In Libération société – le 26 septembre 2013 :
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«Libération» raconte le travail au quotidien d’un REV, ces postes fraîchement créés à Paris, chargés d’organiser dans les écoles le temps périscolaire. Au pas de course.
La journée de mardi s’annonçait plutôt cool. Enfin, comparée aux semaines précédentes. François a quand même appris au réveil deux défections dans son équipe. L’un des animateurs s’est fait une hernie discale, l’autre est malade. Il a trois heures pour trouver une solution.
Depuis la rentrée scolaire, François, 30 ans, est «REV» (Responsable éducatif ville), ces emplois créés par la ville de Paris pour appliquer la réforme des rythmes scolaires. Il y a un poste par groupe scolaire, 385 au total. François a atterri dans le chic VIIe arrondissement, dans une école qu’il connaît déjà bien. «Heureusement. Ça simplifie les choses», dit-il en posant son casque de scooter dans un coin de la bibliothèque, «son terrier» comme il l’appelle. «Je n’ai pas de bureau, je pose mes affaires ici du coup. Peut-être que ça viendra un jour, le bureau. Chaque chose en son temps.»
Le métier est tout nouveau, encore en construction. Jusque là, il était directeur du centre de loisirs du secteur, accueillant les enfants le mercredi et pendant les vacances scolaires. Depuis un mois, avec cette nouvelle casquette qui tient en trois lettres, il gère les enfants participant aux ateliers périscolaires les mardi et vendredi de 15 heures à 16h30, après la classe, puis l’étude entre 16h30 et 18 heures.
«J’ai voulu un noyau dur d’animateurs»
Il partage aussi la responsabilité de «la pause cantine» avec le chef d’établissement. «Le directeur garde le côté administratif (la liste des présents, le paiement…) et nous, les REV, on gère le pédagogique. La gestion des équipes, en fait.» Une sacrée machine. D’autant que François est à cheval sur deux écoles : une élémentaire et une maternelle attenante, soit 500 enfants en tout. Tous ne mangent pas à la cantine et ne participent pas aux ateliers périscolaires mais c’est une grande majorité. «On n’a pas encore les listes définitives. Il y a toujours des ajustements», dit-il en jetant un œil à sa montre. Huit minutes avant la sonnerie de 11h30, il faut y aller.
Il descend quatre à quatre les escaliers, traverse la cour. Un tour en maternelle pour commencer et briefer son équipe du jour. Ils sont treize animateurs pour les tout petits, plus les assistantes maternelles (Atsem) qui viennent en renfort en roulement. Ça, c’est pour le temps du midi. Pour les ateliers périscolaires, à 15 heures, les intervenants ne sont pas forcément les mêmes. «J’ai fait en sorte au maximum d’avoir un noyau d’animateurs fixes qui font tout : la cantine, les ateliers de 15 heures, l’étude et le centre de loisir le mercredi. Sinon, c’est ingérable.» Il n’empêche. L’équipe est rarement la même deux jours d’affilée. «J’ai deux absences aujourd’hui. La mairie m’envoie un remplaçant, je ne le connais pas, j’espère que ça va le faire. Ensuite, je vais bidouiller, en répartissant les enfants dans plusieurs groupes.»
«Cette réforme n’est facile pour personne»
Il repart au pas de course, l’œil rivé sur la cour de récré qui ressemble à n’importe quelle cour de récré : des enfants qui crient, courent partout, d’autres qui sautent à l’élastique. Des ballons qui volent. François est visiblement tendu. «Ça va, ça se passe bien, mais quand même, depuis la rentrée, l’ambiance est électrique. Cette réforme n’est facile pour personne.» Les animateurs, souvent en statut de vacataires (payés à la journée, pas de congés payés ni arrêt maladie), se retrouvent avec des horaires encore plus hachés qu’auparavant. Les enseignants subissent souvent la réforme, et sont souvent forcés de laisser leur salle de classe. Quant aux enfants, certains sont un peu paumés. «Il faut surtout que les parents les retrouvent en un seul morceau à la sortie. C’est mon premier objectif, la sécurité. Après, si on peut leur proposer des activités intéressantes, un projet pédagogique, oui, bien sûr, c’est le but.»
Il est à la recherche de Martine, l’une de ses animatrices «sur qui on peut compter». Elle est à l’étage, en pleine réflexion «pancartes» pour améliorer la jonction de 15 heures entre la classe et les ateliers. La semaine dernière, certains groupes ont rejoint leur salle vingt minutes avant la fin… «Ça le fait pas. Ces temps de flottements, c’est le pire. Les enfants s’énervent et nous aussi, les adultes», confie Martine entre deux portes. «Ah et pour les cartables, on fait comment ?, questionne-t-elle. La semaine dernière, on s’est retrouvé avec 250 cartables entassés sous le préau… C’est un détail tout bête, mais personne n’y a pensé.»
«C’est chaud. A chaque fois, je me prends une suée»
Déjà 15 heures. François a à peine eu le temps de manger, il file devant la grande porte d’entrée, un post-it à la main. «La directrice m’a donné le nom des enfants qui ne restaient pas aux ateliers. Heureusement, on collabore bien. Elle n’était pas favorable à la réforme mais elle joue le jeu. A vrai dire, on est dans le même bateau.» Les sorties de 15 heures et de 16h30, c’est le point sensible. S’assurer que les enfants qui partent à 15 heures n’étaient pas inscrits aux ateliers périscolaires et ne se retrouvent pas seuls dans la rue… «C’est chaud. A chaque fois, je me prends une suée. Heureusement, je connais certains enfants du centre de loisirs, ça aide. Le pire, c’est pour les petits CP.»
Pendant ce temps, dans la cour, les groupes s’organisent avec les petites pancartes de Martine. De l’avis général, «c’est un peu moins le bazar que la semaine passée». Grosso modo, les ateliers ont commencé avec une petite demi-heure de retard. La journée de François n’est pas terminée, il restera là jusqu’à 18 heures passées. «Et encore, ça s’est bien calmé depuis la rentrée. Au début je faisais des journées de 10-12 heures, alors que sur ma fiche de poste, je suis encore aux vieux horaires de 3 heures et demie par jour. Espérons que la ville de Paris régularise vite notre situation.» Jusqu’ici, il gagnait 1 500 euros par mois hors prime. Il espère passer à 2 000 avec son salaire de REV. «Je vous dirai dans quelques mois.»