In Le Café pédagogique – le 3 mai 2013 :
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S’il y a un domaine où l’Ecole progresse c’est bien dans la lutte contre le décrochage. A vrai dire, ce n’est pas tant l’Ecole qui avance que son entourage. Il y a une vraie mobilisation politique sur ce sujet. Les dispositifs se multiplient et se diversifient en cherchant à coller à la multiplicité des situations des décrocheurs. Cette diversité est indispensable mais rend aussi les dispositifs moins lisibles. Un ouvrage donne aux parents les clés pour s’y retrouver, celui de Julie Chupin.
Au centre de la lutte contre le décrochage il y a l’action des régions. Et c’est de là que part Julie Chupin. Ancienne journaliste du Monde de l’éducation, actuellement directrice de cabinet à la région Limousin, elle a une parfaite connaissance de la question, de son histoire et des différents acteurs qui interviennent pour "raccrocher" les jeunes en rupture.
Son livre s’adresse aux parents et aux jeunes. Dans une langage clair, à travers des exemples, elle présente les différents dispositifs qui permettent de sortir de l’ornière et de reconstruire un projet soit de reprise des études, soit d’insertion professionnelle. C’est un véritable guide qu’elle nous propose. Il intéressera au premier chef les parents. Mais il sera utile aussi aux enseignants souvent désarmés pour accompagner des élèves en déroute. Il sera utile aussi aux différents acteurs pour mieux aider les jeunes et mieux se situer dans l’offre existante. Enfin l’ouvrage s’adresse aussi au citoyen qui veut que ce gâchis humain et financier s’arrête et se soucie de l’avenir de notre société.
Entretien avec Julie Chupin
On s’intéresse depuis peu au décrochage. Pourquoi cette question est devenue importante ?
Il y a une ardente obligation à ne pas laisser les jeunes décrocheurs dans l’angle mort des politiques publiques. Il faut faire savoir aux jeunes et aux familles ce qui existe comme dispositifs pour qualifier les jeunes, favoriser leur insertion professionnelle ou les ramener aux études. Il faut avoir une idée de l’importance du phénomène : chaque année c’est environ 150 000 à 165 000 jeunes qui ne trouvent pas leur place à l’école. Il y a vraiment une obligation nationale à leur permettre d’acquérir un savoir professionnel. On peut aussi prendre la question sous un angle pragmatique : ces jeunes, si on ne trouve pas de solution, vont poser des difficultés et coûter cher à la société.
Mais imposer l’école à tous est-ce vraiment une bonne chose ?
Ca dépend de quelle école on parle. Il y a des réalités bien différentes derrière le mot école. Il faudrait une école adaptée à la diversité des jeunes. On parle d’intelligence multiple alors que notre école n’est basée que sur le rationnel et oublie les talents s’appuyant sur des formes d’intelligence différentes comme Gardner l’a montré.
Quand on parle du décrochage, il y a 3 écoles qui mettent en avant des facteurs médicaux, sociaux ou scolaires. Pour vous quelle est la bonne explication ?
Le décrochage n’est pas une rupture brutale mais un processus de désaffiliation avec les savoirs, la famille, les pairs. Les causes sont donc multiples. Il peut y avoir des causes cognitives par exemple la dyslexie. Mais il ne fait pas médicaliser les difficultés scolaires. Evidemment, ls chiffres le montrent, il y a des causes sociales. Les jeunes qui décrochent sont souvent des garçons de lycée professionnel issus de famille monoparentale. Il y a aussi des facteurs personnels , la "parenthèse chagrin" qu’évoque Gilbert Longhi. Les ados décrochent avec tout leur lot de conduites addictives, d’amour, de drame… L’école ne sait pas détecter cela. Chezi les jeunes que j’ai rencontré pour ce livre, il y a souvent cette dimension personnelle. Je cite par exemple une jeune fille qui a décroché après avoir accompagné son père vers la mort. Une autre qui s’occupe d’une soeur handicapée. Il y a des histoires de vie. Si on ne tient pas compte de cela on n’aide pas les jeunes.
Il y a de bonnes raisons de décrocher ?
Dans le contexte actuel ce n’est pas simple pour les jeunes. Dans le livre j’évoque le cas d’une jeune fille en apprentissage dans une boulangerie qui n’est plus retournée travailler. Personne, ni l’établissement, ni le boulanger ne l’a appelé pour prendre des nouvelles. Personne n’en avait rien à faire. Ce qu’expliquent les gens qui travaillent dans des structures de raccrochage, comme le CLEPT, c’est qu’il faut du temps pour renouer le fil. Le décrocheur voit ses copains vivre leur vie d ejeune et pas lui. C’est un temps perturbant pour les parents.
L’orientation revient souvent aussi comme un facteur de décrochage. Que peut-on faire ?
L’orientation est souvent un problème. C’est le maillon faible du système scolaire. On assiste souvent à une orientation par l’échec. Il y a aussi une orientation pour de mauvaises raisons. Il faut le dire : on oriente souvent les jeunes en fonction des places disponibles, pour remplir des structures existantes. Le jeune le subit doublement : il ne fait pas ce qu’il avait envie de faire et il se retrouve dans une formation de relégation. C’est le cas de mon apprentie boulangère : elle voulait faire de la vente de prêt à porter.
L’ouvrage se présente comme un guide des solutions face au décrochage. Il y a donc des dispositifs qui marchent ?
Le décrochage est un phénomène lent, insidieux qui se concrétise dans de petits décrochages en continuum. C’est l’enfant qui a de mauvaises notes ou une mauvaise estime de soi et qui en prend un coup. Donc la solution c’est déjà d’avoir moins d’élèves en difficulté scolaire, de prendre en charge l’échec scolaire le plus précocement possible. Un autre point important c’est l’image qui est donnée de l’école. Il faut donner aux enfants une bonne image, la montrer comme émancipatrice.
Quand la rupture a eu lieu, je présente dans le livre de nombreuses solutions pour raccrocher aux études ou pour s’insérer professionnellement. J’ai essayé de faire une véritable recension : microlycées, PIL, écoles de la seconde chance, dispositifs régionaux… Il y a plein de choses ! Ce qui manque c’est l’articulation entre tout ce qui existe. Je fais aussi un zoom sur le service civique qui peut aussi être un sas valorisant pour des jeunes avant de retrouver une orientation de qualité.
Vous aviez co-rédigé un ouvrage sur l’innovation pédagogique. Pourquoi avoir choisi ce thème pour ce nouveau livre ?
Je travaille au cabinet du président de la région Limousin. Je vois bien à ce niveau la volonté qu’il y a de trouver des solutions, de construire des politiques publiques pour ces jeunes qui vivent dans un monde où l’emploi est de plus en plus qualifié.
Propos recueillis par François Jarraud
Julie Chupin, Echec scolaire . La grande peur. Décrochage : prévenir, aider, accompagner, Autrement 2013. Préface de Philippe Meirieu.