Introduction : remarques sur l’intitulé de la séance, « le bien-être à l’école »
Je veux commencer par adresser mes remerciements à l’ANDEV : depuis environ 30 ans d’expression publique – et bien que j’aie publié un livre sur la prévention des maltraitances institutionnelles (en 1998), un autre sur les « bientraitances » (en 2000), un autre encore sur la « coéducation » comme approche positive de l’éducation (en 2004), et que je viens d’en terminer un quatrième sur la « démocratisation des relations éducatives », nouvelle approche positive de l’éducation, et qui est le développement, l’actualisation et la convergence des deux précédents – c’est la première fois qu’il m’est proposé de réaliser une conférence portant sur le « bien-être ». On excusera donc, malgré mon intérêt de longue date pour ce thème, le caractère relativement exploratoire, car inédit pour moi, et nécessairement incomplet de la présente conférence. L’invitation de l’ANDEV m’a certes fait plaisir, mais le bien-être est d’une autre nature que le plaisir. J’y reviendrai.
Le bien-être à l’école … Dans un congrès de l’ANDEV, on suppute que « école » est une métonymie, cette figure linguistique qui désigne la partie pour le tout. Par école, j’entends donc les espaces, les temps, les activités, les contenus et les acteurs dédiés aux apprentissages scolaires. Mais aussi tous ceux, qui se déroulant souvent dans les mêmes espaces dits scolaires, mobilisent des temps, des activités, des contenus et des acteurs qui ne le sont pas, et que l’on qualifie cependant, absurdement ou abusivement, de « périscolaires » et parfois d’ « extrascolaires ». A l’ANDEV, on sait bien pourquoi se manifeste, jusque dans la terminologie, un tel scolaro-centrisme, et je crois le savoir moi aussi. Passons. Donc : le bien-être dans tous ces espaces temps, et avec tous ces acteurs-là.
Le bien-être à l’école … Ce titre n’indique pas qu’il s’agisse de traiter du bien-être des seuls enfants, même en les envisageant sous le masque désincarné de ces abstractions juridiques dénommées « élèves » par le ministère de l’Education nationale ; le professionnel que j’ai été et le militant que je suis sera cependant tenté de centrer son propos sur ces enfants, qui sont la raison d’être de l’école. Mais il conviendra d’aborder aussi le bien-être de ceux qui travaillent pour et avec les enfants – quoique, bien entendu, pas comme eux ni pour les mêmes raisons – : les enseignants, comme le plus souvent quand on parle d’école, mais aussi les ATSEM, les animateurs, les éducateurs sportifs, les personnels du transport et de la restauration scolaire, les ATOS, les CPE, les personnels administratifs et j’en oublie sans doute parmi tous ces adultes qui eux aussi font vivre l’école. Ce thème, toutefois, relève plus classiquement du thème du bien-être au travail ou, au mieux, de la non souffrance au travail. Il conviendra enfin, et j’y insisterai aussi, de parler de ceux qui ne passent à l’école au mieux que quelques minutes par jour et quelques heures par an, et dans des conditions de bien-être variable : on aura reconnu les parents, principaux financeurs du dispositif notamment par leurs contributions fiscales, qui abondent les budgets de l’Etat et des collectivités locales, et leurs cotisations sociales, qui abondent les contributions des Caisses d’allocations familiales à l’action éducative locale.
L’ampleur et la profondeur du thème du « bien-être à l’école » résultent donc tout autant des mots qui le composent que de ce qu’ils indiquent en filigrane. De par ma formation et mon ancien métier de pédopsychiatre de service public, je l’envisagerai tout d’abord à partir d’une approche de santé publique ; puis à partir de ce que enfants, parents et professionnels de l’éducation m’ont donné à entendre, à travers leurs difficultés, de leurs conceptions d’un possible bien-être. Mes expériences de militant des droits de l’enfant et de l’éducation populaire et de consultant / formateur auprès des collectivités locales m’amèneront ensuite à interroger la façon dont les collectivités locales et l’Etat contribuent déjà, et peuvent contribuer mieux encore, à ce « bien-être à l’école », et notamment à celui des enfants. J’en déduirai pour conclure qu’il s’agit là d’une question éminemment politique.
Une approche de santé publique
Rappel – « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition est celle du préambule de 1946 à la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle n’a pas été modifiée depuis.
Définition qui semble placer la barre assez haut : la santé serait-elle un objectif inaccessible ? Une utopie ?
En réalité, cette définition démédicalise la santé. Celle-ci-est un « état ». On peut avoir une maladie ou une infirmité et être ou se sentir bien, et même « en bonne santé », à condition toutefois d’être autonome ou compensé dans ses pertes d’autonomie. On voit bien à quel point cette considération est importante pour organiser et accompagner, de façon à la fois éthique et efficace, le parcours d’intégration ou d’inclusion – à l’école, au centre de loisirs, au Conservatoire, au club sportif, etc. – d’un enfant en situation de handicap ou présentant une maladie chronique.
En tant qu’état, la santé s’assimile de fait au bien-être. Mais, surtout, l’un et l’autre dépendent de ce qui les détermine. En santé publique, on parle des déterminants de la santé qui sont par exemple, selon l’Agence de santé publique du Canada :
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le niveau de revenu et le statut social;
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les réseaux de soutien social;
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l’éducation et l’alphabétisme;
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l’emploi et les conditions de travail;
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les environnements sociaux;
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les environnements physiques;
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les habitudes de santé et la capacité d’adaptation personnelles;
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le développement de la petite enfance;
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le patrimoine biologique et génétique;
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les services de santé;
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le sexe;
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la culture.
A noter par ailleurs que :
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ces différents déterminants interagissent les uns avec les autres ;
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chez l’enfant en particulier, l’état de santé influence, entre autres facteurs, les conditions et le niveau d’instruction, et que celui-ci influencera son état de santé ultérieur (santé et éducation sont les deux piliers du développement personnel et social).
D’un point de vue de santé publique, l’école et les différentes activités qui s’y déroulent sont donc, à l’évidence, parties prenantes de plusieurs déterminants de la santé, lesquels ne sont par ailleurs ni distincts ni isolés les uns des autres et de plusieurs autres encore. Elles contribuent à la santé, mais ne sont pas la cause exclusive du bien-être (ou du mal-être) qu’on y éprouve. Mieux encore, elles sont à la fois cause et conséquence de celui-ci
D’ailleurs, l’article 29 de la Convention internationale de l’enfant, adoptée par l’ONU il y a tout juste 25 ans, et ratifiée par la France en 1990, indique « les Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». Et non pas que l’éducation épanouit – sous entendu « à elle seule » – la personnalité de l’enfant.
Ainsi, même une « phobie scolaire » n’est pas causée par la seule école. Son apparition et sa persistance dépendent aussi de facteurs familiaux, sociaux et parfois culturels. Ceci étant, on peut s’interroger sur la prévalence, les causes et les conditions d’apparition spécifiques des phobies scolaires. Observer au passage, par exemple, qu’elles semblent bien plus fréquentes que les « phobies du centre de loisirs », rarement signalées. Et identifier au total les facteurs institutionnels ou systémiques qui les favorisent ou les déclenchent chez des enfants par ailleurs prédisposés par des facteurs psycho-affectifs pré-existants.
Chez l’enfant, les conditions (c’est-à-dire les déterminants) du bien-être – y compris du « bien-être à l’école » – sont en grande partie réunies et se manifestent avant et en dehors de l’école. Elles concernent en effet la personne globale de l’enfant, et non pas le seul élève. En outre, le bien-être d’un enfant dépend en particulier du « bien naître » et il est polarisé par la question du « bien devenir » à laquelle se consacrent, du moins en théorie, tous les acteurs de l’éducation et, dans une moindre mesure, de la santé : les parents, en premier lieu et sur la durée ; puis la séquence des éventuels professionnels de l’accueil de la petite enfance et des professionnels de l’Education nationale ; et, aux côtés des uns et des autres, les professionnels éducatifs des collectivités locales et du secteur associatif à vocation éducative.
Récapitulons. Déterminants multiples, intriqués et interdépendants ; diversité d’espaces-temps et d’acteurs éducatifs et rôle pivot des parents ; enfant personne globale, à la fois fil rouge, destinataire et acteur des interventions des uns et des autres ; besoin de cohérence et de continuité entre celles-ci : on retrouve ici, pour décrire les cadres et les conditions du bien-être de l’enfant, et ceci de 0 à 18 ans, l’ampleur du champ d’action et les prémisses méthodologiques du Projet éducatif local (PEL).
La mesure du bien-être, déjà proposée par certains outils de santé publique et déjà amorcée par le programme PISA au sujet d’une activité – la lecture – qui peut refléter ou entretenir le bien-être de l’enfant scolarisé, pourrait d’ailleurs permettre de construire un indicateur synthétique d’évaluation assez pertinent, parmi d’autres bien sûr, d’un PEL.
J’observe aussitôt, cependant, qu’un tel indicateur conviendrait plus difficilement à l’évaluation des actuels Projets éducatifs de territoire (PEdT), sauf à « primaro-scolaro-centrer » à son image la notion de bien-être, ce qui – je l’ai laissé entendre – n’aurait guère de sens : le bien-être de l’enfant se laisse en effet difficilement découper en tranches et il ne saurait être apprécié en isolant de tous les autres, pour des raisons institutionnelles, le lieu ou le moment (en l’occurrence ceux de l’école primaire) où on l’évalue. A ce jour, l’enjeu de nombre de PEdT est surtout le bien être des finances communales ou inter-communales, et il est indexé à l’accès durable aux financements de l’Etat et de la CAF ! Cette préoccupation est respectable et, à terme, elle concerne aussi les enfants ; j’y reviendrai. Mais tant qu’il en sera ainsi, l’évaluation qualitative du PEdT, s’agissant des seuls enfants, risque de rester quant à elle essentiellement indexée sur le socle commun des connaissances et des compétences, c’est-à-dire d’être menée selon une logique plus scolaire qu’éducative.
Le bien-être à l’école, tel que perçu à partir des consultations ambulatoires d’un pédopsychiatre de service public
Le médecin est surtout amené à observer ou à entendre parler de ce qui cause et entretient le mal-être des enfants, des parents et des enseignants à l’école. Puis à agir avec les uns et les autres voire avec d’autres acteurs, et à une échelle individuelle, familiale ou systémique, sur ce qui permet de se défaire et de sortir de ce mal-être afin de retrouver ou d’accéder à un certain mieux-être ou à un nouveau bien-être. S’agissant du mal-être révélé, activé ou déclenché exclusivement par « l’école », ma propre expérience m’a enseigné qu’une pathologie structurelle de l’enfant est moins fréquemment en cause qu’un trouble réactionnel qui s’avère habituellement plus logique, du point de vue de l’enfant, que pathologique, et qui s’assimile souvent à un appel au secours … pas toujours émis par l’enfant, d’ailleurs, mais dont l’enfant est le support ou le motif.
Soulignons de nouveau, à ce stade, que les enfants et les parents consultent ou s’expriment bien moins souvent à propos de ce qui se passe au centre de loisirs ou au restaurant scolaire, un peu plus à propos de ce qui se passe au centre de vacances (du fait de la séparation familiale transitoire) et que le médecin de service public ne rencontre ou ne s’entretient que rarement avec les animateurs. Il semble cependant que cette tendance commence à évoluer depuis que la récente réforme des rythmes éducatifs et les échanges et les débats auxquels elle a donné lieu ont revalorisé aux yeux des parents et de l’opinion publique le rôle éducatif effectif ou potentiel des activités pendant les temps « libres », ainsi que les graves inégalités de tous ordres qui en affectent l’accessibilité et le contenu. De même, la contribution des activités dites « périscolaires » et « extrascolaires » au bien-être des enfants commence à bénéficier d’une nouvelle appréciation spécifique – que la plupart des enfants n’avaient pas attendue pour effectuer eux-mêmes. De nouvelles attentes, et donc de nouvelles tensions, pourraient donc commencer à se manifester à ce sujet : est-ce une bonne ou une mauviase nouvelle ?
Parmi les principales causes et formes de mal-être affectant directement l’enfant dans le domaine de ce que j’appellerai l’« école scolaire », j’en relèverai pour ma part quelques unes.
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La pression que nombre de parents de toutes conditions socio-culturelles font peser sur leurs enfants est induite par leurs propres représentations du fonctionnement et des finalités de l’école, par le sens qu’ils leurs attribuent – un sens et des représentations qu’ils communiquent à leurs enfants. Ceci concerne tant les apprentissages que les comportements supposés attendus de l’école : des types d’apprentissages dont il est espéré non plus seulement qu’ils favorisent par la suite l’ascension sociale du futur adulte, mais aussi, et désormais, qu’ils le prémunissent précocement de la menace du chômage ; et des types de comportements qui, notamment dans les milieux modestes, privilégient la demande faite aux enfants d’être ou de rester sages sur celle d’être ou de devenir savants.
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De premières craintes en résultent pour les enfants : celles d’être évalués en classe comme des « mauvais élèves », d’être humiliés, brocardés et marginalisés à ce titre, y compris par leurs camarades (sachant que, dans certains contextes et pour des raisons plus complexes, les « bons élèves » peuvent éprouver des craintes similaires). Ces craintes sont entretenues par des dispositifs pédagogiques d’apprentissage et d’évaluation : qui privilégient la compétition sur la coopération entre les enfants, le doute sur la confiance en soi et en les autres ; qui désignent sous le nom de « fautes » les nécessaires « erreurs » inhérentes à la découverte et à l’acquisition de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs ; et qui, du parent à l’enseignant et de l’enseignant au ministre, dramatisent le parcours et les progrès scolaires en les polarisant sur leurs deux extrêmes, par ailleurs fortement médiatisés, que seraient la « réussite » et l’échec ».
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D’autres craintes sont durement éprouvées par les enfants, et sont vécues pendant les temps scolaires, qui les suscitent, et pendant les temps familiaux, où elles se déploient douloureusement. Le sentiment de dévalorisation par les résultats scolaires et les commentaires souvent peu encourageants qui les accompagnent sont redoublés par les remontrances des parents et la crainte de perdre leur amour. La famille, lieu espéré d’apaisement et de réconfort, est en effet contaminée par les tensions scolaires et pour commencer, chaque soir, par l’ambiance parfois psychodramatique induite par l’épreuve, pourtant déconseillée depuis une circulaire de 1956, des devoirs écrits. Les punitions familiales redoublent les punitions scolaires. L’enfant espérait trouver de la compréhension et de l’aide, et il se trouve confronté à ces mêmes exigences qui lui semblaient déjà inaccessibles à l’école. Certains s’agitent alors face à l’angoisse de chaque instant, d’autres sombrent dans le désespoir ou la dépression, d’autant plus cruels que souvent non reconnus comme tels car taxés par tous comme de la paresse et de la mauvaise volonté.
A cette liste, hélas incomplète et nécessairement sélective, il faudrait ajouter les violences morales (humiliations, vexations, moqueries, injustices, mises à l’écart) mais aussi les violences physiques que les enfants s’infligent parfois entre eux. Elles peuvent avoir des sources et des supports non scolaires, mais elles sont souvent suscitées, entretenues voire scotomisées par le contexte de violences institutionnelles propre à l’école, ou concentrée sur elle, que je viens d’évoquer. Un contexte qui, encore une fois et pour ces raisons aussi, gagnerait à promouvoir la coopération plutôt que la compétition, et donc à terme l’affrontement, entre ses différents acteurs, enfants et adultes.
Si je me suis attaché à décrire ce contexte de la façon dont je l’ai fait, c’est aussi pour mieux souligner à quel point – outre les réformes annoncées en faveur d’une évaluation scolaire plus bienveillante – le développement, l’amélioration et, même, la « refondation » des relations familles / écoles pourraient contribuer à le modifier en profondeur et à contribuer sinon au bien-être, du moins au mieux-être de tous. Des bibliothèques entières ont été rédigées à ce sujet, et je n’aurai pas la prétention de les résumer ici.
On sait que les relations parents / écoles sont socialement et culturellement déterminées, qu’elles sont marquées par les quiproquos, les incompréhensions, les évitements, les harcèlements, les violences parfois, qu’elles soient verbales, symboliques voire physiques. Les déficits ou les excès d’interactions qui en résultent entravent les dialogues confiants et constructifs que nécessiterait une approche coéducative sincère et durable, privilégiant le « côte-à-côte » sur le « face-à-face » ou le « dos-à-dos ». Ils suscitent chez l’enfant un surcroit d’inquiétude et parfois des conflits de loyauté qui mobilisent au quotidien une énergie psychique ainsi détournée de ce que requièrent ses apprentissages.
Le médecin observe aussi la tendance de l’institution scolaire, déroutée par ses propres contraintes ou contradictions, à vouloir obtenir des parents, parfois au moyen de pressions confinant au chantage à la relégation ou à la déscolarisation, qu’ils effectuent des démarches visant à médicaliser ou à psychologiser l’analyse et le traitement des difficultés d’apprentissages ou de comportements scolaires de leurs enfants. Consultations pédopsychiatriques non justifiées, saisines indues de la Maison départementale des personnes handicapées et assignations abusives au champ du handicap, incitations à la prescription fléchée de molécules dangereuses ou inappropriées (éventuellement administrées pendant le seul temps scolaire !) : l’école établit et impose alors un diagnostic et un « traitement » aux parents et aux enfants, sans interroger les pédagogies et les organisations qui permettraient de comprendre, de prévenir et de résoudre ce qui se passe. Exposé en première ligne, avec le consentement passif ou impuissant de ses parents, à de telles violences symboliques ou chimiques, l’enfant finit par intérioriser qu’il est l’auteur de son « échec scolaire », alors qu’il est surtout confronté à l’échec de l’école à son égard. Dans ces conditions, l’école a bien peu de chance d’être le cadre de son « bien-être ».
Le bien-être à l’école (et hors de l’école), du point de vue de l’enfant
Considéré comme on vient de le voir, l’enfant devient ou reste « objet » ou cible de toute action éducative partagée de fait entre ses parents et l’école, voire les autres éducateurs (des animateurs de centre de loisirs, encore rares heureusement, commencent ainsi à demander la mise d’enfants sous Ritaline). Alors que, bien au contraire et à son écoute, on découvre qu’à tous les âges, un enfant aspire à devenir sujet, partenaire voire co-auteur de cette action éducative, et ceci dans un processus de coéducation ouvert à ses propres attentes et initiatives. Il attend que l’attention qui lui est portée par les adultes le soit à toutes les composantes, à tous les contextes, à tous les espaces-temps de son éducation et de sa vie. Il souhaite être considéré comme une personne globale et sollicité comme tel dans un processus d’éducation lui aussi global car intégrant, dans des proportions variables selon son âge, protection, socialisation, transmission, instruction, formation et, au fur et à mesure, émancipation. Et ceci sans être saucissonné ni éclaté entre des compétences détenues par des adultes dont le problème n’est pas le nombre et la diversité, mais l’éventuelle incapacité à se rencontrer, dialoguer et coopérer au bénéfice de la cohérence et de la continuité de ce qu’ils entreprennent pour lui et, si possible, avec lui.
C’est pourquoi, pour peu qu’on l’écoute vraiment, l’enfant apprécie qu’une attention bienveillante de cet ordre se manifeste non seulement envers lui-même, mais également envers et entre tous les adultes qui contribuent à une éducation ainsi conçue et organisée : en premier lieu ses parents et sa famille, qui lui prodiguent de part et d’autre de l’école cette éducation dite informelle sans laquelle il ne serait pas ce qu’il est ; puis, peu à peu, tous les autres adultes dont il n’a de cesse de pouvoir recevoir et apprécier sans crainte l’éducation formelle et l’éducation non formelle qu’il les sait prêt à lui prodiguer dans un contexte de proximité vécue au quotidien.
C’est pourquoi, autrement dit, cet enfant attend et apprécie qu’une ambiance de bientraitance mutuelle règne entre ces adultes-là, mais aussi entre les enfants qui constituent les collectifs dont il est partie prenante. Et qu’il puisse dès lors, à sa façon et à son niveau, contribuer à cette ambiance -ou, en cas de crise, y faire obstacle pour pousser les adultes à un dialogue dont il ne mesure cependant pas toujours tous les risques. Il sait, parce qu’il le vit à chaque instant et depuis sa naissance, que cette bientraitance-là est contagieuse – tout comme le sont par ailleurs les maltraitances – et que, s’il ne lui revient pas d’en enclencher seul le cercle vertueux, il en sera sinon le destinataire final, du moins le bénéficiaire le plus concerné et peut-être actif.
On voit bien, au passage, les impacts concrets que ces différentes considérations – qui peuvent sembler soit très générales et frappées au coin du bon sens, soit utopiques pour ne pas dire iréniques – peuvent avoir sur un processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation d’un PEL ou d’un PEdT soucieux du bien-être des enfants et de celui de tous ceux qui participent à son éducation ne serait-ce que scolaire et « périscolaire », et à son émancipation progressive :
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la prise en compte de la personne globale et de l’intérêt supérieur de l’enfant doit inciter à envisager l’organisation des espaces-temps éducatifs, en fonction des caractéristiques du territoire et des âges des enfants, en se concentrant sur les rythmes et les besoins non seulement biologiques et physiologiques (repas, repos, sommeil, vigilance), mais aussi familiaux, sociaux, relationnels, culturels, ludiques, etc. de ceux-ci ; il importe en outre de s’intéresser étroitement, à ce titre, aux axes d’amélioration de l’environnement physique des enfants (mobilier et contraintes posturales, aménagement de la cour de récréation et des espaces de circulation, ambiance sonore, hygiène, accessibilité et configuration des toilettes, etc.) ;
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l’amélioration des relations parents / écoles nécessite à l’évidence, à l’échelle des établissements et à celle du territoire, de créer les conditions et donc aussi les outils voire les instances permettant les changements de regards et de postures mutuels, la confiance et le respect, la transparence et la bienveillance, la participation et la coopération accrues aux différentes étapes des projets (d’école et de territoire) et ceci pour favoriser le bien-être de tous et notamment des enfants ;
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à ce titre, l’expertise d’expérience et d’usage des parents, bien entendu, et pas seulement des « représentants de parents d’élèves », mais aussi celle des professionnels de « terrain » (ATSEM, personnels des transports et de la restauration scolaires, etc. en contact régulier avec les enfants) et des acteurs associatifs (par exemple des centres sociaux, des secteurs socio-éducatifs, culturels, sportifs et de l’éducation populaire) devraient être authentiquement, méthodiquement et régulièrement sollicitées et valorisées.
Pour ne rien dire encore de l’expertise d’expérience et d’usage des enfants eux-mêmes. Or celle-ci n’est pas négligeable en matière de mieux-être et de bien-être, à et en dehors de l’école. Elle justifierait que, parallèlement à celle de leurs parents mais en faisant appel à des méthodes participatives adaptées à leurs âges, soit actée et concrétisée leur reconnaissance comme acteurs et donc co-auteurs de certains aspects du processus de développement éducatif et social local que représentent un PEL ou un PEdT.
C’est ainsi par exemple que les enfants et les jeunes recherchent et acceptent généralement d’intégrer dans leurs expériences éducatives un certain nombre de valeurs propices à leur bien-être. La coopération, la confiance et l’entraide les aident à être, faire et apprendre ensemble de façon certes non statique, mais stimulante, respectueuse et pacifique – sous réserve que des instances délibératives, du type des Conseils d’enfants de classe et d’école leur permettent d’élaborer et de s’approprier des règles de vie et d’y traiter conflits et transgressions. La compétition et les normes disciplinaires les intéressent aussi, à condition qu’elles soient empruntes d’un esprit de justice et qu’elles favorisent la dimension ludique et non pas agressive de leurs relations.
Habituellement, les collectifs d’enfants, correctement accompagnés, privilégient le « faire avec » sur le « faire contre », générateur de rapports de force ou d’emprise, de violences, d’exclusions. Ou encore de replis défensifs et solitaires sur un « faire sans », qui n’est pas synonyme d’autonomie et ne fait pas sens dans un monde qui valorise certes l’individualisme mais qu’ils perçoivent ou devinent comme oscillant entre liens communautaires et connexions sans limites. Un monde dont les plus âgés, déjà ouverts à l’« économie de partage », comprennent en outre de plus en plus qu’il requiert l’intelligence collective pour faire face aux enjeux collectifs, qu’ils soient cognitifs, environnementaux ou sociaux.
En d’autres termes, les enfants et les jeunes en quête de bien-être dans leurs parcours éducatifs ne seraient pas loin de l’intention, scandaleuse aux yeux d’adultes qui sacralisent encore l’effort voire la souffrance dans les apprentissages, de placer le principe de plaisir au service du principe de réalité. Faut-il les suivre, les précéder ou les accompagner sur cette voie ?
Certains parents, qui ne savent plus très bien comment définir, favoriser, évaluer le bien-être de leurs enfants et qui, pour leur faire plaisir, confondent parfois « avoir beaucoup » (sans attendre) et « être bien » (sur la durée), semblent adhérer à leur façon à une telle approche. On observe cependant que la bientraitance mutuelle des parents et des enfants récompense rarement ce type de relation, excitée de l’extérieur par les stratégies de marketing avides de considérer l’enfant comme un prescripteur de consommations familiales (y compris de services marchands de « soutien scolaire »).
De par leurs formations et leurs expériences, les éducateurs de jeunes enfants et les animateurs font souvent preuve d’un réel talent éducatif pour activer et placer le principe de plaisir d’un collectif d’enfants sur les rails du principe de réalité que nécessite la concrétisation progressive d’un projet conçu ensemble. Il serait temps de prêter une attention accrue à ce qu’ils savent et disent à ce sujet.
Qu’en est-il du côté des enseignants ? Apprendre est un processus interactif et transitif, à l’image de ce verbe dont le sujet est simultanément le « maître » et l’« élève ». Gaston Bachelard renchérissait sur ce constat en affirmant même qu’« un bon cours se reconnaît au fait que le maître y a appris quelques chose » ! Peut-on évaluer le bien-être d’un enseignant, et ses interactions avec celui de ses « élèves », à l’aune du plaisir communicatif d’apprendre qu’il parvient à susciter et à partager avec eux ? Je ne le dirais pas ainsi. Il se peut que le bien-être et le plaisir soient, en matière d’éducation, à la fois la cause et la conséquence l’un de l’autre. J’en déduirais seulement que la responsabilité commune de tous les éducateurs est de promouvoir d’une part le plaisir partagé d’apprendre comme un moyen à encourager et diffuser, et d’autre part les apprentissages et l’émancipation de tous comme un objectif éducatif et social à partager, le bien-être venant ici, pour l’enfant et pour l’adulte, « de surcroit » – comme on le dit de la guérison à propos du processus psychanalytique.
Il me semble en effet que la métaphore sanitaire doit ici être filée avec prudence. La tension, dont la réduction – toujours selon les psychanalystes – produit le plaisir, et qui donc le précède, n’est pas nécessairement contradictoire avec le bien-être. Elle en est même constitutive, en ceci qu’elle émule et suscite le désir d’aller vers l’autre pour coopérer avec lui à la recherche de cette réduction de tension. Le bien-être témoigne voire résulte de la capacité à temporiser de la sorte la satisfaction procurée par cette recherche et le plaisir attendu de ce qui va s’en suivre. On se trouve là, finalement, au cœur d’un authentique processus pédagogique.
C’est pourquoi le Projet éducatif local, parce qu’il vise à rapprocher les acteurs de la coéducation, peut procurer un « Plaisir éducatif local », générateur d’un processus partagé de développement territorial. Mais on ne saurait exiger de lui qu’il produise de façon volontariste ce bien-être qui, on l’a dit, dépend de nombreux autres déterminants, sauf à conférer à l’Etat et aux collectivités locales, à travers leurs nécessaires contributions à ce Projet, des intentions potentiellement totalitaires évocatrices du « Meilleur des Mondes ».
Comment l’Etat et les collectivités locales peuvent-ils contribuer à créer non pas le bien-être, mais des conditions propices au bien-être éducatif et notamment à l’école ?
L’exercice des compétences communales, pour facultatives qu’elles soient, détermine à l’évidence le bien-être des familles qui y vivent ou qui choisissent de s’y installer.
La volonté politique de mettre la ville à la hauteur des enfants et des jeunes, en prenant en compte leurs besoins et leurs aspirations et ceux de leurs parents, permet de mobiliser à cet effet les services municipaux et les associations de proximité, notamment sportives, culturelles, d’éducation populaire et dédiées à la petite enfance. Elle se traduit aussi, sur la durée, et même en cas de tension budgétaire, par des « choix » d’équipements et de fonctionnement susceptibles de rendre la commune attractive pour les jeunes parents et leurs employeurs, et donc d’abonder les finances locales : services et structures d’accueil de la petite enfance adaptés aux réalités familiales, équipements culturels dynamiques et ouverts sur la cité et les écoles (section jeunesse dans les bibliothèques et les médiathèques, ludothèques, conservatoires dynamisant les pratiques amateurs), équipements sportifs accueillants pour les écoles et collèges, les clubs et les pratiques libres, squares et espaces verts aménagés pour les enfants et les jeunes, etc..
Il est à noter que la coexistence, le développement et les orientations de ces équipements trouveront, dans le cadre d’un PEL / PEdT d’initiative communale ou inter-communale, un surcroit de sens c’est-à-dire de cohérence et de complémentarité avec les apports éducatifs des familles et des écoles. Mais aussi la possibilité d’une accessibilité et d’une efficience nouvelles, et celle d’une structuration accrue tant des politiques de recrutement et de formation des personnels chargés de les animer, que des objectifs et des choix de conventionnement avec les associations susceptibles d’investir dans le PEL / PEdT leurs talents et dynamiques propres.
Pour se recentrer sur les locaux scolaires, on rappellera que les compétences des communes les amènent à agir directement et concrètement en faveur du bien-être des enfants et des professionnels à travers les choix qu’elles effectuent – et qu’elles gagneraient à effectuer en consultant et en y associant les uns et les autres – en matière d’architecture, de circulation dans les parties communes, d’agencement et d’aménagement (y compris en termes de mobilier, de sonorisation, d’hygiène) des espaces dédiés aux cours, à la documentation, aux loisirs, aux repas, au repos, aux toilettes, etc.
A cette liste peuvent s’ajouter les ambitions que les collectivités locales concernées peuvent apporter à leurs services de transport et de restauration scolaires, à la sécurisation des abords des établissements, aux équipements informatiques (qui contribuent, notamment chez les plus jeunes, à réduire le poids du cartable), etc. Mais aussi à l’environnement, par exemple en développant des Agendas 21 juniors, ou encore en réduisant la place de la publicité – facteur récurrent de tensions entre parents et enfants – dans les espaces publics.
L’Etat et ses services déconcentrés ont quant à eux un rôle important à jouer, non seulement pour revaloriser les missions, les méthodes et les moyens conférés aux services en charge de la promotion de la santé et de l’action sociale « en faveur des élèves », mais aussi pour encourager – comme y incite à sa façon le récent rapport du Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative – une véritable « refondation » des relations éducatives et pédagogiques. Il s’agit bien, ici, d’un rôle de pilote et de stratège de la réactualisation du projet politique global que requière aujourd’hui l’école de la République.
Ce sujet, trop vaste pour être abordé ici, concerne la question du bien-être en ceci qu’il devrait viser pour tous les acteurs de l’« école » – enfants, enseignants, autres professionnels et notamment animateurs, parents – le développement d’une sécurité intérieure et relationnelle conjuguée avec un encouragement à l’autonomie, et donc la sortie de la solitude subie (et même « choisie »), le refus des humiliations et des harcèlements, la bientraitance et la bienveillance mutuelles, la capacité d’être et de faire avec autrui, la coopération, la créativité, la prise d’initiatives et la reconnaissance du droit à l’innovation dument accompagnée et évaluée, la prise en compte et la mobilisation des environnements familiaux, sociaux, culturels. Et enfin la participation aussi démocratique que possible de tous, enfants compris, à cet effort partagé de rénovation.
Pour conclure, il faut rappeler cette évidence que le bien-être et la santé des enfants, des jeunes et des adultes qui prennent soin de leur personne et de leur éducation ne sont, pas plus que l’éducation, l’instruction et la formation elles-mêmes : ni des affaires privées, confiées aux seules familles (au risque pour elles d’un contrôle social en retour sur leurs « compétences parentales » et leur « parentalité ») ; ni des affaires d’Etat, confiées aux seuls professionnels (au risque pour eux de rester confinés dans le « sanctuaire » de leurs institutions closes ou cloisonnées). Le bien-être des enfants et des jeunes, en particulier, ne peut résulter d’un conflit de responsabilité entre les uns et les autres, potentiellement générateur de méfiances ou de rivalités perçues par ces enfants et ces jeunes, et donc de mal-être pour tous.
De par leur proximité avec les familles, leur connaissance des réalités des acteurs impliqués et leurs compétences spécifiques sur l’environnement et les ressources des uns et des autres, les collectivités locales et notamment les villes ont plus que jamais un rôle à jouer, qu’elles revendiquent d’ailleurs de plus en plus, pour faire valoir l’éducation (au sens large) des enfants et des jeunes comme un sujet et donc un motif de projet collectif et d’intérêt général. Le bien-être éducatif peut représenter, à l’échelle locale, une plus-value attendue – plutôt que recherchée – au fil du plaisir éducatif local, tel que la dynamique d’une telle mise en projet peut procurer, du fait du rapprochement des acteurs et de la réduction des tensions entre eux qu’elle nécessite et occasionne. Mais à l’échelle nationale, la visée politique et fédératrice doit rester, aujourd’hui plus que jamais, dès aujourd’hui et pour demain, l’émancipation de chacun et de tous, et pour commencer celle des enfants et des jeunes.