In Educavox – le 1er octobre 2013 :
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Alors que le ministère prétend de bonne foi donner la priorité à l’enfant, les impératifs de la gestion et les pratiques technocratiques la font disparaître, noyée dans les usines à cases, dans les lignes budgétaires et dans le règne de l’apparence.
Plusieurs journalistes, que l’on peut toujours considérer comme de mauvaise foi ou comme des agents de l’opposition politique, attirent l’attention – et ils ont raison – sur une réalité largement perçue : les enfants dans les écoles qui se sont engagées dans la réduction de la journée scolaire, sont déjà fatigués. Evidemment, on peut toujours répondre que le phénomène est connu et que de tout temps, les enfants étaient fatigués après un mois de classe. On peut aussi se dire que la réforme du temps scolaire, qui n’est pas la refondation, aurait pu ou du au moins atténuer cette fatigue. Il est évident qu’il n’en est rien et que, au lieu d’attendre et d’espérer des ajustements, des réglages, des améliorations, le ministère aurait intérêt à remettre l’ouvrage sur le métier avant que la totalité des écoles ne se lance dans l’aventure ou renonce.
Un balayage, même sommaire et rapide, des facteurs de fatigue pourrait au moins poser les problèmes avec la volonté de les résoudre. La négation des problèmes au nom du célèbre adage « donner du temps au temps » pourrait conduire à la disparition du projet dans la ouate institutionnelle ou dans le sable des apparences.
Il convient d’abord de resituer la réduction de 45 minutes du temps scolaire dans l’ensemble de la journée. Quel peut-être l’impact de cette courte réduction pour les enfants qui sortent de leur maison à 8 h pour y rentrer à 18 h ? Avec des temps de garderie, des pauses méridiennes parfois rallongées pour faire des économies et des activités occupationnelles sans intérêt. Sachons que des maires de village déclarent faire de la garderie eux-mêmes, que des maires de ville modifient les tâches des ATSEM pour faire de la garderie durant le temps périscolaire.
Il faudrait aussi rappeler avec force, ce que tout le monde semble oublier, que le temps scolaire, même amputé, est fortement générateur de fatigue. Si les enfants s’ennuient, s’ils ne comprennent rien aux apprentissages scolaires, s’ils rejettent l’école, ils se fatiguent, et les 45 minutes n’y changent pas grand-chose. Or, le maintien des programmes indigents de 2008 qui sont toujours autoritairement imposés, le déni de la pédagogie, l’évaluationnite aigue et les séances d’exercices de remédiation sont des facteurs de fatigue considérables, voire plus importants que la fatigue chrono biologique. Chacun sait qu’une heure d’ennui est plus fatigante qu’une heure de plaisir.
Il faut donc changer l’école pour garantir le bonheur des enfants et leur donner le plaisir d’apprendre. Il y a peu de chance que les comités de suivi de l’application de la loi osent aborder ces problèmes, leur rôle étant, sous la houlette des DASEN, de faire remonter au ministre que tout va bien. La culture de la pyramide impose depuis toujours des instructions descendantes et des satisfactions remontantes, sous tous les régimes. Il faudrait que les acteurs du terrain avec les élus s’emparent eux-mêmes de l’évaluation / régulation du projet éducatif de territoire quand il existe.
L’analyse des activités proposées ou imposées hors temps scolaire est également à conduire sur le terrain. On semble se satisfaire du nombre de cases remplies dans les tableaux sans trop se préoccuper ni du qualitatif, ni des risques de frustration, ni du rapport avec la réussite scolaire, ni de la fatigue générée par la course contre la montre. Que faire en 45 minutes avec le temps de mise en place d’une activité et du rangement du matériel ? On juxtapose des activités en fonction des personnels disponibles, sans rapport entre elles. On prend le risque de faire rêver des enfants sans garantie de possibilité de poursuivre l’activité hors temps scolaire et durant les vacances. On ne réfléchit pas aux articulations par rapport aux finalités et à des objectifs généraux ciblés partagés par tous les intervenants. Il est vrai que les finalités de l’école ne sont pas redéfinies et qu’il faut bricoler avec les textes ultra conservateurs du gouvernement précédent. On privilégie les animateurs salariés, spécialistes d’un domaine ou d’une discipline, diplômés, ignorant les possibilités d’exploitation des ressources humaines locales dans l’esprit des échanges réciproques de savoirs, de l’intergénérationnel, de la culture de la connaissance, dans des établissements ouverts, les maisons des savoirs et de l’éducation tout au long de la vie, concept promu par la Ligue de l’Enseignement. Il est possible par exemple d’apprendre à parler, à prendre des responsabilités, à coopérer, en ayant une activité musicale, sportive, artistique, scientifique, etc, sans faire de leçon de grammaire inutile. Il est possible de faire appel à des parents non titulaires d’un BAFA, à un jardinier, à un fermier, à un maçon, à un informaticien, etc, pour qu’ils donnent un peu de leur temps, pour permettre des apprentissages non formels plus riches souvent que des activités avec des animateurs professionnels.
C’est vrai, je le répète, qu’il faut du temps pour résoudre tous ces problèmes et pour garantir le bonheur de l’enfant et pour contribuer à sa réussite et à son épanouissement. Encore faut-il poser les problèmes sans attendre. Nous ne sommes pas encore sur cette voie. Les usines à cases, les bricolages pour sauver des apparences, même validées par l’Education Nationale dominatrice, ne feront pas la refondation.
Il n’y aura de réelle refondation que si l’on replace l’enfant, non pas en filigrane, en arrière plan d’un tableau Excel, mais au centre du système.
Pierre Frackowiak
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