A l’occasion du 20 novembre, journée des droits de l’enfant qui devait permettre par la loi de faire le point sur le niveau de mise en oeuvre de la Convention internationale sur les droits de l’enfant adoptée par l’ONU le 20 novembre 1989 et entrée en application en France le 6 septembre 1990, DEI-France rend public son rapport « Au pied du mur » adressé au Comité des Experts de l’ONU qui doit examiner en 2009 la situation de la France.
Le présent rapport a été élaboré par DEI-France, avec le concours et le soutien d’autres associations, de parents et de professionnels de l’enfance dans différents domaines(1), pour apporter au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies une vision
alternative à celle du rapport officiel du gouvernement français, remis en septembre 2007.
On y examine la façon dont la France a continué à mettre en oeuvre ses engagements d’Etat partie à la Convention relative aux droits de l’enfant depuis sa dernière audition par le Comité en 2004, donc sur les quatre dernières années.
Ce rapport se veut donc une contribution pour l’examen du cas de la France par le Comité prévu en juin 2009. Construit selon une analyse systémique de l’ensemble des droits, comme le veut la Convention,
en utilisant le plan recommandé par le Comité, le rapport alternatif apporte un point de vue
critique de la situation réelle des droits de tous les enfants de France métropolitaine(2) – et
non seulement une analyse de la législation qui leur est applicable comme le rapport officiel l’a
surtout développée.
Il ne se contente pas de dénoncer les manques ou les violations des droits ; il
se veut surtout constructif en proposant des préconisations susceptibles de progresser vers
un meilleur respect effectif des droits reconnus aux enfants par la Convention.
Il ressort de l’analyse menée que si le sort de nos presque 15 millions d’enfants est en général
relativement enviable, la France dispose d’une nette marge de progrès par rapport à d’autres
pays riches.
Pour ne citer qu’un chiffre, 2 millions d’enfants, selon le critère européen, vivent en
dessous du seuil de pauvreté. Plus grave, la dynamique de progrès des droits de l’enfant
semble enrayée, pire on l’accuse d’être à l’origine d’une déresponsabilisation des parents ou
encore d’empêcher les éducateurs d’exercer leur métier. Bref, les droits de l’enfant seraient
responsables d’une partie des maux de cette société. Bien au contraire nous pensons qu’il est
temps de réellement penser une politique globale, complète et cohérente fondée sur les
droits de l’enfant.
L’Etat français doit tout d’abord mettre en œuvre les mesures d’application générale de la
Convention nécessaires à une véritable stratégie des droits de l’enfant, qui n’a encore jamais
été réellement pensée ni organisée dans ce pays. On retiendra ici (cf partie I) :
– L’application pleine et entière, selon l’article 55 de la Constitution, de la suprématie
juridique de la Convention sur les lois nationales (dans tous ses articles).
– Des efforts importants de diffusion de la Convention auprès de tous, des parents
jusqu’aux décideurs politiques, et de formation de tous les professionnels de l’enfance, Ã
commencer par les enseignants et les acteurs de la justice .
– La mise en œuvre, orchestrée par un grand ministère de l’enfance ou une délégation
interministérielle rattachée au premier ministre, d’une politique globale de l’enfance
pérenne, pensée en fonction des besoins et dans l’intérêt des enfants comme DEI-France le
suggère dans son document « Pour une loi d’orientation pour promouvoir le bien-être des
enfants » (ref. 34), avec une définition de référentiels communs garantissant aux enfants
une égale application de leurs droits dans toutes les régions lorsque l’Etat central a délégué
aux collectivités territoriales certaines compétences.
– Des moyens de suivi, grâce à des indicateurs, des progrès dans la mise en oeuvre de
cette politique et un renforcement des moyens de contrôle, Ã commencer par une
véritable indépendance et des moyens financiers adaptés pour les institutions nationales de
défense des droits humains (Défenseur des enfants, Commission Nationale Consultative des
Droits de l’Homme, Haute Autorité de Lutte contre la Discrimination et pour l’Egalité et
Contrôleur des lieux privatifs de liberté)
La France doit reconnaître le statut d’enfant plein et entier, dans l’esprit de la Convention, et
garantir leurs droits d’enfant à tous les êtres humains de moins de 18 ans sous sa
juridiction, et ce sans discrimination, qu’ils soient pauvres, étrangers, délinquants, en situation
de handicap, et quelle que soit la situation de leurs parents.
Si des progrès – qui demandent
encore à être poursuivis tellement le retard était grand – ont été réalisés pour les enfants
handicapés (partie VI du rapport), si l’on attend beaucoup de certaines mesures, comme le
Revenu de Solidarité Active, qui doivent être mises en œuvre pour lutter contre la pauvreté,
(chapitre VI), un certain nombre de politiques actuelles ou en préparation sont par contre
extrêmement inquiétantes, en particulier la politique d’immigration ou les orientations
passées et à venir de la justice des mineurs qui tendent à stigmatiser et discriminer certaines
populations.
Elles touchent malheureusement des groupes d’enfants parmi les plus vulnérables
(partie VIII du rapport).
Ainsi on retiendra que :
– L’Etat, en collaboration avec les Départements, doit mettre en œuvre une politique
cohérente au plan national d’accueil et de protection des mineurs isolés étrangers, en
cessant de les refouler et de les enfermer en zone d’attente, en leur assurant une prise en
charge sécurisée et l’aide psychologique nécessaire, en leur garantissant dans tous les cas
une représentation légale (administrateur ad hoc puis tutelle), en leur permettant de
construire leur avenir professionnel et en leur offrant des perspectives au delà de leur
majorité, soit dans un retour vers leur pays si cela est conforme à leur intérêt, soit
d’intégration dans la société française dans le cas contraire.
– L’Etat doit revenir sur le durcissement de la politique de réunification familiale des
migrants qui conduit certains enfants à entrer dans le pays de façon illégale et à se
retrouver expulsables à leurs 18 ans alors que toute leur famille vit en France.
– L’Etat doit prendre en compte de manière primordiale l’intérêt des enfants, notamment
leurs droits à vivre en famille, à ne pas subir de violence et à suivre une scolarité normale,
lors des décisions concernant leurs (ou l’un de leurs) parents étrangers en situation
irrégulière, en renonçant à l’arrestation, à la rétention et à l’expulsion de ces parents (ou de
la famille entière).
– Les orientations actuelles en matière de justice pénale des mineurs doivent être
profondément modifiées. Les moyens doivent être portés en priorité sur les mesures
éducatives en milieu ouvert qui devraient pouvoir être mises en œuvre sans délai (au lieu
d’attendre plusieurs mois comme actuellement) ; l’incitation – voire l’imposition aux juges,
avec les peines planchers – Ã des peines de plus en plus coercitives de plus en plus tôt (pour
les plus jeunes) et surtout à des peines de privation de liberté doit être revue.
La privation
de liberté n’a jamais été un moyen d’éduquer ou de favoriser l’intégration dans la société. De
plus, les adolescents ne sont pas des adultes, la récidive est une caractéristique de leur
délinquance ; ils doivent être jugés par des juridictions spécialisées et /ou des procédures
particulières, et l’atténuation de la responsabilité pénale doit être rétablie de droit pour
tous les mineurs, quel que soit leur âge. Mais surtout la prévention de l’entrée en
délinquance repose essentiellement sur une amélioration des conditions socio-économiques
dans lesquels vivent ces enfants et sur les perspectives d’avenir que la société est en mesure de leur offrir. Elle passe aussi par un enseignement du droit – et des droits de l’homme et de
l’enfant – dès l’Ecole.
On ne peut évidemment passer sous silence ici le sort des enfants victimes de mauvais
traitements ou maltraitance (cf partie V). La loi du 5 mars 2007 relative à la réforme de la
protection de l’enfance a apporté des progrès : éclaircissements sur le partage de
responsabilité entre justice et protection administrative, désignation d’un chef de file (le
président du Conseil général, instance exécutive de chaque département) et meilleur suivi des
enfants en danger ou en risque de danger.
Elle n’a par contre pas apporté d’amélioration de la
protection vis à vis des maltraitances institutionnelles en se focalisant exclusivement sur la
maltraitance dans le milieu familial – certes la plus fréquente. Mais surtout elle entre en conflit
avec la loi, votée le même jour, qui donne au maire des compétences en matière de prévention de
la délinquance et qui serait autorisé Ã solliciter les travailleurs sociaux pour recueillir des
informations sur certaines familles jugées « Ã risque », ce qui est contraire au secret
professionnel et présente le risque de stigmatisation préventive de ces familles.
Il n’est donc
pas sûr que la protection de l’enfance en danger échappe totalement à une
instrumentalisation au profit de la prévention de la délinquance et il y a lieu de clarifier
cette situation dans l’intérêt des familles et également des travailleurs sociaux qui les
accompagnent.
Mais ce rapport met surtout en évidence (cf partie VII) des tendances inquiétantes concernant
l’Education.
Et cela concerne cette fois ci, non pas des enfants vulnérables dont le nombre
s’élève à quelques milliers pour les Mineurs Isolés Etrangers ou pour les délinquants et à quelques
450 000 pour les enfants en danger aidés éducativement ou financièrement par les services
d’Aide Sociale à l’Enfance, mais la totalité des presque 15 millions d’enfants de France.
Non
seulement on observe un échec certain dans l’entreprise de démocratisation de l’Ecole qui, si elle
a réussi à intégrer quasiment tous les élèves depuis les années 1980, creuse les inégalités
sociales de départ au lieu de les réduire et ne parvient pas à donner à tous des chances de
réussite. Mais elle échoue aussi à donner, au travers de l’enseignement obligatoire, le bagage
nécessaire à tout citoyen et à apprendre à tous à vivre ensemble. Les mesures de discrimination
positive adoptées pour quelques rares enfants des quartiers défavorisés ne sont pas de
nature à assurer une réelle égalité dans le droit à l’éducation.
Il y a lieu de repenser tout
le système éducatif, de l’accueil des petits avant même la scolarité obligatoire en tenant compte
de leurs besoins spécifiques, jusqu’aux études supérieures, en passant par le processus
d’orientation scolaire et professionnelle. Cette réforme devrait être fondée sur la base d’une
éducation républicaine, avec des méthodes favorisant la participation active des enfants à leur
éducation, menant chacun à l’émancipation, lui donnant le bagage nécessaire à son épanouissement
dans tous les domaines et à son insertion dans une société fondée sur la solidarité plus que sur la
compétition.
De plus, sous l’effet des réductions budgétaires recherchées, des dérives actuelles
sont à l’oeuvre vers une répartition de l’éducation entre éducation formelle (minimale) Ã
l’Ecole d’une part et éducation non formelle dans les structures éducatives ou de loisirs
périscolaires d’autre part, qui contribuent encore plus à l’inégalité entre les enfants en
fonction des milieux sociaux et des ressources financières des parents.
Le rapport tire ici un
signal d’alarme.
Ce sont là des défis majeurs. Mais un préalable essentiel serait que s’opère enfin la révolution
des mentalités voulue par la Convention : que tout adulte voie en l’enfant, de 0 Ã 18 ans,
une personne :
– à la fois digne d’être écoutée dès le plus jeune âge, avide d’informations, capable d’exprimer, avec ses moyens d’expression à lui, un point de vue sur ce qu’il vit, dont le regard estcomplémentaire de celui des adultes, et donc porteur de solutions pour résoudre les
problèmes posés,
– et en même temps nécessitant – y compris (et surtout ?) au moment de l’adolescence – un
accompagnement des adultes pour le protéger jusqu’Ã sa pleine émancipation.
Il n’y a pas lieu de vouloir scinder les enfants – au sens de la Convention – en deux classes
d’âge comme le voudraient certaines tendances observées en France: les jeunes enfants,
vulnérables et victimes potentielles qu’il s’agirait surtout de protéger et les adolescents, au
physique de plus en plus « impressionnant », considérés comme des problèmes et des sources de
délinquance, qu’il s’agirait d’assimiler à des adultes, surtout lorsqu’il s’agit de sanctionner leurs
comportements.
Il est temps que le regard porté par la société sur les adolescents change radicalement, c’est-Ã -dire
que les politiques, relayés par les médias, cessent de présenter la jeunesse comme source
de problèmes, cessent de légiférer sous le coup de l’émotion et sans cohérence en réaction à des
événements ou dysfonctionnements observés ici ou là . Bien au contraire, ils doivent accorder
leur confiance aux enfants et aux jeunes, bâtir avec eux une politique globale cohérente de
l’enfance pour construire un monde solidaire que les enfants d’aujourd’hui auront à cœur de
transmettre à leurs propres enfants demain.
En dépit des progrès enregistrés dans quelques domaines, les orientations néfastes mises en
évidence dans ce rapport ont amené notre pays ces dernières années au pied d’un mur qui
l’empêche de progresser vers un meilleur bien-être des enfants, et de la société aussi.
Ce
mur a des noms multiples : mur du silence, mur de l’indifférence, mur de la peur, mur de la
ségrégation, mur de l’enfermement, mur de la résignation. Il faut clairement se donner les
moyens de surmonter, de contourner – ou d’abattre ? – ces murs en adoptant d’autres
approches, en trouvant d’autres stratégies pour « donner aux enfants le meilleur de nous-mêmes
» et leur laisser en héritage un monde plus solidaire.
La responsabilité n’en incombe pas aux seuls pouvoirs publics. Si le présent rapport peut paraître
souvent « Ã charge » pour le gouvernement – qui a la responsabilité d’assumer les engagements
pris au nom de l’Etat français devant la communauté internationale en ratifiant la Convention,
nous n’oublions pas que nous portons tous – et particulièrement les défenseurs des droits de
l’enfant que nous sommes – une part de responsabilité.
Nous sommes nous aussi « au pied du
mur ». A nous de prendre position, de promouvoir des pratiques conformes aux droits de
l’enfant et de défendre ces positions mieux encore que nous l’avons fait jusqu’Ã présent. Par
respect pour les enfants.
Le bilan proposé dans ce rapport nous amène déjà à formuler 20 grandes recommandations pour
les cinq ans à venir, récapitulées en fin du rapport.
Plus que jamais il faut se convaincre et convaincre toutes et tous en France que la
Convention, Ã travers la reconnaissance de l’enfant dans ses droits civils, économiques,
sociaux, culturels et politiques, trace un vrai projet de société qui permet non seulement
aux parents de trouver leur compte, mais à la société d’être réassurée.
La France fait
partie des pays qui, plus que d’autres, ont les moyens de ce pari politique. Les droits
reconnus aux enfants et déclinés concrètement au bénéfice des enfants ne constituent pas
un danger, mais une chance pour nos sociétés
1 FCPE, OCCE, ICEM Freinet, France Terre d’Asile, ANAFE et l’AFMJF.
2 Le rapport trouve ici l’une de ses limites puisque nous n’avons pas été en mesure de traiter vraiment le cas
des enfants des collectivités d’Outre Mer. Nous n’oublions pas cependant que dans ces territoires des
violations graves des droits de l’enfant sont observées, dont certaines sont évoquées dans le rapport.
[Lire le rapport…->http://www.dei-france.org/rapports/2008/RA_DEI_CRC.pdf]