In L’expresso – le café pédagogique – 21 février 2013 :
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David Cordina est un pionnier des usages pédagogiques des réseaux sociaux. Récompensé au forum européen des enseignants innovants de Berlin avec sa complice Laurence Juin pour leurs tandems « Twitter », il poursuit ses découvertes des potentiels ouverts par le web 2.0 pour enseigner et partager le français en mode langue étrangère.
David Cordina a découvert le numérique lorsqu’il enseignait le FLE (français langue étrangère) à Galatasaray en Turquie à l’occasion d’une activité autour du cinéma. Mais c’est lorsqu’il intègre comme enseignant de FLE, l’Université Lille 1 en 2005 qu’il commence à saisir et à mettre en application les promesses liées au web 2.0. Inscrit en parallèle à distance au Master 2 « Ingénierie Pédagogique Multimédia », il suit ses cours par le biais d’une plateforme. Il demande rapidement l’autorisation d’ouvrir une session pour ses étudiants étrangers afin d’intégrer les cahiers numériques dans son enseignement. Il expérimente plusieurs plateformes sans toutefois trouver un support adapté à l’écriture participative, activité qu’il pressent propice à l’acquisition de compétences en langues. Il ouvre un compte Twitter pour échanger avec d’autres enseignants. « Les premières années de Twitter ont été des années capitales pour apprendre avec d’autres utilisateurs qui m’ont ouvert des horizons ». Il regarde ce que développe Florence Meichel avec le réseau Apprendre 2.0 mais aussi des expériences de portfolios, de blogues pédagogiques mises en œuvre par Mario Asselin et François Guité au Québec. « Les carnets d’écriture d’Opossum ont été fortement inspirants. Je les ai adaptés au public adultes » explique David Cordina. Il délaisse alors les plateformes, leur préférant le réseau Ning.
Enseigner aux adultes en formation continue et initiale à Lille 1 est pour lui une chance. Le public est composé de personnes de tous âges, toutes nationalités, réunies par l’envie d’apprendre le français. La recherche de situations authentiques de communication est essentielle pour ancrer l’apprentissage dans le quotidien. En 2009, David Cordina fait la connaissance de Laurence Juin sur Twitter, enseignante au lycée professionnel Doriole de La Rochelle. Elle recherche aussi des opportunités pour sa classe de Bac Pro tertiaire de développer la pratique de l’écrit. Ils décident de lancer tous les deux une expérience de tandems qui mettrait en relation les étudiants chinois de David et les élèves de Laurence. Les échanges, soumis à la contrainte des 140 caractères du réseau social, portent sur la géographie, la vie quotidienne et permettent de correspondre sur des éléments réels, concret avec une ouverture interculturelle. Le premier essai est réussi et l’expérience se poursuivra avec des étudiants indiens lorsqu’en 2010, David est nommé directeur pédagogique de l’Alliance Française de Bombay.
Il perçoit Mumbai comme « un terreau fertile pour initier des projets numériques innovants ». Et très vite, les étudiants s’emparent des outils. Les enseignants reçoivent une formation adaptée pour favoriser leur appropriation pédagogique du numérique. Ning, Facebook et Twitter sont utilisés à des fins différentes. Ning permet de créer un réseau social dédié à une communauté, il joue un rôle fédérateur en regroupant les travaux d’écritures sous toutes les formes et les échanges entre les étudiants et les enseignants. Twitter est préféré pour des projets ponctuels ou incluant des échanges avec des étudiants ou des élèves extérieurs. Facebook est utilisé comme un outil de communication externe. Linkedin est également inclus dans les supports plus dans une optique professionnelle. Les étudiants apprennent à utiliser l’un ou l’autre des outils en fonction de l’usage et de l’objectif de communication visés. L’objectif est de les inciter à écrire le plus souvent possible, à multiplier les essais comme dans un entrainement sportif. « Ecrivez régulièrement de petits textes : plus vous écrirez, moins vous aurez peur » leur conseille t-on. L’entraînement est d’importance lorsqu’on constate le degré d’exigence pour obtenir le niveau B1 ou B2. Progressivement, d’autres alliances françaises partout dans le monde se lancent dans les réseaux sociaux et favorisent des correspondances entre des étudiants venus d’horizons différents et qui ont en commun l’apprentissage du français.
A Mumbai, les échanges sur le réseau les plus fréquents concernent la vie quotidienne, les découvertes de restaurants, de lieux à visiter, les loisirs… La culture française est aussi un sujet de prédilection, une culture interrogée, fortement marquée par les représentations. La mode, la gastronomie sont ainsi rêvées, idéalisées. Comme peu d’étudiants indiens viennent encore en France, cette distance, cette méconnaissance du pays réel nourrit les visions embellies que le forum de discussion essaye de corriger en sollicitant le débat sur des réalités politiques indiennes et françaises. Les enseignants encouragent les tentatives, corrigent les erreurs. Les différentes versions des textes sont publiées pour être à leur tour source d’apprentissage. David Cordina a repris là un principe institué par Mario Asselin dans les carnets Opossum : l’erreur permet d’apprendre, son erreur comme celle des autres, le regard bienveillant empêche qu’elle se transforme en faute surlignée en rouge. L’activité sur les réseaux sociaux suit le rythme des semestres. Les 2500 étudiants de la communauté publient en dehors des cours, l’Alliance Française ne possédant pas de salle informatique. Ils tweetent chez eux, dans les transports où les temps sont longs, sur leur smartphone ou sur leur ordinateur. L’origine sociale des étudiants est plutôt aisée. Les parents investissent beaucoup dans l’éducation et ne lésinent pas pour équiper leurs enfants.
Pour eux, apprendre le français est une compétence supplémentaire à rajouter à leur cursus, une distinction, un raffinement marqué par l’attirance pour une culture appréciée. Et puis, nombre d’entreprises et de sociétés sous-traitantes sont installées à Bombay et recrutent des francophones. Pourtant peu encore d’étudiants ayant fréquenté l’Alliance Française partiront poursuivre leurs études en France. David constate une progression, encourageante, des pionniers qui se lancent et qui feront des émules. Développer les contacts avec des élèves français permet aussi d’avoir une vision réelle et de la rendre accessible. Les réseaux sociaux de l’Alliance Française sont ouverts, favorisant ces contacts. Dernièrement, des étudiants ont échangé avec des élèves de 6e d’un collège de Wattrelos. L’Inde et Bombay sont au programme de géographie au collège, une aubaine pour répondre aux questions des collégiens et exercer son français. Le mois de la francophonie sera l’occasion aussi de développer des activités autour de la langue française qui sera fêtée par le concours vidéo « Mumbai J’aime », les contributions à « Dis moi dix mots » et des ateliers d’écriture sur Twitter (#10mots).
Pour faire mieux comprendre la culture de la France, l’Alliance Française de Bombay invite avec ses partenaires la culture dans la ville. Représentations théâtrales, rencontres d’artistes offrent un reflet du monde réel, de la richesse des auteurs contemporains. Le festival « Bonjour India 2013 » qui dure trois mois, a accueilli notamment les Ballets Preljocaj et le Théâtre de Lorient venu créer une pièce en anglais à partir des œuvres de Marguerite Duras. Le metteur en scène Eric Vigner est venu dialoguer avec les invités à questionner le métier de metteur en scène et l’œuvre de l’écrivain. Favoriser l’expression, la communication écrite en faisant feu de toutes les initiatives, puiser dans la culture et dans les échanges, des raisons supplémentaires d’aimer le français. Au fil du temps, David Cordina élargit les palettes de l’apprentissage de la langue française.
Après trois ans passés à Bombay, il se prépare à rentrer en France dès la rentrée prochaine. Ses souvenirs indiens seront teintés d’étonnements face à une société si différente de la nôtre, où les rapports sociaux, les relations entre les riches et les pauvres sont marqués d’une indifférence matinée de fatalisme. Ils seront sans nul doute marqués aussi par la formidable énergie d’une ville en expansion, la soif de découverte d’étudiants pour qui les réseaux sociaux sont un véritable pont vers un ailleurs.
Monique Royer