In L’Expresso – Le Café Pédagogique – 10 décembre 2013 :
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Québec, Belgique, Suisse romande, comment s’y prend-on ailleurs pour enseigner la morale à l’école ? A l’occasion des Rencontres sur les NPP à l’Unesco, le 27 novembre, une table ronde réunissait autour de Michel Tozzi, principal représentant de la philosophie pour enfants en France, et de Laurence Loeffel, chargée du rapport de la mission ministérielle sur la morale à l’école, des enseignants de pays francophones, venus témoigner de pratiques déjà en usage ailleurs. Où l’on mesure l’influence historique, politique, sociale et culturelle d’un tel enseignement.
La DVP au service de la morale scolaire ?
Pour Michel Tozzi, la morale à l’école pourrait gagner à s’appuyer sur les modèles de discussion philosophique dont il défend depuis des années l’introduction dans les cursus scolaires, des classes élémentaires voire pré-élémentaires au lycée. Alors que la France s’apprête à inaugurer un enseignement laïque de la morale à l’école en 2015, le tour de table des enseignants francophones de morale permet de prendre la mesure de la spécificité d’un tel enseignement, très sensible en termes de convictions et de partage d’autorité.
Ne pas faire de la laïcité un dogme
En Belgique, le cours de morale non confessionnelle est proposé en alternative aux cours d’instruction religieuse pour les élèves dont les familles ne se réclament d’aucune confession. Michèle Coppens (Inspectrice retraitée de morale) présente cet enseignement comme une initiation au libre examen : loin de faire de la laïcité un dogme, il exerce les élèves à la résolution de problèmes moraux, sans références transcendante. Les écueils à éviter en ce domaine, souligne Mme Coppens, sont essentiellement « le moralisme, le paternalisme et le relativisme ». Le respect de l’égale dignité des personnes ne signifie pas l’indifférence à leurs différends, la conduite des élèves ne signifie pas une emprise d’autorité sur leur jugement et l’enseignement de valeurs ne met aucun jugement à l’abri d’un questionnement critique.
Éthique, cultures et religions : une démarcation difficile.
Au Québec, représenté par Mathieu Gagnon, de l’Université de Sherbrooke, le cours d’éthique et de culture religieuse s’adresse à tous. La démarche est davantage tournée vers le développement de l’esprit critique que vers l’appropriation pratique de maximes d’action. La dimension affective, très développée en Belgique, est moins valorisée au Québec que la délibération et l’argumentation rationnelles. En Suisse, selon Andréa Rota, de l’Université de Fribourg, le cours d’Éthique laïque en secondaire 1 laisse place au cours de Religion(s) et culture(s) au secondaire 2, selon une progressivité qui respecte le principe de laïcité en créant les conditions d’une approche ouverte « en matière » de religion. L’accent est porté sur la connaissance des valeurs de l’autre pour en favoriser le respect. L’histoire biblique sert de support à la réflexion sur des modèles de comportement en relation avec des modèles éthiques. Le principal support, le manuel à visée œcuménique des éditions Enbiro (Enseignement Biblique et Inter-religieux Romand), maintenant éditions Agora, fait l’objet d’assez vives controverses. L’idée même que des « clés de lecture » dispensées sous l’autorité de l’État, seraient nécessaires pour aborder la religion et la culture, soulève des réactions.
Le tsunami de la morale laïque en France
En ce qui concerne la France, Laurence Loefel souligne la bizarrerie de devoir lutter pour justifier un enseignement dont seules les modalités font débat ailleurs, mais pas la légitimité de son existence. La seule mention de l’enseignement d’une morale laïque a « fait l’effet d’un tsunami, en France », déplore-t-elle. On croit y déceler un relent de 3ème République, un soupçon d’endoctrinement d’État, comme s’il était concevable, remarque-t-elle, que des enseignants français acceptent de se prêter à cela ! Actuellement, l’enseignement de la morale existe à l’école, mais il est très centré sur les questions du « vivre ensemble », principalement traitées par la vie scolaire à partir du collège. Et viennent s’y surajouter toutes les formes « d’éducation à.. » (la sécurité routière, la sexualité, la santé…) pour un résultat impossible à gérer.
Transformer les obstacles en défis pédagogiques
Dans l’enseignement scolaire, on passe d’une morale du comportement en primaire, très
portée sur les règles de vie de classe, à une formation du jugement critique très théorique et abstraite dans le secondaire, en particulier à travers l’ECJS prise en charge pour des raisons de tradition institutionnelle par les enseignants d’Histoire. Le caractère difficile et abstrait de l’approche théorique de la citoyenneté éloigne la formation de l’esprit citoyen de la réalité quotidienne de la vie civique des individus. L’enseignement laïque de la morale serait l’occasion, pour L. Loefel, de transformer les obstacles en défis pédagogiques, et d’abord de surmonter les préjugés sur la morale. Cet enseignement serait l’occasion d’en appeler à la réflexion critique des élèves dès le plus jeune âge, de manière à ré-articuler la formation du sujet, de la personne et du citoyen de manière cohérente. Le principal problème est d’établir les principes philosophiques fondamentaux à adopter. En ce qui concerne la méthode, « un éclectisme de bon aloi » sur le modèle de la Belgique, pourrait prévaloir. En particulier, un usage renforcé de la DVP (méthode Lipman) pourrait se révéler utile, sous condition, précise-t-elle, d’en « travailler les fondements philosophiques ».
« A nous de faire la preuve que nos pratiques sont philosophiquement fondées », en conclut Michel Tozzi, qui voit dans l’enseignement laïque de la morale à l’école une excellente entrée des méthodes d’apprentissage de la philosophie qu’il défend au sein de l’institution.
Jeanne-Claire Fumet
Le rapport de la mission sur l’enseignement de la morale laïque
A lire : La morale à l’école selon Ferdinand Buisson, par Laurence Loefel – Editions Taillandier. Parution 09-2013. ISBN : 979-1-02100-277-7 – 320p., 19,90 €