Par une présentation diachronique des politiques de lutte contre le manquement à l’obligation scolaire, cet article met en relief la construction et l’évolution des liens politico-juridiques entre l’école, les allocations familiales, la protection des enfants en danger et le traitement de la délinquance juvénile. Les définitions successives des problèmes concernant les enfants et des réponses à y apporter font apparaître, tout d’abord, les oppositions républicaines à la puissance paternelle au nom de l’éducation et de la protection des enfants, puis l’édification d’un système de contrôle sociojudiciaire étatique conjuguant protection des familles et des enfants et, enfin, un processus de fragmentation des politiques éducatives et sociales lié aux préoccupations gestionnaires et sécuritaires des gouvernements durant les vingt dernières années. La définition de l’action publique est alors recentrée sur les parents par un contrôle socioadministratif, généralement contractualisé, qui oscille entre responsabilisation et accompagnement social.
L’examen des raisonnements qui président aux revirements législatifs récents montre que les controverses sur l’utilisation des allocations familiales, pour sanctionner l’absentéisme scolaire, ont contribué à occulter certains enjeux dont celui de la considération de la place de l’enfant dans la société.
Au cours des années 2010-2013, les controverses autour du traitement de l’absentéisme scolaire (1) ont été particulièrement exacerbées suite à la promulgation de la « loi Ciotti » en septembre 2010, et ce jusqu’à son abrogation début 2013. Il s’agit d’une étape significative de l’histoire longue et mouvementée du traitement du manquement à l’obligation scolaire. La loi portée par Éric Ciotti, député UMP (Union pour un mouvement populaire) et spécialiste des questions de sécurité, était destinée à lutter contre les troubles occasionnés par certains jeunes, dont les absentéistes, et à responsabiliser les parents par l’instauration d’une échelle de mesures incluant le contrat de responsabilité parentale (2) et la suspension des allocations familiales. Ce texte réhabilitait, à sa façon, une sanction conçue en 1959 consistant à stopper le versement des allocations familiales (peu appliquée) ; ce faisant, il annulait les dispositions issues du rapport Machard (2003) (3) et celles de la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance qui supprimaient toute sanction par le biais des allocations familiales. En dix ans, le législateur a changé trois fois de directives. Comment comprendre ces revirements ?
Le mouvement de balancier qui tend à privilégier tantôt une approche psychosociale du manquement à l’obligation scolaire, tantôt une appréhension sécuritaire des conduites juvéniles hors normes, est également perceptible dans le secteur de la protection de l’enfance en danger (4) auquel l’école est articulée. Des divergences d’orientation se sont notamment cristallisées lors de la parution des lois sur la protection de l’enfance et sur la prévention de la délinquance, le 5 mars 2007 (5). Bien qu’ils soient jumeaux, ces textes sont de facture différente : le premier a été porté, sous la houlette de Philippe Bas, par un groupe de centristes et de socialistes alors que le deuxième a été soutenu par des membres de l’UMP dans le sillage des lois Perben sur la programmation de la justice (2002-2004). Cette promulgation simultanée de textes divergents casse le raisonnement qui rapprochait les jeunes délinquants des enfants en danger dans une perspective protectrice et rééducative issue de l’après-guerre et, plus spécialement, de la constitution de la Ve République (Yvorel, 2004). Les lois de 2007 sont, en effet, significatives de la césure catégorielle qui se forme entre, d’un côté, les enfants et les familles considérées comme vulnérables, méritant d’être soutenus et, de l’autre, les jeunes perçus comme semeurs de troubles, nécessitant des sanctions, ainsi que leurs parents désignés responsables (Becquemin, 2007). De même, les élèves absentéistes et leurs parents peuvent-ils être estimés selon l’une ou l’autre de ces représentations […]
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