Bon nombre d’enseignants disent s’être formés « sur le tas », dans le cadre de l’établissement, au contact de leurs pairs. Cette problématique d’une formation in-situ venant en complément de la formation initiale nécessite une réflexion quant à sa mise en oeuvre et aux modalités d’une institutionnalisation qui ferait des EPLE des « établissements formateurs ». Certes, la formation en établissement favorise les échanges entre les différentes disciplines et contribue à la transmission intergénérationnelle de pratiques professionnelles mais ne convient-il pas d’être prudent en internalisant la formation en établissement à moyens constants et en comptant uniquement sur le volontariat des enseignants à se former « tout au long de la vie » ? Alternant conférences, ateliers et témoignages, les participants du colloque ont exploré les différentes facettes de cette formation sur site dont il est nécessaire de délimiter les contours, d’étudier les modalités possibles pour passer de l’informel à des laboratoires permanents et accompagnés où les pratiques deviennent objets d’étude.
Apprendre sur le lieu de travail
Patrick Mayen, enseignant chercheur en didactique professionnelle pose d’emblée la question : apprend-on sur son lieu de travail ? Pas toujours, assure-t-il du travail : il y a une différence entre avoir de l’expérience et faire une expérience. Il ne suffit pas de se réunir sur un lieu de travail pour y apprendre. L’analyse du travail permet l’analyse des conditions qui mènent à la professionnalisation. Il aborde la notion de potentiel d’apprentissage des situations.
Comment et pourquoi apprend-on au travail ? Opérant un pas de côté, il nous emmène dans une PME (un garage) pour un repérage des conditions de situations de travail apprenantes. Lorsque l’analyse de la panne se transforme en collectif centré sur la résolution du problème posé, chaque intervenant de la chaîne approfondit ses connaissances professionnelles, à condition cependant qu’il y ait un accès au résultat de l’action, des ressources et l’appel au collectif. L’apprentissage réussi s’appuie sur « un matériau qui résiste » et une activité réflexive tout au long de l’action. La rencontre permanente de situations complexes permet la réactivation et la succession d’apprentissages, amène les progrès.
Certaines situations permettent de maintenir un niveau d’apprentissage élevé, d’autres moins. Une situation apprenante l’est de quelque chose. De quoi? Un groupe de situations, un parcours, la mise en relation des situations avec des professionnels différents. Ce qui renvoie à la question de la formation par alternance en fonction du potentiel des situations. Découvrir de ce avec quoi, avec qui nous travaillons génère des changements de point de vue, de position. Analyser des situations à la fois semblables et si différentes permet d’en comprendre les dysfonctionnements et construire des solutions concrètes. Ce qui ne suffit pas à installer des habitudes de nouvelles capacités : la difficulté est de tenir dans la durée ; l’entrainement est une fonction principale de l’apprentissage.
Former en établissement
Pour Luc Ria, professeur à l’IFE et porteur de la chaire UNECO, un déplacement des enjeux de formation initiale et continue se profile aujourd’hui avec en filigrane cette question : peut-on apprendre à enseigner en dehors des situations professionnelles ? L’apprentissage de gestes professionnels passe forcément par l’exercice du métier en interaction avec des enseignants « de terrain » avec alternance entre temps de travail et temps de formation. L’établissement d’accueil peut être un lieu où l’on travaille sur les pratiques pédagogiques et à la transmission des savoir-faire enseignants à condition d’impulser et d’institutionnaliser ces temps de réflexion.
Comment passer d’une culture disciplinaire individuelle à une culture plus transversale et solidaire ? Comment transformer sans formater ? Il existe des attentes spécifiques en formation sur site. Et même si parfois le besoin ne s’exprime pas, il y a nécessité de revitaliser le métier, susciter des controverses professionnelles. A l’échelle internationale, cela existe depuis des années : il faut construire une synergie entre les pilotes de la formation initiale et de la formation continue, mobiliser des ressources trans générationnelles de l’activité professorale.
De nouveaux outils existent : la vidéo-formation qui permet de mobiliser un triple jeu miroir pour apprendre d’une activité tierce, apprendre de sa propre activité, apprendre de l’activité des élèves ; les outils d’analyse à s’approprier progressivement.
Il relève trois obstacles : dépasser les utopies, garder un projet ambitieux, dépasser les pratiques informelles. Il faut s’approprier les outils pour élaborer des étapes d’analyse et de construction de solutions sur le terrain. Il donne les clés de la réussite : une équipe de pilotage, une équipe des personnes-relais de l’établissement, la formation de ces équipes avec un volume d’heures de formation intégré et annoncé dans l’emploi du temps sur des projets thématiques collectifs.