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Texte intégral de l’intervention d’Eddy Khaldi au Colloque « La laïcité en actes », organisé par le Comité Laïcité République à l’Assemblée nationale le 17 novembre 2012
Aujourd’hui la laïcité, c’est tout sauf la question du dualisme scolaire. Au risque de passer pour un belliciste attardé, je vais vous parler du dualisme scolaire. On a pu le constater ces dernières années, l’Ecole publique s’est vu asséner des coups multiformes et répétés. Cette politique scolaire sous prétexte de logiques comptables, masquait un projet de désinstitutionalisation.
Pour justifier cette avalanche de mesures, sans précédent, on a décrété que l’Ecole publique était irrémédiablement malade. Ce diagnostic sommaire vise à discréditer et invalider les principes fondateurs de l’Ecole laïque. Il s’appuie autant sur des problèmes ou des dysfonctionnements démontrés ou supposés voire provoqués.
Certes, il n’est question ni d’occulter ni de réduire les difficultés réelles qui traversent l’Ecole.
Cependant, l’école publique est plus malade de l’état de la société, que cette dernière n’est malade de son école. L’école n’est pas responsable des inégalités sociales ou des difficultés économiques du pays. La prétendue crise de l’école n’est pas son échec généralisé. Elle sert surtout d’alibi à une mutation du système éducatif par la concurrence et par le marché. À la clef, un transfert vers l’enseignement privé, exhibé comme plus performant.
Ce transfert tire parti des peurs et de l’angoisse des familles pour mettre en exergue des défaillances de « l’Etat enseignant ». L’Etat est accusé d’inefficacité au regard d’une vision exclusivement économique de l’éducation. L’instrumentalisation de déceptions occasionnées par le service public est relayée par les condamnations de réseaux qui dénoncent de concert « La débâcle de l’école publique ».
Ce lent travail de déconstruction de l’œuvre des bâtisseurs de l’Ecole laïque constitue un véritable projet de gouvernement porteur d’une stratégie élaborée de longue date. La logique cléricale s’accommode et se nourrit, aujourd’hui, des dérives libérales, et réciproquement. Cette ambigüité expulse et camoufle la laïcité institutionnelle de la question scolaire.
Ce tournant « néolibéral » vise à faire « sauter des verrous » comme le proposait dès 1992 l’association « Créateurs d’école » avec Darcos, Dominique Antoine, Maurice Quenet et bien d’autres. Ainsi l’enseignement privé, sous contrat, presque exclusivement confessionnel, bénéficie de faveurs gouvernementales jamais égalées. Il n’a plus besoin de revendiquer et de monter directement au front. Il n’a qu’à se positionner en réceptacle des saignées, qui non rien de salvatrices. Saignées appliquées au nom de la rigueur, à l’Ecole laïque.
Ont été concédés à l’enseignement catholique :
• un plan banlieue pour financer le privé, non plus a posteriori mais désormais a priori, pour mieux concurrencer le service public ; • les accords Vatican Kouchner pour octroyer la collation des grades à l’Eglise catholique, • la loi Carle pour obliger les municipalités à payer la scolarité dans des écoles privées hors commune de résidence ; • les jardins d’éveil confessionnels pour occuper un nouveau créneau ; • des fondations catholiques pour défiscaliser illégalement les investissements d’écoles privées ; • et aussi, une multiplication des financements facultatifs, voire illégaux, des collectivités locales pour capter un besoin scolaire plus rapidement que l’école publique, car elle seule demeure soumise aux obligations d’intérêt général afférentes au service public….
L’actuel secrétaire général de l’enseignement catholique, Eric de Labarre, ex-président de l’APEL, atteste que nous sommes bien au cœur de la laïcité quand, hier, il y condamne le PACS. Mais aujourd’hui, en recherche de légitimité au regard de la nouvelle majorité, il reste prudemment silencieux sur le mariage pour tous. Cependant, il réécrit, en catimini, des programmes d’éducation sexuelle pour l’enseignement catholique. N’a-t-il pas aussi affirmé après le discours du Latran en 2007 que « la laïcité positive n’était pas étrangère à l’Enseignement catholique ». Et aussi, que la loi Carle de 2009 instituant un chèque éducation n’était qu’ « un bon compromis à un instant T ». N’est-il pas allé jusqu’à revendiquer en mars 2008 : « la contractualisation avec l’État des établissements publics » pour « éteindre définitivement les derniers brûlots de la guerre scolaire … » Cette proposition porte atteinte à l’obligation constitutionnelle d’organiser l’enseignement public afin de le privatiser.
Le 23 janvier dernier, il jugeait "impossible" et "non pertinent" de rétablir 60.000 postes comme le proposait François Hollande, et pensait même qu’on pouvait : « pro¬ba¬ble¬ment continuer à en supprimer », apportant ainsi un soutien explicite à Nicolas Sarkozy. Quelques semaines plus tard en s’investissant dans les législatives, il fixait, sans vergogne, ses exigences sur les 60 000 postes en menaçant cyniquement : « Personne n’a intérêt à rallumer une guerre scolaire».
Dans notre République laïque, le secrétaire général de l’enseignement catholique nommé par la conférence épiscopale n’a aucune légitimité pour négocier avec la puissance publique et obtenir une « parité » sans fondement légal avec l’enseignement public. Seuls des établissements privés sous contrat, un à un, sont institutionnellement reconnus, mais pas un réseau de l’enseignement catholique.
Le dualisme scolaire est d’abord, avant tout, idéologique. Même si les motivations des familles sont minoritairement religieuses, la gestion et le financement de ce système impacte, plus que jamais, la laïcité.
Pour flatter le « parent-client », on a individualisé le rapport à l’Ecole afin d’organiser, au nom du « libre choix », une concurrence redoublée de l’enseignement confessionnel pour contribuer au démantèlement du service public d’éducation.
Même si, dans l’immédiat, les menaces gouvernementales de démantèlement ont disparu, nombre de ces dispositions et pratiques subsistent. Elles sont autant de brèches qui dénaturent la laïcité et le service public.
Certes, face à la statue de Jules Ferry, la confiance est revenue le 15 mai dernier. Le nouveau Chef de l’Etat se voulait : « le garant de l’école publique, de la transmission des connaissances, de la solidarité républicaine ».
Mais cette confiance doit se traduire en actes comme le revendique notre colloque d’aujourd’hui, du « Comité Laïcité République ».
En effet, il convient ici et maintenant de concrétiser la mission que Jules Ferry assignait à l’école, je cite : « ….L’égalité d’éducation n’est pas une utopie ; … c’est un principe;….. L’inégalité d’éducation est, en effet, un des résultats les plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance. Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle, et l’égalité des droits est pourtant le fond même et l’essence de la démocratie. »
Ainsi, il faudrait passer : • d’un quinquennat où l’on promouvait l’individualisation du rapport à l’école au nom de la liberté de choix ; • à un projet concret d’égalité en éducation pour tous les futurs citoyens.
S’ensuivent aujourd’hui des propositions du ministre de l’Education nationale pour refonder l’Ecole en lui assignant la mise en place d’une « morale laïque ».
Revendiquer une morale laïque, n’est-ce pas croire en l’Education ?
Croire qu’en formant l’Homme on peut agir sur la société. Former le citoyen est constitutif de l’idée même de République. Ce lien consubstantiel fait de l’Ecole une institution et non un service que la puissance publique ne peut déléguer au privé. Certes, l’Ecole ne peut prétendre, seule, refonder la République. Mais n’a pas disparu pour autant l’enjeu républicain de l’Ecole.
On ne peut abandonner la question des valeurs ni à ceux qui falsifient la laïcité, ni à ceux qui revendiquent une gestion entrepreneuriale de l’école. Tous les deux s’attaquent aux principes fondamentaux de la République.
Loin de s’éteindre, la guerre scolaire s’est encore aggravée avec la loi Carle.
En effet, derrière ce dispositif se cache l’introduction subreptice et inédite en France, d’un chèque éducation pour les écoles privées, pour faire rimer éducation et consommation. Cette loi substitue au rapport institutionnel école-commune, né des lois Ferry, une relation marchande usager-commune, sur fond libéral. C’est une nouvelle étape vers la privatisation de l’école laïque. Elle constitue une menace prévisible pour l’existence des écoles des communes rurales et une fuite discriminatoire des élèves des écoles publiques de la banlieue vers les écoles confessionnelles du centre-ville. Nanterre paierait pour Neuilly…
Les promoteurs de cette loi introduisent, pour la première fois, une corrélation entre « liberté de l’enseignement », et obligation d’un financement public. Ils imposent aussi, pour la première fois, dans un dispositif législatif, le concept de « parité de traitement » public-privé.
Manipulation éhontée, que nul n’oserait se hasarder à établir ailleurs que dans l’enseignement.
La « liberté d’aller et venir » est tout aussi fondamentale que cette interprétation de la liberté de l’enseignement. Pour autant, la puissance publique n’a d’obligation que pour les transports en commun. L’usager qui, par convenance personnelle, choisit le taxi a lui la décence citoyenne de ne pas revendiquer le financement public de sa course.
Les écoles publiques ont des obligations afférentes à leur mission de service public : égalité de toutes et tous pour l’accueil, et aussi obligations de continuité, de gratuité et de laïcité.
Le financement des élèves du public qui fréquentent une école publique hors commune de résidence, est possible sous conditions particulières et accord a priori de leur municipalité. Il résulte de l’obligation constitutionnelle d’organiser le service public laïque d’éducation en tout lieu, et non d’une quelconque « liberté d’enseignement ».
Le privé, lui, revendique des subsides publics au nom de sa « parité » et récuse au nom de sa « liberté » les obligations correspondantes. « Liberté » et « parité » de l’enseignement ne sont ici que des concepts politiciens, qui participent, de fait, au démantèlement du service public qui, seul, en supporte toutes les contraintes.
Notre Constitution ne reconnaît que l’égalité entre citoyens, et non une quelconque parité entre groupes, confessionnels ou non.
Il est proprement abusif, de mettre sur le même plan écoles publiques et privées. Ces dernières, s’inscrivent dans des logiques commerciales, avec pour la plupart, des finalités prosélytes. Autant de caractéristiques pour le moins antinomiques avec une mission d’intérêt général.
Le concept de « parité » entre enseignement public ou privé, n’est pas seulement contraire à la Constitution. Il n’a en définitive, aucun fondement juridique. Il instaure, qui plus est, un dualisme scolaire ruineux. Il le sera d’autant plus que d’autres groupes, confessionnels, linguistiques ou autres, revendiqueront les mêmes privilèges.
La ghettoïsation sociale va s’aggraver. Et les communes rurales seront, elles aussi, pénalisées avec un risque inquiétant d’exode scolaire. Des classes et écoles publiques entières peuvent être menacées de disparition…
Ce faisant, la loi Carle sacrifie sur cet autel si éloigné des valeurs républicaines, la justice sociale, la laïcité et le vivre ensemble de jeunes citoyens en devenir.
Gambetta rappelait opportunément qu’il convenait pour la question scolaire de ne pas commettre deux erreurs : • la première : estimer que la guerre scolaire est finie ; • la seconde qu’elle se reproduirait dans les mêmes conditions.
Dans cette laïcité disjonctive, l’émergence de questions posées par l’islam, sert d’écran de fumée à la puissance publique oublieuse du communautarisme institutionnel de l’école catholique.
En réintégrant la question scolaire, la laïcité perdrait là des soutiens conjoncturels et éphémères qui l’assimilent, souvent, à l’exclusion voire au racisme. Semblable laïcité d’accommodement crée des confusions, des équivoques qui désagrègent l’égalité constitutionnelle entre citoyens et développent un « entre soi » qui compromet le vivre ensemble et altère cette valeur fondatrice de la République.
La question du dualisme scolaire institutionnalisée par la loi Debré du 31 décembre 1959 constitue plus que jamais un enjeu idéologique. Enjeu idéologique pour ceux qui continuent de combattre, non plus ouvertement la République, mais les institutions et les services publics qui l’incarnent, au premier rang desquels l’Ecole laïque garante de la liberté de conscience des citoyens en devenir. Cette visibilité et cette reconnaissance sociales constituent une brèche dans la séparation institutionnelle de l’Ecole comme de l’Etat d’avec les Eglises.
Même au regard de la loi Debré les réformes de l’enseignement public s’imposent à tous les établissements scolaires privés sous contrat. Ces réformes n’ont pas, dans notre République laïque, à être négociées et validées collectivement par le secrétaire général de l’enseignement catholique nommé par la conférence épiscopale. Conférence qui vient, la semaine dernière, de mettre en place un « Conseil épiscopal de l’enseignement catholique » pour conforter la visibilité sociale de l’Eglise et sa reconnaissance institutionnelle dans le champ de l’éducation, en dépit de la loi de 1905.
L’enseignement catholique ne peut revendiquer, au nom d’un groupe religieux, un quota de postes, ni les répartir. C’est contraire à nos principes constitutionnels. Il y a comme une imposture à vouloir recruter massivement et bien au-delà d’une demande liée à la foi alors que la pratique religieuse s’effondre.
Ainsi l’enseignement catholique commet une sorte de péché « lucratif », en forme de publicité mensongère peu compatible avec une mission qui prétend s’inspirer des évangiles.
L’école est, depuis trente ans, le champ de bataille sournois de cette guerre silencieuse, sans réelle opposition politique. Guerre menée par alliance des cléricaux et des libéraux. La prétention illégitime de l’enseignement catholique à incarner le service public, au nom de « sa liberté » d’entreprise, et malgré son allégeance confessionnelle, conduit l’État d’étapes en étapes, à sacrifier l’École publique laïque, dont il a constitutionnellement la charge pour déployer une stratégie libérale au long cours. Financer et ériger la concurrence en principe, invalider les valeurs fondatrices, gérer l’école comme une entreprise … revient à privatiser le service public d’éducation.
Certes, on ne saurait réduire la question de la laïcité à celle de l’école. Mais l’en exclure est un piège. Pire, un reniement au regard de nos principes républicains.
En restant, aujourd’hui, muette sur le dualisme scolaire, institué par la loi Debré, la gauche qui, aujourd’hui, accède au pouvoir ne doit pas oublier que la République n’a d’obligation que vis-à-vis du service public laïque ?
Cette loi de 1959 en conférant à des établissements privés confessionnels à « caractère propre » le statut d’établissements publics a institué un double amalgame : – public et privé ; – laïque et confessionnel.
Il est temps, aujourd’hui, de sortir de l’équivoque pour rappeler que la laïcité est un principe constitutionnel.
• Nous militants de la laïcité considérons « L’instituteur et l’institutrice supérieurs au curé et au pasteur », non pas en tant que femme ou en tant qu’homme, mais par leur mission parce qu’ils accueillent dans la même communion civile du « vivre ensemble » tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, quelle que soit la religion ou non de leurs parents. • Nous considérons « L’instituteur et l’institutrice supérieurs au curé et au pasteur », parce qu’ils assurent et garantissent la liberté de conscience des futurs citoyens et ne se servent pas du label de « liberté » pour inculquer dans l’éducation l’idéologie d’un groupe particulier pour créer une fracture dans l’unité nationale. • Nous considérons « L’instituteur et l’institutrice supérieurs au curé et au pasteur », parce qu’ils revendiquent l’égalité en éducation de toutes et de tous au nom de la laïcité. • Nous considérons « L’instituteur et l’institutrice supérieurs au curé et au pasteur », car, on n’enseigne pas la liberté, et en premier lieu la liberté de conscience, quand l’enseignement repose sur un dogme prétendant détenir à lui seul la vérité absolue. On n’enseigne pas l’égalité quand c’est l’argent qui fait la différence de l’accueil ; au service des élites et des gens fortunés.
A vous militants de la laïcité ….. MERCI.