L’enseignement des faits religieux est un sujet délicat dans l’Éducation nationale. Pris en étau entre la morale laïque et la volonté politique d’une étude transversale des faits religieux, l’auteure fait un point sur la sujet dans un cadre européen, à la suite d’une publication de l’université d’Artois.
La discussion intense suscitée par le projet d’introduction de « morale laïque » (2012), reformulé en « enseignement laïque de la morale » (2013), puis, enfin, en « enseignement civique et moral » (2014) ayant beaucoup focalisé l’attention, il est opportun de rappeler que l’étude des faits religieux à l’école publique est censée faire partie intégrante du curriculum à travers les enseignements obligatoires dès le primaire jusqu’au lycée, afin de promouvoir une « laïcité d’intelligence » que Régis Debray opposait à une « laïcité d’incompétence » dans son Rapport de 2002(1) au ministre de l’Éducation nationale. L‘étude transversale des faits religieux visant sans équivoque l’acquisition de repères et la construction de connaissances, on ne peut donc la confondre avec une éducation-édification, et, compte tenu de ce choix politique et didactique revendiqué par le système éducatif français, aucune prévention ne devrait normalement s’opposer à un enseignement greffé sur des disciplines clairement identifiées dans le but d’en développer des dimensions sous-jacentes ou expresses. Néanmoins, celui-ci semble peiner à faire reconnaître sa pleine légitimité dans la culture scolaire et dans la formation des maîtres depuis vingt-cinq ans qu’on y réfléchit, c’est-à-dire depuis le Rapport Joutard (1989).
La question préjudicielle que soulève Philippe Gaudin, philosophe à l’IESR-EPHE et auteur d’une thèse sur ce sujet(2), est donc significative d’un malaise persistant : « existe-t-il un enseignement des faits religieux en France ? ». Aussi est-il plus que jamais nécessaire de se tourner vers des travaux de recherches afin de mieux appréhender et diagnostiquer les disparités de la mise en oeuvre scolaire, voire l’enlisement du projet global auquel nous sommes confrontés, en dépit d’une volonté politique constante et de préconisations réitérées, du rayonnement du centre national de formation et de recherche très actif qu’est l’Institut Européen en Sciences des Religions (IESR) et d’un corpus de publications savantes et pédagogiques mises à disposition des enseignants par le réseau Canopé.
A ces preuves d’engagement institutionnel, s’ajoute l’opportunité représentée par un « socle commun » en cours de réécriture et par le lancement des consultations des enseignants sur les projets de programmes du primaire. Dépayser le regard sur cette question peut donc nous aider à négocier le tournant qui se présente pour notre école. Qu’en est-il de cet enseignement aujourd’hui à une échelle européenne ? Quel est son lien avec l’éducation morale scolaire et l’éducation à la citoyenneté ? Une récente publication de l’Université d’Artois qui a également fondé son propre institut d’étude des faits religieux (IEFR), permet d’éclairer ces questions vives à l’aide d’études de cas approfondies dans quatre pays et d’une démarche comparative(3). Les contributions tant : « existe-t-il un enseignement des faits religieux en France ? ».
Aussi est-il plus que jamais nécessaire de se tourner vers des travaux de recherches afin de mieux appréhender et diagnostiquer les disparités de la mise en oeuvre scolaire, voire l’enlisement du projet global auquel nous sommes confrontés, en dépit d’une volonté politique constante et de préconisations réitérées, du rayonnement du centre national de formation et de recherche très actif qu’est l’Institut Européen en Sciences des Religions (IESR) et d’un corpus de publications savantes et pédagogiques mises à disposition des enseignants par le réseau Canopé.
A ces preuves d’engagement institutionnel, s’ajoute l’opportunité représentée par un « socle commun » en cours de réécriture et par le lancement des consultations des enseignants sur les projets de programmes du primaire. Dépayser le regard sur cette question peut donc nous aider à négocier le tournant qui se présente pour notre école. Qu’en est-il de cet enseignement aujourd’hui à une échelle européenne ? Quel est son lien avec l’éducation morale scolaire et l’éducation à la citoyenneté ? Une récente publication de l’Université d’Artois qui a également fondé son propre institut d’étude des faits religieux (IEFR), permet d’éclairer ces questions vives à l’aide d’études de cas approfondies dans quatre pays et d’une démarche comparative(3). Les contributions réunies par Déborah Vandewoude et Denis Vigneron cherchent à « établir, loin de tout prosélytisme, au travers d’un état des lieux de situations nationales particulières, un panorama européen des liens sensibles entre religion, culture, laïcité, éthique et éducation ». Qu’il faille préciser « loin de tout le prosélytisme » prouve que des suspicions latentes entourent toujours le syntagme de « faits religieux » en dépit d’une institutionnalisation des « sciences religieuses » depuis la fin du XIXe siècle en France, comme si un halo d’irrationalité inhibait a priori toute étude scientifique possible. La controverse épistémologique sous-jacente tient à la complexité des phénomènes religieux et aux difficultés d’en définir les frontières et le sens, comme l’assimilation hâtive du football à une « religion » le révèle en l’occurrence. La partie la plus philosophique de l’ouvrage démêle judicieusement ces ambiguïtés, en montrant que la religion consiste en un équilibre entre ce qui libère et ce qui
unit, entre « mémoire » et « lien social ».
Mais c’est surtout le choc contrastif que l’on retient de l’ouvrage, car trois pays sur les quatre examinés présentent la caractéristique d’avoir gardé une religion, catholicisme ou presbytérianisme, comme substrat identitaire jusqu’à des époques très récentes, ce qui a impliqué une éducation religieuse univoque dans les écoles. De cette comparaison, la France ressort comme le cas à part, qui a fait de la laïcité le principe philosophique de son école et de sa République.
Chaque monographie montre très bien comment la sécularisation a fait éclater cette économie symbolique de l’identité nationale et induit des évolutions irréversibles que traduisent les réorientations convergentes des systèmes éducatifs vers le « vivre ensemble » démocratique afin de rendre justice au pluralisme convictionnel devenu la norme aujourd’hui. L’étude des faits religieux ne peut donc être menée partout et tout le temps avec la même neutralité d’entomologiste, puisque ces « faits » s’inscrivent dans des cultures et des histoires et l’enseignement réveille alors, inévitablement, du fait de leur actualité, des lieux douloureux de la mémoire collective et personnelle.
(1) Rapport sur l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque.
(2) Théorie et pratique de la laïcité en France au regard de l’enseignement des faits religieux à l’École publique, à paraître aux Presses universitaires d’Aix-Marseille.
(3) Vandewoude d. et Vigeron D. (études réunies par), L’enseignement des faits religieux. France-Espagne-Irlande-Écosse, Artois Presses Université, Arras, 2014.
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