In Le Nouvel Observateur Education – le 4 avril 2013 :
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Ils considèrent l’école comme un ‘‘self-service’’ et pour cela, sont honnis par le corps enseignants. Dans un ouvrage, le sociologue François Dubet prend leur défense.
Faut-il reprocher aux parents de mettre les chances de leur côté dans le tri qu’opère l’école? (DR)
C’est le lot des ouvrages généralistes : ils regroupent des textes inégaux. ‘‘L’école, une utopie à reconstruire’’ (que vient de sortir La Découverte) traite ainsi de mille questions intéressantes (les ZEP, la mixité sociale, les IUFM, les innovations pédagogiques…), mais l’une de ses contributions sort clairement du lot : une interview du sociologue François Dubet, fin connaisseur des questions scolaires et penseur qui refuse la langue de bois. Ici, il s’intéresse aux ‘‘parents-consommateurs’’, une engeance empoisonnante qui revient souvent dans les conversations des enseignants, mais fort peu couverte scientifiquement.
Qu’est-ce qu’un parent-consommateur ? Dans la psyché enseignante, c’est un parent qui considère que l’école est un espace de self-service, où il consent à déposer son enfant, mais en dédaignant toutes les obligations inhérentes à l’Education nationale. Le parent-consommateur estime que l’école est un lieu de droits pour sa progéniture mais bien peu de devoirs : quand l’enseignant conseille un redoublement ou une orientation, il passe outre. Et s’il n’est pas satisfait du service rendu ? Il claque la porte pour se rendre dans le privé. En un mot, il serait l’un de ces symptômes de notre époque individualiste.
Confiance aveugle
Pourtant, selon François Dubet, ce reproche doit être nuancé. D’abord, comme il le dit, ‘‘les enseignants eux-mêmes sont des ‘consommateurs’ particulièrement sourcilleux’’. Ainsi, il est avéré par de nombreuses études que, connaissant parfaitement les rouages du système scolaire français, les profs se montrent particulièrement stratèges quand il faut placer leurs enfants dans les meilleurs établissements, puis dans les filières d’excellence (bac S plutôt que techno ou pro, langues rares qui ouvrent les portes des meilleures classes, classes prépa-grande école plutôt que fac…), voire dans le privé si le besoin s’en fait sentir.
Mais de leur côté, ‘‘les parents doivent leur faire une confiance aveugle’’ : l’école doit continuer à être regardée par ces derniers comme un ‘‘sanctuaire’’ de l’égalitarisme républicain, alors qu’évidemment, le contraste des performances est saisissant entre les établissements situés dans des quartiers aisés ou populaires. ‘‘Nous ne sommes plus au moment où l’on pouvait penser que la République garantissait une qualité éducative uniforme sur tout le territoire, ce qui déjà à l’époque, n’était qu’une croyance’’ (François Dubet a eu l’occasion de dire au ‘‘Nouvel Obs’’ combien ce concept d’école-sanctuaire ‘‘est une fiction’’).
Bon grain et ivraie
Du coup, comment reprocher aux parents de s’informer, de comparer les offres alors que cette comparaison peut effectivement influencer le destin professionnel de leurs chères têtes blondes ? De même, n’est-il pas hypocrite de reprocher aux parents (qui en ont les moyens) d’opter pour des cours du soutien ‘‘dans un contexte de concurrence accrue et quand il est inacceptable d’échouer’’ ? Le système scolaire français organise un tri aussi sournois et impitoyable qu’injuste et se demande pourquoi certains veulent être cueillis comme bon grain et non comme ivraie.
Soulignant ‘‘qu’il n’y a aucun lien entre les principes affichés (égalitarisme, convictions républicaines…) et les pratiques’’ où c’est le mieux informé qui gagne, le sociologue appelle à faire en sorte ‘‘soit son propre soutien et ne donne pas aux parents de bonnes raisons d’aller voir ailleurs’’. Il appelle aussi l’école à s’ouvrir davantage aux parents, à leur laisser un espace de parole réel pour que les parents-consommateurs cessent enfin d’avoir raison de ne penser qu’à eux.