cessé de se renforcer au fil des années par une série de lois et de révisions constitutionnelles qui ont fini par consacrer, en 2003, « l’organisation décentralisée » de la République. Mais cette évolution coïncide avec une complication de l’exercice des fonctions électives et, en même temps, une relative concentration du pouvoir dans les mains des élites locales…./…
Concurrence entre collectivités Confrontés plus que jamais à la pression de leurs nouvelles responsabilités, les élus locaux en ont profité pour développer des initiatives dans de nombreux domaines facultatifs (comme dans les domaines de l’action économique, éducative ou encore culturelle) et pour prétendre ainsi répondre aux problèmes de leurs administrés. Logiquement, cet interventionnisme a suscité des empiétements entre les domaines d’intervention des différentes autorités locales, rendant l’imputation des responsabilités difficile. Les compétences partagées sont pratiquement devenues la règle. Les collectivités se sont, dès lors, vues prises dans des jeux de concurrence soit pour revendiquer la paternité, soit pour garder la maîtrise d’une action publique mêlant une diversité de protagonistes institutionnels.
De surcroît, cette évolution des conditions de gouvernement se déploie dans un contexte de tensions financières (incertitudes sur les concours de l’État, limitation des taux d’imposition), mais aussi de mutations des territoires (périurbanisation, mobilités, ségrégations) et des priorités (développement local, renouvellement urbain, attractivité). Tout ceci rend de fait les collectivités territoriales de plus en plus dépendantes les unes des autres dans la conduite des affaires publiques. Elles sont contraintes de faire l’expérience de financements croisés et de négociations pour finaliser un projet, bref d’un allongement des circuits décisionnels. Dans ce contexte, l’enjeu clé de nombreux dossiers est bien la capacité à trouver des bases d’accord avec des partenaires institutionnels, associatifs, privés, etc.
Cette exigence coopérative s’est traduite par le développement de la contractualisation entre personnes publiques (comme les contrats de plan État-région, les contrats urbains de cohésion sociale, les contrats locaux de sécurité) ou encore avec les associations et gestionnaires privés de services publics. Elle est aussi allée de pair avec la diffusion de dispositifs de projet et de concertation (comités de pilotage, commissions), mais également avec la définition de nouvelles arènes de décision, au premier rang desquelles l’intercommunalité. À défaut de réduire le nombre d’unités territoriales, l’attention s’est portée, depuis une vingtaine d’années, vers le renforcement des établissements publics de coopération intercommunale (4) auxquels les communes ont été amenées à transférer des missions élargies tout en conservant le bénéfice de la légitimité électorale (5). De fait, l’activité concrète des dirigeants locaux se déploie désormais autant, voire moins dans les assemblées représentatives que dans tous ces lieux – plus ou moins formels de partenariat, soustraits bien souvent au contrôle des citoyens."