In Les Cahiers Pédagogiques – le 2 juin 2014 :
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Pour ne surtout pas rester dans un sentiment d’impuissance, une tribune qui rappelle aux enseignants que l’on peut faire reculer la banalisation des idées extrémistes, concrètement, dans nos classes.
Que dire qui n’ait été dit sur la consternation de voir, scrutin après scrutin, la progression du Front national, la banalisation des idées d’extrême-droite, le succès dans une partie importante de la jeunesse de ces idées ? Que dire qui n’ait été dit sur l’urgence de se mobiliser, de riposter, de ne pas se résigner ? Que dire qui n’ait pas été dit sur les responsabilités de nombreux acteurs de notre démocratie qui n’ont pas été à la hauteur de leur mission pour laisser les choses se faire ainsi ?
En tant que pédagogues, enseignants, participant à la formation de la citoyenneté, de l’esprit critique, nous avons à nous exprimer. D’autant que certains enseignants font honte à la profession, en soutenant ces conceptions rétrogrades et liberticides : ceux du collectif Racine qui se veut un appui actif à l’idéologie « bleu marine » ou encore ce nouveau maire appartenant au Front national et qui enseigne en lycée.
Mais comment faire ? Tout n’a certainement pas été dit, et encore moins fait. Sur le plan de l’école, il nous semble urgent de renoncer aux corporatismes qui bloquent toute avancée, pour avancer, dans un esprit de responsabilité, sur au moins trois chantiers :
- la mise en place effective d’un socle commun qui permette de ne pas abandonner les plus fragiles. En effet, la corrélation entre le vote un peu désespéré pour le Front national (ou le refuge dans l’abstention) et le déclassement social est à chaque fois en grande partie vérifiée.
- le développement de pratiques coopératives, dans des classes hétérogènes, pour combler les fractures sociales et culturelles
- un vrai développement de pratiques visant à promouvoir la citoyenneté, mais aussi à valoriser l’action politique si discréditée.
Les beaux discours ne suffiront pas, il faut développer la participation des élèves à la vie de l’établissement, les faire aussi travailler en classe sur des situations qui font émerger des débats étayés par des connaissances. Cela bien sûr demande une maitrise de la part des enseignants, d’où l’importance de la formation, là aussi. C’est dans cet esprit-là qu’il faut concevoir l’enseignement laïque de la morale. N’oublions surtout pas que, contrairement à ce qu’on entend, les « jeunes » n’ont pas davantage voté Front national qu’en 2012, ni même peut-être qu’en 2002, comme les Français dans leur ensemble, (si on parle de voix et non de pourcentages), mais ils se sont énormément abstenus et notre rôle est de leur montrer l’importance du débat citoyen et du vote.
C’est vrai que les effets ne peuvent pas être immédiats, mais à notre niveau, ce sera sans doute la façon la plus efficace de combattre la fatalité d’une ascension qui n’est pas irrésistible.
Ceux qui continuent à prôner ou à défendre de fait, derrière des discours hypocrites, un élitisme d’une part, et un immobilisme de l’autre, ceux qui sont uniquement dans une culture d’opposition envers « ceux d’en haut » et dans la recherche d’un bouc émissaire quel qu’il soit, nous semblent dans la situation actuelle des irresponsables. Comme ceux qui dédouanent l’école de toute responsabilité.
Pour notre part, nous continuons à prendre la nôtre. A travailler, dans l’école et dans la société, pour que l’institution scolaire se renouvelle et prenne bien davantage en compte les besoins et aspirations des milieux défavorisés. Pour qu’elle cesse de renforcer, par son fonctionnement même, et en dépit de la bonne volonté d’une majorité de ses acteurs, les criantes inégalités de la société. Et pour qu’elle forme des citoyens qui auront envie de participer à la vie publique autrement qu’en envoyant des messages désespérés et désespérants.
Le bureau du CRAP-Cahiers pédagogiques