In My europ.info – le 18 septembre 2013 :
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Disciplines et postes supprimés, bâtiments délabrés : face aux coupes budgétaires qui dévitalisent le secteur public grec et menacent l’éducation, les enseignants donnent le "la" de la mobilisation. Reportage dans une école de Thessalonique.
Une cour d’école, en ce lundi de rentrée. Quartier populaire de Xinoneri, à Thessalonique, deuxième ville du pays. Des cris de joie, des pleurs, des enfants qui jouent; mais des adultes encore plus nombreux.
Les parents assurent le nettoyage
Sous le grand platane centenaire, les enseignants, réunis en assemblée générale, discutent des modalités de la grève du lendemain. Des parents sont aussi présents. Les uns s’activent une serpillière à la main dans les toilettes, les autres balayent les corridors.
Depuis la rentrée, tout le personnel d’entretien a été mis « en disponibilité ». Autrement dit, éjecté des écoles avec 75% de salaire assuré pour 8 mois seulement et aucune certitude pour après. Comme les 12.500 fonctionnaires ce mois-ci et 25.000 d’ici la fin de l’année.
Ce vaste plan de restructuration de la fonction publique, lancé par le gouvernement de coalition Nouvelle Démocratie (Conservateurs) et PASOK (Socialistes), sous l’injonction de la Troïka (UE, BCE et FMI), a mis le feu aux poudres. Aujourd’hui et demain, une grève générale de 48 heures rassemble tous les salariés du secteur public (éducation, santé, transport, collectivités locales …). Le syndicat du privé, quant à lui, a prévu un arrêt de travail de 4 heures en soutien jeudi.
Salaire d’un remplaçant: 640 €
Les enseignants sont les plus touchés avec déjà plus de 16.000 suppressions de postes cette année. Aucune nomination de titulaire n’a eu lieu cette rentrée. Le ministère de l’Education et du Culte se contente d’envoyer aux quatre coins du pays des remplaçants à 640 euros nets de salaire.
Comment voulez-vous survivre avec ce salaire de misère? Qui plus est, quand vous êtes loin de votre famille, avec un autre loyer, des frais de déplacement?,
s’interroge l’un d’entre eux. Conséquence, de nombreux professeurs et instituteurs manquent à l’appel, surtout dans les îles.
Exemple emblématique, l’école européenne d’Héraklion, capitale de la Crête, a démarré avec zéro enseignant. Et le syndicat du secondaire OLME, qui a lancé le mouvement de 5 jours reconductibles, pose la question au gouvernement:
Les établissements peuvent-ils fonctionner avec des enseignants qui ne savent pas dans quelles et dans combien d’écoles ils vont enseigner, dans quelle région du pays ils vont travailler ou s’ils auront encore du travail dans quelque temps?
Dans le même temps, les effectifs explosent: de nombreuses familles, faute de ressources, retirent leurs enfants du secteur privé pour les remettre dans le public. On arrive à des classes de 30 élèves, 40, voire plus. Du fait de la suppression de postes, de nombreuses matières disparaissent (informatique, langues, musique…).
L’urgence: assurer la sécurité
Dimitri, le directeur de l’école primaire du Nord de la Grèce, est atterré. Il avait des tas de projets pour cette nouvelle année: une enquête, financée par un programme européen, menée par les élèves sur leur quartier riche d’histoire et d’histoires (réfugiés d’Asie Mineure du début du siècle, enfants juifs tous partis vers les camps de la mort, Grecs de la mer Noire et de Russie, …); un jardin pilote; une troupe de théâtre … Aujourd’hui plus rien n’est possible. L’urgence est là. Et d’abord la sécurité des enfants.
La gardienne de l’école, Stella, a été licenciée, comme tous ses collègues du pays. A la sortie des cours, plus personne pour arrêter le flot de voitures devant la route qui borde l’école et faire passer les élèves. Mardi, elle est montée en délégation à la capitale pour rencontrer le ministre de la réforme administrative. Elle et ses collègues ont été accueillis par les forces anti-émeutes avec des gaz lacrymogènes. Bilan: deux blessés à l’hôpital.
Ce n’est pas la seule crainte de Dimitri pour la sécurité des enfants. Aucune rénovation ni maintenance n’ont été faites cet été, suite à la réduction de 60% du budget de fonctionnement.
Pourvu qu’on n’ait aucun dégât grave. Je crains la saison des pluies. Comme il n’y a eu aucune réparation, on va devoir faire classe avec des bassines entre les bancs et les manteaux sur le dos, faute de chauffage.
Même le maire de la ville a lancé un cri de détresse, n’ayant plus de budget pour les transports scolaires.
Une détérioration massive
La petite école salonicienne n’est pas isolée. La situation des établissements spécialisés pour handicapés est encore plus dramatique, tous les budgets ont été annulés. De même, un grand nombre d’élèves des lycées et écoles professionnels (soit 15.000 élèves environ) ne retrouveront à la rentrée ni leur professeur, ni la spécialité dans laquelle ils étudiaient ou voudraient continuer à étudier.
La détérioration est tellement flagrante dans tout le pays que les chaînes de télévision, d’habitude plus taiseuses, ont fait pour la première fois des reportages-terrain, montrant des salles de classe improvisées dans des garages, des gymnases, des préaux et des cours de gymnastique dans les couloirs.
90% de grévistes
La participation au mouvement social s’annonce massive, avec plus de 90% de grévistes. Une bonne surprise pour les syndicats et un revers pour le gouvernement qui tablait sur une faible participation et espère encore un essoufflement de la contestation.
Il ne s’agit pas d’une simple réforme ou d’une réduction du personnel. Ce qu’ils veulent, c’est détruire le secteur public qui appartient à tout le monde. On espère que la mobilisation de cette semaine va changer cette logique",
revendique une responsable du syndicat, qui ajoute: "Il ne faut pas s’étonner si les Grecs font moins d’enfants (15 % en moins ces dernières années) si l’Etat leur dénie le droit à l’éducation".