La crise financière donne lieu à de nombreuses déclarations consistant à se plaindre de la « cupidité » (greed) régnant sur le monde de la finance et à prôner une « moralisation » des marchés. On comprend que les montants des salaires, dividendes, bonus et autres parachutes dorés des dirigeants et des traders fassent d’autant plus frémir que l’on découvre quel genre d’activité « toxique » ils ont parfois rémunérée et quelles en sont aujourd’hui les funestes conséquences. On peut cependant s’étonner de rencontrer un vocabulaire invoquant des choix purement individuels, comme si le problème venait de l’insuffisante capacité des financiers à distinguer entre le Bien et le Mal.
L’une des raisons, peut-être pas la seule, du découplage entre la sphère financière et le reste de l’économie a été la pression exercée sur les sociétés de cette branche par leurs clients pour obtenir des retours substantiels. Mais qui sont ces clients ? Nous tous, ou presque. Immobilier, fonds de pension, assurances, gestion de fortune touchent peu ou prou l’immense majorité de la population des pays développés. Or cette évolution n’a pas eu lieu que pour de mauvaises raisons.
Ce changement a accompagné l’émergence de l’acteur individuel dans la gestion des grands choix stratégiques qui organisent sa propre vie. Ainsi, un peu partout, les revenus des retraités ont subi (ou subissent) une dissociation croissante entre une part garantie par l’état au nom de la protection sociale et une part personnelle qui dépend à la fois du parcours professionnel et des différentes options d’épargne opérées par les individus.
On aurait certes pu imaginer d’autres solutions pour gérer cette mutation, mais c’est un fait que, déjà impliqués massivement dans les équilibres économiques à travers leurs salaires (fordisme), leurs achats (« société de consommation ») et leurs prestations sociales (état-providence), les « citoyens ordinaires » jouent un rôle essentiel dans un quatrième domaine économique, la finance. Souvent victimes des catastrophes, ils sont à chaque fois aussi les protagonistes des événements.
de Jacques Levy
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