Bernard CORBINEAU, Professeur associé Université de Marne la Vallée, responsable option « management de l’intégration des TIC au sein des collectivités territoriales » MASTER Ingénierie de l’Information, de la Décision et de la Connaissance
Damien ROUCOU, Responsable pédagogique du « Lesite.TV » et enseignant associé Ã l’Université Paris IV-La Sorbonne : Master cinéma-audiovisuel
L’école numérique : du cartable en ligne au réseau d’acteurs éducatifs.
Les nouvelles technologies modifient les supports éducatifs et leur diffusion mais également la circulation des savoirs entre les différents acteurs de la communauté éducative. Encore trop centrés sur l’établissement scolaire, les espaces de travail collaboratifs pourraient constituer des lieux virtuels et réels d’innovation pédagogique. Dans le cadre d’un projet éducatif d’une collectivité, pourquoi ne pas penser un service éducatif en ligne, ouvert également aux usagers des services sociaux, ou de santé, aux service culturels, en lien avec la vie économique et la vie associative du territoire ?
Les technologies de l’information et de la communication prennent peu à peu leur place dans le champ de l’éducation et de la formation comme vecteurs ou supports d’innovation. A tous les niveaux et pour tous les acteurs, au-delà de l’intégration d’outils modernes ou d’équipements informatiques, les nouvelles technologies et leurs applications sont désormais présentes dans le quotidien de l’éducation nationale. Dans la société de la connaissance, l’internet est un fait de civilisation majeur et actuel qui nous oblige à repenser les modes d’accès et de transmission des savoirs. L’attrait pour web, l’intérêt du web en fait un pourvoyeur d’usages et de représentations incontournables chez les jeunes. Le web est devenu la première pratique médiatique des moins de 25 ans en 2008. Et l’inter opérabilité avec la téléphonie mobile le second mode d’accès aux contenus numérisés.
L’enjeu se trouve dans les nouvelles relations pédagogiques et les nouveaux parcours d’apprentissage qui se dessinent au travers d’une école connectée. La technologie a beau rester neutre en soi, le web en tant que véhicule d’une relation écoles/familles/territoires plus ouverte qu’auparavant n’en constitue pas moins le support d’une pédagogie de la relation renouvelée, réaffirmée, recomposée.
L’intérêt des ENT
Bien au-delà d˜un poste de travail informatique, les nouveaux espaces numériques de travail posent la question des nouveaux territoires de l’école. L’école 2.0 ou encore « l’école enrichie » évoque un principe d’ENT (Environnement Numérique de Travail) qui offre un espace de travail sécurisé, permanent, distant et nomade (depuis le domicile, une bibliothèque, le collège, un hôpital, etc….).
Les ENT permettent une meilleure communication entre les membres de la communauté éducative, un élargissement des outils disponibles pour les élèves et une richesse d’expérimentation pour tous les médiateurs éducatifs (pas uniquement les professeurs et les élèves mais animateurs, éducateurs, formateurs, les parents et l’administration).
Tous émetteurs, transmetteurs, organisateurs ou facilitateurs, deviennent des agents de l’apprentissage de l’élève ou de l’épanouissement du jeune, lui-même valorisé et soutenu dans son parcours et ses découvertes, comme un acteur à part entière. Sans tomber dans une idolâtrie techniciste, on peut tout de même avancer que chaque membre de cette communauté éducative présent dans cet espace agit comme connecteur pour l’ensemble du groupe. C’est la volonté éducatrice de la collectivité qui trouve dans l’appareillage et le service numérique un support d’expression commun, un média évolutif à sa disposition.
Un ENT est un espace contenant un ensemble de services que l’on appelle le bureau virtuel. Il peut y avoir des éléments concernant la vie scolaire, l’administration de l’établissement, les contenus disciplinaires, des ressources extérieures ou encore des outils méthodologiques. Il s’agit en définitive d’un intranet d’établissements d’enseignement connectés en réseau mais qui dispose d’une technologie adaptée à l’éducation. Il favorise l’émergence d’une micro-édition et de chaînes de publication dans un cadre pédagogique ou ludo-éducatif sur des médias interactifs et inter-opérables.
Le principe est toujours de mettre en place un système ouvert mais sécurisé qui prennent en compte les spécificités de l’école. Par exemple, l’ENT « Cartables en ligne » sur l’académie de Créteil, permet aux parents de voter dans les cadres des élections des représentants de parents d’élèves. Se pose ici la question de l’intimité de l’élève, celle des familles éclatées… L’intérêt est aussi de pouvoir mettre en lien des élèves de CM2 avec ceux de Sixième par exemple.
Une grande partie du territoire comporte des ENT. Le maximum d’utilisateurs se trouve dans l’ENT d’Alsace ENTEA. La majorité des projets ENT sont financés par la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations). Cet organisme apporte un conseil et un financement pour les territoires voulant mettre en place des ENT. La CDC est associé avec l’Education Nationale sur un appel à projet pour la mise en place des ENT.
Les freins au déploiement
Certaines réticences des acteurs s’observent et notamment des profs ou des parents qui s’impliquent peu.
On observe deux paradoxes :
– Une sous exploitation des réseaux : pas de liens entre les différents ENT, même s’ils se trouvent sur un même territoire. Les réseaux d’acteurs sont restreints : pas de lien avec les musées, les bibliothèques, les médiathèques, des associations locales, les autres services publics de la collectivité liés à l’enfant (services de santé, de prévention…) ni avec les acteurs économiques locaux (pour la formation professionnelle)
– Risque d’encombrement entre les différents ENT : il y a parfois un empilement des ENT des communes, des départements, des régions…
Au regard des dernières évolutions, le diagnostic est simple : il y a nécessité d’un coéditeur. C’est le cas du service « lesite.tv » développé par France 5 et le CNDP qui permet d’alimenter les ENT avec différents documents (vidéos ; textes ; images) en fonction des différents niveaux, des différentes matières… Des espaces collaboratifs permettent notamment aux professeurs de mettre en ligne des documents de travail. La production de contenus et sa mutualisation est donc encadrée, validée, éditée dans des règles de droit et avec des méthodes pédagogiques. Le comité éditorial apporte une validation des contenus proposés par les professeurs mais permet pour des projets ponctuels de passer par des validations plus souples.
En ce qui concerne l’abonnement, 3542 établissements et 270 autres organismes sont abonnés. Sur les établissements scolaires premier et second degré, 50% sont abonnés par la collectivité, 50% de leur propre initiative. Les tarifs sont fonction du nombre d’élèves et sont basés sur le coût de la bande passante ADSL.
Deux questionnements qui se dessinent :
– Des espaces pseudo-collaboratifs sur les territoires : hiérarchisation des ENT et pas de liens entre eux. C’est le risque à venir des ENT.
– L’effet mode : Il est intéressant d’annoncer la mise à disposition d’un ENT mais parfois il n’y a pas de continuité, de formation, de contenus pertinents…
Ici comme ailleurs, sans projet éducatif d’envergure, sans animation, sans évaluation des composantes du projet, passée la curiosité de départ, la motivation des enseignants s’estompe… et on perd l’attractivité et la réactivité des élèves.
Quelles perspectives ?
La grande difficulté pour les territoires mais aussi pour les acteurs est, dans la société en réseau, de créer des liens, créer de la richesse et cela n’est pas seulement lié au fait que ces espaces sont récents.
Les responsables des ENT pensent qu’il est encore trop tôt pour créer de vrais espaces de travail en collaboration avec tous les partenaires. Or l’équipement des ménages est de plus en plus important, les jeunes se servent de plus en plus de l’outil informatique et notamment d’internet. La crainte est de ne pas en faire trop, trop vite. Les enseignants ont peur de ne plus être les seuls transmetteurs de savoir, alors qu’ils ne le sont pas.
Les ENT sont très ouverts de l’intérieur mais sont très sécurisés. Il y a un travail éditorial et de ressource documentaire énorme. Cela permet d’éviter les dérives, notamment des dérives sectaires. Il y a une responsabilité éditoriale, il y a donc des limites qui peuvent être mise en place. Lesite.tv n’est pas un ENT mais un éditeur de contenu mais à vocation à le devenir. Il y a un enjeu de politique éducative : souhaite-t-on que ce soit les éditeurs qui fabriquent ces espaces ou les collectivités ?
La sécurité des enfants est un élément important. En matière de valeur du réseau, si le réseau est fermé, il est plus sécure.
Il est parfois difficile de savoir ce qui relève de l’évaluation technologique ou de l’évaluation des contenus, les contenus étant très larges. Il faut être en mesure de faire de l’innovation contrôlée, de contrôler l’évaluation par conséquent. Or les réseaux riches sont les réseaux ouverts. Le problème des réseaux ouverts est que la validation devient affolante en terme de coût et dangereuse car s’opère toujours a priori. Ensuite, le web sera un média comme les autres lorsqu’il sera éditorialisé. De nouvelles expériences comme Wikipédia ou Sésamath inventent de nouveaux types d’éditorialisation mais posent encore d’autres problèmes liés à la pertinence de l’information, la validité scientifique des contenus ou les modes de financement sur le moyen terme.
Sur le territoire, la question est de savoir qui est producteur : les collectivités, les parents, le système éducatif, des éditeurs privés ? Les collectivités n’ont pas pour fonction de créer de nouvelles richesses aux territoires… sauf dans les liens, dans la mise en relation. Elles jouent le rôle de stimulateur.
Au niveau des parents, le niveau d’usage est plus faible en volume que l’usage des élèves. L’intérêt est de voir comment les parents réagissent à certains documents ou ce qu’ils vont éditer par eux-mêmes. Quand on leur demande de participer à un projet éducatif, ils ont l’impression d’être en infériorité par rapport aux enseignants sur les savoirs fondamentaux, et en infériorité vis à vis de leurs propres enfants sur les compétences web ou informatique. Ils n’entrent donc pas complètement dans ces projets. La participation des parents est plus présente chez les jeunes parents. Pour les autres, ils savent que leurs enfants l’utilisent mais n’ont pas l’impression qu’il s’agisse de leur espace. D’une manière générale, les parents issus de milieux modestes et ayant appris autrement sont déboussolés devant les pédagogies dites nouvelles. Ils ne perçoivent pas encore l’atout en terme de communication et d’échange école/familles mais ils apparaissent très demandeurs d’informations sur l’école via les nouveaux supports.
Aujourd’hui, les collectivités et les associations, « passeurs d’éducation », ont des rôles d’éducation et non pédagogiques qui incombent à l’éducation nationale, mais d’éducation au sens large, de prévention, d’accompagnement notamment. Nous avons aujourd’hui un outil pour faire marcher tout cela ensemble, mais un souci de savoir qui va coordonner et faire le liant. Des échanges entre établissements et des autres acteurs éducatifs peuvent avoir lieu mais la personne qui gère les droits des ENT est le chef d’établissement ou son délégué, pour qui l’ENT est avant tout un espace de gestion.
Le problème est donc de ne pas avoir l’outil comme finalité. S’il n’y a pas de une politique ou une réflexion sur la façon d’utiliser ces outils, il va y avoir des marchands, des équipementiers qui vont pousser à l’outil et vont développer des solutions technologiques pour faire de la gestion mais sans visée pédagogique.
Quel est la bonne échelle pour que cet outil soit le plus pertinent possible ? Il faut dépasser les territoires administratifs. Les réseaux pertinents ne sont pas calquable sur les collectivités territoriales, les territoires évoluent aussi en fonction de ces nouveaux outils.
Les territoires de proximité sont la bonne référence mais sont à géométrie variable. En fonction de l’activité du territoire, du projet, la proximité est différente. Un exemple : le territoire éducatif en apprentissage de l’anglais est dans la commune. Pour le territoire éducatif en apprentissage du japonais, le territoire est différent. De même, les personnes précarisées ont un territoire moins grand que le notaire de la ville.
La solution préconisée serait alors de passer par des ENT personnalisés, modulables et ouverts au-delà du scolaire, qui suivent des évolutions de parcours, en fonction de combinaisons variables, de chaînes de contenus. Un espace communautaire, avec une forte dimension sociétale et citoyenne mais avec un accompagnement spécialisé en fonction des motivations et des besoins de l’élève. Un jeu collectif avec de fortes individualités !
Octobre 2008