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La révolution numérique tarde à éclore dans le système scolaire français. D’où procède ce retard ? A l’extrémité de la chaîne des justifications, on met en avant la difficulté quasi insurmontable à construire un nouveau modèle économique de l’enseignement numérique. Pourquoi ce nouveau modèle est-il introuvable ? D’abord, parce que les outils pour le construire et le penser sont défaillants : outillage lexical et conceptuel inapproprié, données statistiques partielles et imprécises, difficulté à raisonner en coûts globaux, cadre technologique en évolution rapide qui nuit à la stabilité et à la pérennité du modèle. Au-delà de ces causes extrinsèques, le fonctionnement même d’un tel modèle est contingent. Il ne peut être pensé de façon autonome. Il est lié à d’autres modèles qui se trouvent, eux aussi, fortement ébranlés par l’irruption du numérique dans le champ éducatif et par certaines évolutions sociétales ou administratives : modèle centralisateur de la gouvernance de l’Ecole, modèle d’organisation territoriale, modèle social des fonctions de l’Ecole, modèle pédagogique des missions et du service de l’enseignant, modèle éditorial et commercial de la production et de la diffusion de ressources pédagogiques, modèle fiscal (taux d’imposition) et juridique (droit de la propriété intellectuelle) appliqué à celles-ci. Ainsi n’est-ce qu’au prix d’une refondation plus globale du « paradigme scolaire » que la révolution numérique pourra advenir dans le système d’enseignement français ? une révolution profonde qui, dépassant le cadre étroit de l’usage des « outils » du numérique, marquera l’entrée de l’Ecole dans les logiques nouvelles de construction des savoirs que celui-ci implique.
le « paradigme scolaire ».
Ce changement de paradigme ne pourra s’imposer que par l’effet d’une forte volonté politique et s’il est porté par une vision claire de l’École de demain. On peut imaginer ce que pourraient être les piliers de ce nouveau paradigme :
- Une gouvernance partenariale du système scolaire ;
- Une évolution des notions de programme, de cursus, de curriculum, de disciplines et de prescription ;
- Une conjugaison dans le champ du numérique éducatif de l’information et de la communication ;
- Une réconciliation des trois cultures (culture scolaire, culture extrascolaire et sociétale, culture professionnelle) ;
- Une clarification des responsabilités des différents acteurs (État, collectivités) et la définition d’un échelon territorial unique approprié ;
- Un recentrage des fonctions de l’École sur un objectif de co-construction des savoirs, à travers des dispositifs d’apprentissage collaboratifs et médiatisés ;
- Une révision des missions et du service de l’enseignant, pour y intégrer l’activité pédagogique liée au numérique, le développement de dispositifs hybrides et celui du tutorat ;
- Une substitution progressive au modèle éditorial du manuel imprimé d’un modèle de l’agrégation de contenus, qui renforce le rôle de l’enseignant « médiateur », et une mise en place d’un dispositif d’infomédiation;
- Un alignement fiscal des différents types de production à caractère pédagogique et l’adaptation du droit de la propriété intellectuelle.
La navigation vers cet objectif est sans doute périlleuse. Vents contraires et écueils sont à craindre. Il faudra sans doute tirer des bords. Peu importe, néanmoins, si la route est tracée, si le cap est fixé et si l’équipage tout entier s’accorde sur la manœuvre.