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Docteur en sciences de l’éducation et président du Groupe français d’éducation nouvelle, Jacques Bernardin appelle à s’interroger sur les pratiques pédagogiques.
Ce débat sur les rythmes est-il une priorité pour l’école ?
Jacques Bernardin. C’est le serpent de mer des débats sur l’éducation où tout le monde a son avis mais qui occulte les questions de fond. Les difficultés comme la fatigue de l’écolier ne sont pas, ni seulement, ni essentiellement une question de rythmes.
Le fait que la France ne cumule que cent quarante jours d’école extrêmement chargés ne pose-t-il pas, tout de même, un problème ?
Jacques Bernardin. Si, bien sûr. La création de l’aide personnalisée et de la semaine de quatre jours a exacerbé le sentiment d’accélération des tâches à effectuer dans un temps contraint. Or, d’une manière générale, l’urgence est plutôt défavorable aux apprentissages. Il y a donc nécessité d’un réaménagement global du temps scolaire, avec notamment une alternance sept semaines de cours, deux semaines de congés et un retour à une semaine ?de quatre jours et demi de ?classe. Il faut desserrer l’étreinte. ?Les parents le souhaitent. ?Et également les enseignants, qui avaient bien constaté une fatigue des élèves, particulièrement préjudiciable aux plus éloignés ?de l’univers scolaire.
Ce type de réforme est-il de nature à enrayer les difficultés d’apprentissage des élèves ?
Jacques Bernardin. Cela ne suffira pas. Cela pourrait être une opportunité à saisir mais à condition de la travailler jusqu’au bout et de questionner ce que l’on discute moins : le contenu des journées scolaires et le sens des situations scolaires. On sait que la diversité des champs disciplinaires est un facteur de renouveau de l’intérêt des élèves. Malheureusement, ces dernières années, le temps d’école extrêmement contraint a poussé les enseignants à se polariser sur les apprentissages fondamentaux, accordant beaucoup moins d’importance aux sciences, ?à l’histoire et plus encore aux activités artistiques et sportives. ?La pression évaluative a conduit à pressuriser ce temps d’apprentissage et à multiplier les temps de contrôle. Il y a donc nécessité à rééquilibrer, en mettant en place une alternance entre ?les activités de découverte et ?les activités de renforcement.
Vous évoquez le « sens » que l’on donne aux situations scolaires. Qu’entendez-vous par là ?
Jacques Bernardin. C’est pour moi le point le plus important. Le rapport aux apprentissages est trop souvent vu à travers une naturalisation des différences devant les activités scolaires. Tel élève serait rapide, tel autre serait lent et il suffirait, pour résoudre ses difficultés, d’en demander moins au second, d’alléger son programme ou de réduire sa durée de classe. Au final, on entretient une vision étriquée des capacités des élèves, notamment ceux de milieux populaires, sans jamais interroger les pratiques d’enseignement. Or, elles font l’essentiel. Les psychologues le répètent : une activité dépourvue ?de sens semble toujours trop longue et pénible. Par contre, ?plus elle a d’unité, plus elle apparaît passionnante et ne fatigue pas, voire stimule. Si l’on veut travailler sur les difficultés scolaires, la question au cœur n’est donc pas celle des rythmes mais bien celle de la mise en œuvre de pratiques pédagogiques propres à mobiliser tous les élèves, à commencer par les plus fragiles. Si ce débat n’a pas lieu, cette réforme sera une occasion manquée.