In Parcours du Loup Blanc – le 22 mars 2013 :
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L’éducation n’est pas seulement, n’est plus une histoire d’accumulation des connaissances; ce changement majeur est à prendre en compte pour l’avenir de notre société. Nous sommes tous concernés : une éducation “plurielle” qui ne peut plus être uniquement “nationale”. « L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation » disait déjà Kant.
Totalement anachronique : l’école obéit toujours à un schéma du XIXème malgré un changement de société évident.
Le temps où l’on s’assurait d’un emploi sur les bancs de l’école est terminé. Révolu le temps où le bagage des études, la garantie d’un diplôme suffisent à s’assurer une carrière. Tout va vite, très vite, s’invente, disparait, et les métiers se transforment à une vitesse vertigineuse. Cette nouvelle dynamique oblige à repenser la transmission.
L’évolution de notre société vers l’accès aux connaissances est acquise avec le déploiement irréversible des réseaux de communication et des nouvelles technologies. Le professeur est détrôné dans son monopole du savoir et de ce fait doit déplacer son “autorité” s’il veut avoir un rôle. Cette pyramide verticale élaborée au XIXème ne correspond plus à l’amplitude de notre temps. Apprendre aux enfants, aux ados, aux étudiants à trier, organiser, synthétiser, comparer, vérifier ce flot ininterrompu; stimuler ce plaisir de la découverte, responsabiliser cet accès au savoir; apprendre à appliquer ces découvertes, à s’impliquer dans le monde, à partager ses réflexions, à comprendre l’origine d’une pensée, à humaniser son savoir, à se découvrir, à choisir, à s’orienter selon ses choix,,, C’est sans doute là son nouveau rôle pour ne plus se trouver face à des classes de « consommateurs ». (Du moins les amener au stade de « consommateurs avertis »!)
Des métiers qui deviennent de plus en plus abstraits
Le XXième siècle est l’ére du tertiaire. Autrement dit, à part quelques métiers bien spécifiques qui demande un apprentissage approprié, une maîtrise technique et un grand savoir faire, la majorité des jeunes de maintenant vont s’orienter davantage vers un domaine que vers un métier.
Il y’a une chose importante à prendre compte, c’est l’abstraction. Je ne sais pas pour vous, mais il m’arrive très souvent de rencontrer des gens dont je ne comprends rien à leur activité professionnelle. J’entends des mots qui ont l’air important mais je ne peux pas les situer. C’est amusant parce que je me suis rendu compte aussi que si je m’adresse à mon entourage “ Qu’est-ce qu’il fait, un tel…? C’est quoi son job ?” on me répond assez souvent “Heuhhh… j’ai pas très bien compris… j’sais pas trop…” Ce qui m’a amené petit à petit à penser “et tous ces jeunes, qui subissent les pressions d’orientation, d’APB, de bi-licence ou autres, ils comprennent ces “définitions de poste” ? Absolument pas! C’est une nébuleuse abstraite vertigineuse! A part certains métiers bien définis (prof, médecin, danseuse,,,) ils ne savent pas expliquer le métier de leurs parents, des parents de leurs amis, etc. On leur dit et répète que le monde n’est pas virtuel, que la vie n’est pas un jeu vidéo, on leur parle de la réalité de l’avenir,,, Peuvent t-ils l’entendre ?
En multipliant les passerelles dans le cycle d’études, le phénomène “domaine d’activité” commence à être pris en compte. Cette prise de conscience est encore trop balbutiante si l’on considère la mutation de notre société; Dorénavant, nous nous situons bien plus dans un savoir-être que dans un savoir-faire. Ce “changement d’état” est à construire d’urgence pour une société qui se développe de plus en plus dans le relationnel.
Priorité au « savoir-être » dans un monde de plus en plus relationnel
Ce qui différencie le bon manager, le bon commercial, le bon entrepreneur, etc et même le bon médecin, est son SAVOIR ETRE. C’est à dire, son intelligence émotionnelle, relationnelle, spatiale, sa capacité d’anticiper, sa créativité sur laquelle il peut s’appuyer pour apporter des solutions, innover, son leadership et son charisme pour fédérer des équipes, communiquer l’enthousiasme nécessaire à la réussite de tout projet, maintenir une motivation individuelle autant que collective, faire preuve d’empathie. Ces qualités là sont éminemment humaines. « Dans le texte », nos régimes démocratiques autorisent leur épanouissement puisqu’elles se situent au coeur de notre liberté. Qu’attendons-nous ?
Qu’attendons-nous pour les enseigner ?
Reconnaître l’unicité de chacun pour favoriser l’intérêt collectif
Qu’attendons-nous pour bâtir ensemble cette société de différences assumées, autorisées, acceptées, vivantes ?
D’une part, les sociétés ont tendance à construire des inégalités en utilisant nos différences de nature. D’autre part, l’égalité est parfois devenue une revendication plus qu’une valeur, un passe droit, un coupe fil, une arme blanche silencieuse et paralysante contre la différence.
Pour tenter de répondre au désir égalitaire, la société française s’est édifiée sur 3 marches :
- L’égalité des droits en 1789
- L’égalité des chances sous la IIIème république
- L’égalité sociale et économique par la Constitution de 1946
Bien évidemment, il ne s’agit pas de mettre en cause cette recherche du principe d’égalité nécessaire à un idéal de “vivre ensemble”.
Egalité et équité
On peut constater assez facilement la dérive de cette ambition égalitaire si la recherche d’équité demeure annexe ou subordonnée.
Depuis les travaux du philosophe américain John Rawls (1921-2002) sur la notion d’équité, préalable indispensable à toute vélléité de justice, le concept d’équité a bénéficié d’un nouvel éclairage. Certains s’en sont emparés pour bafouer le généreux principe d’Egalité. Ce n’est pourtant pas le propos de Rawls.
L’originalité de Rawls est de placer l’équité comme une notion initiale nécessaire à la réalisation d’une ambition égalitaire, sans dégrader les situations les plus fragiles. (Il ne place plus l’équité* comme pratique à l’égalité, mais comme principe.)
S’appuyant sur la tradition du contrat social, il développe deux nouveaux principes pour accéder à la justice sociale : le principe d’égale liberté et le principe de différence.
La pensée de ce principe de différence me plaît. Et l’interdépendance qui en découle, également.
S’interroger sur l’être humain pour le situer au centre de l’enseignement.
Dans le contexte éducatif, il est omniprésent et peut ouvrir la voie de façon pertinente à cette fameuse égalité des chances.
En respectant cette unicité de chacun, nous pouvons développer les aptitudes particulières, les ressources et les talents singuliers tout en épanouissant également les qualités de la nature humaine propres à tous.
Nous savons tous que l’être humain est une merveille inouïe et prodigieuse, capable des pires barbaries. Pour donner une chance à notre monde d’être habité par nos élans les plus riches, donnons la chance à nos enfants d’apprivoiser chacun des leurs. Répondons à leur curiosité et leur intarissable soif d’apprendre. Les éveiller à leur singularité, c’est leur apprendre à se respecter comme à respecter la différence. Leur offrir les outils qui vont les rendre aptes à s’adapter harmonieusement aux différentes situations d’apprentissage, à leur entourage, à leur environnement, à leur évolution. Les rendre capables d’ajuster leurs capacités à leurs aspirations, et non l’inverse. Leur permettre d’être ouverts et confiants.
Et si l’Ecole persiste à camper sur ses schémas de transmission du XIXème, il nous reste à nous, parents, éducateurs, enseignants, formateurs, thérapeutes, scientifiques,,, d’utiliser les découvertes du XXème et début du XXIème pour apprendre ensemble ce savoir-être, construire une jeunesse digne, confiante, responsable, libre.
Les sciences sociales, l’ethnologie, l’anthropologie, la psychologie sociale, cognitive, comportementale, les neurosciences, la biologie, ouvrent un champ considérable d’appuis pour apprendre à nous aimer, réaliser notre potentiel et donner du sens à notre vie. Prendre sa place et vivre ensemble.
Laisser périr ces fabuleuses promesses serait irresponsable.
Etre humain, cela s’apprend. Et se construit jour après jour. On a la vie pour ça ! Encore faut-il la volonté de considérer notre humanité comme source d’harmonie sociale, non comme le résultat…Recentrer la société sur l’humain commence à l’école. Oui, nous sommes tous concernés !
Et si la 4ème marche, l’étape suivante du désir égalitaire était ‘l’égalité naturelle » ? Si on enseignait aux enfants dès leur plus jeune âge à se connaître, à se comprendre, à observer l’unicité de chacun, nous nous donnerions une possibilité d’égalité des chances; chacun avancerait pour devenir ce qu’il est, ni un dieu, ni un néant.
Laure2b
*Considérée par Aristote comme une forme supérieure de justice, elle reste subjective et aléatoire.
Sources:
Simon Wuhl : L’Égalité. Nouveaux débats, PUF, 2002. http://www.simonwuhl.org/24.html John Rawls, Théorie de la justice, Seuil, trad.1987, (1ère parution : 1971) Très bonne synthése sur la notion d’égalité : http://www.aix-mrs.iufm.fr/formations/filieres/ecjs/terminale/egalite.html http://fr.wikipedia.org/wiki/Secteur_tertiaire