In Observatoire des inégalités :
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Sur le marché de l’emploi, les jeunes issus des quartiers difficiles souffrent d’abord de leurs origines sociales et de la qualité du système d’enseignement, non d’une stigmatisation liée au quartier. Les explications de Louis Maurin, de l’Observatoire des inégalités.
Les jeunes qui vivent dans les zones urbaines sensibles (Zus) accèdent à des emplois moins qualifiés, et sont moins bien payés, en moyenne, que les autres jeunes. Pourtant, ces écarts ne s’expliquent pas par le fait même de vivre dans un quartier sensible et la stigmatisation qui y serait associée comme on l’indique souvent. Leur niveau de diplôme, notamment, est un facteur bien plus important. Tels sont les enseignements d’une étude publiée par la revue Economie et Statistique de l’Insee [1]. Des résultats en complet décalage avec le discours traditionnel sur la situation des quartiers sensibles.
Sur le marché de l’emploi, les écarts sont énormes entre les jeunes des cités et les autres. Pas moins de 38 % des jeunes des Zus, sortis du système scolaire en 1998, occupaient un emploi d’ouvrier trois ans plus tard, contre 23,7 % des jeunes non issus de Zus. Les premiers n’étaient que 7,8 % à exercer un emploi de cadre, contre 20 % des seconds, plus de deux fois plus. Au bout du compte – et on le comprend par les statuts d’emplois occupés – le salaire moyen des jeunes issus des quartiers sensibles était inférieur de 13 % à celui des autres jeunes.
Comment expliquer ce grand écart ? Pas par le fait d’habiter une zone urbaine sensible : si l’on tient compte des caractéristiques des jeunes, ce critère n’apparaît pas, en soi, comme un facteur de discrimination. Les jeunes qui vivent dans des cités et les autres jeunes n’ont pas des situations comparables : en moyenne, ils sont beaucoup plus souvent d’origine modeste et disposent d’un niveau de diplôme inférieur. Ainsi, 26,7 % des jeunes des cités sont sans diplôme contre 11,5 % des autres jeunes.
Selon les auteurs de l’étude, 90 % de l’écart de salaire s’explique par ces caractéristiques différentes des jeunes. Les différences de types d’emplois résultent des mêmes causes : « si les jeunes originaires des Zus étaient traités par les employeurs dans l’accès aux différents emplois comme le sont les autres jeunes, la structure de leurs emplois serait globalement inchangée ». « Il n’existe pas ou peu, concernant les jeunes issus de Zus, de barrières spécifiques dans l’accès aux différentes catégories d’emplois », indiquent-ils.
L’étude mériterait d’être complétée et affinée, par exemple en tenant compte plus particulièrement de l’accès aux emplois les plus qualifiés, ou en distinguant certains quartiers où les difficultés sociales sont les plus grandes. Il n’en demeure pas moins qu’elle bouscule bien des analyses diffusées sur la stigmatisation des « quartiers sensibles ».
Comme le soulignent les auteurs, reste à remonter le fil des causes. Qu’est-ce qui fait qu’au bout du compte les écarts sont aussi grands ? « Le capital social des parents s’avère très discriminant », indiquent-ils. 9,5 % des jeunes des cités ont un père cadre contre 25 % des autres jeunes. La ségrégation sociale du territoire, la concentration de populations défavorisées au même endroit, pèse lourd : c’est l’existence même de ces quartiers où sont concentrés les plus démunis qui pose problème. En outre, sans exagérer les écarts entre territoires, la qualité du système d’enseignement dans les Zus n’est pas équivalent à ce qui existe ailleurs. On retrouve là un effet lié au quartier !
Que faire ? Une bonne partie des politiques de la ville actuelles n’a aucune prise sur ces éléments structurels. Pour les auteurs, l’effort des pouvoirs publics devrait porter « sur l’égalité des chances dans l’accès à l’éducation et à l’information sur les débouchés professionnels ». Au-delà, c’est l’amélioration de la mixité sociale du territoire à travers une politique du logement volontariste qui constitue l’enjeu le plus important. Des objectifs bien loin des mesures actuellement mises en avant, des dérogations à la carte scolaire au CV anonyme, par exemple. Au-delà même, ce type de travail pose la question du soutien aux jeunes des quartiers sensibles : au-delà des discours et de la compassion, cherche-t-on vraiment à rendre plus facile leur insertion sur le marché du travail ?
Louis Maurin