In Ministère de l’Education Nationale – le 29 novembre 2013 :
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George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative s’est exprimée le vendredi 29 novembre 2013 lors du Colloque International sur la Persévérance scolaire à Rouen.
Seul le prononcé fait foi
Au début du mois de novembre se sont tenues à Montréal les 3èmes rencontres sur la persévérance scolaire qui avaient pour message "agir tôt, voir grand".
En réunissant 1400 personnes, nos partenaires québécois ont montré qu’il était possible de mobiliser à grande échelle autour de ce thème les acteurs de la réussite éducative, dans leur diversité, qu’ils soient responsables institutionnels, chercheurs, acteurs des territoires, associatifs ou du monde éducatif, ou représentants du monde économique.
Par delà les différences de contexte, le décrochage ou l’abandon scolaire est considéré de part et d’autre de l’Atlantique comme un enjeu politique majeur. Que ce soit pour des raisons économiques, démographiques ou sociales, la réussite éducative des jeunes est perçue comme une condition essentielle du développement, du bien-être, de la cohésion, et donc de l’avenir de nos pays dans les prochaines années.
À regarder de près, le mot d’ordre des rencontres pourrait s’appliquer en France non seulement au processus de décrochage scolaire, mais à l’ensemble du système éducatif.
Face à la dégradation de notre système éducatif au cours des dix dernières années, à sa perte d’efficacité et d’équité, confirmées par les enquêtes internationales (la France est classée dans le dernier quart de pays de l’OCDE pour l’équité de son système éducatif), il nous a fallu voir grand pour être à la hauteur des défis : il ne s’agissait pas seulement de réformer ou d’améliorer tel ou tel aspect de notre système mais bien de le refonder profondément en ayant pour objectif de rétablir la justice et l’égalité ;
Agir tôt pour garantir la justice sociale et la réduction des inégalités, c’est le sens de la priorité donnée au primaire, à la scolarisation des moins de trois ans notamment en éducation prioritaire, c’est le dispositif plus de maîtres que de classes ou encore les liaisons entre les différents niveaux d’enseignement.
Mais pour nos jeunes qui quittent aujourd’hui précocement le système éducatif, il y avait urgence à agir.
Défini comme la situation d’un jeune qui quitte le système initial avant l’obtention d’un diplôme au moins de niveau 5, le décrochage concerne en France environ 140 000 jeunes chaque année. Il constitue bien le révélateur le plus significatif des difficultés de notre système à faire réussir tous les élèves.
Cette situation est source pour ces jeunes de difficultés sociales et économiques majeures. C’est aussi un enjeu humain avec un préjudice moral important en termes d’estime de soi et souvent de qualité de vie. Il constitue un risque majeur de future exclusion sociale.
La lutte contre le décrochage scolaire est ainsi devenue une priorité nationale et européenne qui impose d’agir vite en ne laissant de côté aucun de nos jeunes
Dans les États membres de l’Europe, la réduction du taux de décrochage scolaire est l’un des cinq objectifs définis dans la stratégie Europe 2020 pour une économie durable, intelligente et inclusive.
À l’heure actuelle, près de 6 millions et demi de jeunes européens sont en situation de décrochage soit un taux moyen de 12,8% de sortants précoces parmi les jeunes âgés de 18 à 24 ans. La France affiche un taux de 11,6% d’abandon scolaire ; elle s’est engagée à réduire ce taux sous le seuil des 10 %.
Le Président de la République nous a fixé un objectif précis : diviser par deux le nombre des décrocheurs sur la durée de la mandature.
Pour réduire de moitié le flux des décrocheurs, deux démarches simultanées doivent être développées :
- Raccrocher le plus rapidement possible les jeunes sortants sans diplômes du système éducatif : il faut pour cela repérer ces jeunes, et leur proposer une solution de raccrochage ;
- Favoriser le maintien en formation des jeunes jusqu’à l’obtention d’un diplôme ou d’une certification. C’est ce que l’on peut appeler la persévérance scolaire, selon le concept introduit au Québec dans les années 50. : La persévérance scolaire sous-tend la nécessité d’agir en priorité sur la prévention. C’est aussi ma priorité.
Le ministère de l’éducation nationale a lancé en décembre 2012 un nouveau dispositif pour proposer à chaque décrocheur un parcours de retour en formation et raccrocher 20 000 jeunes avant la fin de l’année 2013, en mobilisant d’abord ses propres ressources.
C’est l’objectif des réseaux FOQUALE, qui rassemblent, dans le périmètre de chacune des 360 plateformes interministérielles d’appui et de suivi, les établissements et dispositifs de l’EN susceptibles d’accueillir les jeunes décrocheurs.
Le ministère de la réussite éducative a participé à l’élaboration de ce plan, en proposant notamment de développer les structures innovantes de raccrochage (micro lycées notamment). Elle a fixé ainsi l’objectif d’au moins une structure par académie
C’était nécessaire, mais ce n’est pas suffisant.
Prévenir le décrochage et favoriser l’accrochage scolaire suppose des mesures de fond très précoces, même si les effets ne peuvent être immédiats, pour favoriser la réussite éducative et prendre en charge le plus tôt possible les difficultés scolaires. Cela suppose aussi des mesures de repérage des signes avant-coureurs du décrochage pour engager des actions de prévention ou de remobilisation.
C’est la nouvelle priorité des missions générales d’insertion qui sont devenues des missions de lutte contre le décrochage scolaire. Elles joueront un rôle essentiel pour impulser dans les établissements des groupes de prévention du décrochage tout en poursuivant l’organisation d’actions de remobilisation et de repréparation à l’examen.
Deuxième mesure de prévention, la mise en place de référents décrochage scolaire dans les établissements du second degré à fort taux d’absentéisme et de décrochage.
La troisième mesure, qui donnera lieu à publication d’une circulaire conjointe avec la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, concerne l’amélioration des dispositifs relais (ateliers et classes relais qui accueillent des jeunes collégiens en risque de décrochage soit quelques semaines soit plusieurs mois, en vue de les remobiliser).
Ces dispositifs sont complétés depuis la rentrée par des internats relais qui se substituent aux établissements de réinsertion scolaire dans une philosophie radicalement différente : il ne s’agit plus de mettre à l’écart des élèves perturbateurs, mais de prévenir le décrochage. Les modalités sont revues : elles privilégient une démarche plus inclusive avec des liens renforcés avec l’établissement d’accueil. Elles mettent davantage l’accent sur le projet éducatif et surtout instaurent un suivi entre l’établissement d’origine et l’établissement d’accueil, pour garantir la pérennité des effets.
Mais la prévention du décrochage suppose avant tout la mobilisation de l’ensemble de la communauté éducative pour :
- prendre en compte la multiplicité des causes du décrochage ;
- repérer et agir des les premiers signes d’un processus de décrochage (désinvestissement, baisse des résultats par exemple) ;
- accompagner l’élève et ses parents dans une approche de coéducation ;
- renforcer la réactivité de tous les acteurs dans la mise en œuvre des mesures éducatives et pédagogiques.
C’est ainsi qu’un nouveau dispositif de lutte contre l’absentéisme sera défini dans les prochaines semaines (avec la publication de plusieurs textes) à la suite de l’abrogation de la loi CIotti (qui a mis un terme à la suspension des allocations familiales notamment). Le dispositif que nous allons présenter appréhende véritablement l’absentéisme comme un phénomène multifactoriel en faisant intervenir un maximum d’acteurs le plus tôt possible dans un processus d’accompagnement des parents et non de stigmatisation.
Parmi la pluralité de facteurs, scolaires, sociaux, familiaux, personnels qui peuvent constituer des causes de décrochage, le sentiment de l’orientation subie, en particulier vers l’enseignement professionnel, est fréquemment évoqué dans notre pays.
La réussite du parcours scolaire et de l’insertion dans la vie professionnelle ne peut qu’être favorisé par une orientation choisie par les élèves et leurs parents. Il faut à cet égard créer les conditions de choix éclairés pour la poursuite des études, en ouvrant l’éventail des possibles et en favorisant l’engagement de chaque élève dans son parcours de formation.
Dans le cadre fixé par l’article 48 de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, le choix par les parents de la voie d’orientation en fin de troisième sera expérimenté dans 117 collèges répartis dans 12 académies.
Nous considérons qu’Il n’y a d’ailleurs aucune fatalité pour que l’orientation vers la voie professionnelle reste une orientation subie. L’enseignement professionnel doit être valorisé en tant qu’atout pour le redressement productif et l’insertion professionnelle des jeunes.
Cette expérimentation devra mettre en lumière les facteurs de réussite et les leviers permettant de lever les obstacles à une orientation choisie. Un des facteurs déterminants de la réussite de cette expérimentation sera la qualité de l’accompagnement des élèves et de leur famille.
Les établissements volontaires se sont engagés à accompagner les familles tout au long d’un parcours d’information et d’orientation afin de développer un climat de confiance et instaurer un dialogue approfondi entre les familles et les équipes éducatives.
L’expérimentation du "dernier mot " laissé aux parents lors du choix de la voie d’orientation en fin de 3e est pour nous une mesure forte qui s’inscrit dans une problématique triple :
- une reconnaissance de la place et du rôle des parents valorisant le principe de co-éducation,
- une amélioration des processus d’orientation en relation avec la mise en œuvre progressive d’ici la rentrée 2015 du nouveau parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel ;
- la prévention du décrochage et la revalorisation de la voie professionnelle, l’orientation vers cette voie devenant un choix assumé et non subi.
Dans les deux mesures que nous venons de voir, il y a un point qui apparait capital : c’est celui de la coopération entre l’école et les parents.
La loi du 8 juillet 2013 a fait de la coéducation l’un des leviers majeurs de la refondation de l’école. Ce principe doit se concrétiser par une participation accrue des parents à l’action éducative dans l’intérêt de la réussite de tous les enfants.
C’est le sens de la circulaire interministérielle du 14 octobre dernier "renforcer la coopération entre les parents et l’école dans les territoires". Dans le cadre de la construction d’une école accueillante et bienveillante pour les familles, elle renforce la place des parents dans l’école, en accordant une attention particulière aux parents les plus éloignés du système éducatif.
Elle se donne pour principaux leviers de rendre effectifs les droits d’information et d’expression des parents, de construire de nouvelles modalités de coopération entre l’école et les parents et d’assurer la coordination des actions d’accompagnement à la parentalité avec l’ensemble des partenaires dans les territoires.
Comme vous le voyez, la lutte contre le décrochage et pour la persévérance scolaire fait partie des principaux chantiers de la réussite éducative. Mais pour être efficace, cette politique doit s’appuyer sur des principes et des méthodes renouvelés.
Les principes et la méthode de la réussite éducative
Créé pour la première fois dans un gouvernement, le ministère délégué à la réussite éducative a suscité dans un premier temps des interrogations sur sa signification et sur son champ d’action.
Jusqu’alors, la réussite éducative était connue en France à travers les programmes de réussite éducative (PRE) initiés dans le cadre de la politique de la ville.
L’expérience québécoise permet de réfléchir dans un cadre plus large que celui de dispositifs particuliers, aussi utiles et intéressants soient-ils, pour promouvoir une approche plus globale de la réussite éducative.
Le ministère délégué, en complémentarité avec celui de l’éducation nationale, a pour objectif la réussite de tous les enfants, de tous les jeunes et symbolise donc une nouvelle approche de la lutte contre les inégalités.
Cet objectif requiert une approche globale de l’enfant et du jeune dans son environnement social, culturel, familial et territorial et se fonde sur un projet partagé avec l’ensemble de la communauté éducative. L’école de la réussite éducative c’est une école bienveillante et inclusive.
La politique de la réussite éducative implique de faire travailler ensemble de nombreux acteurs : collectivités territoriales, associations, ministères de la ville, de la famille…). La première tâche a été d’apporter une meilleure connaissance réciproque dans un but de cohésion et d’harmonie entre toutes ces composantes.
À cette fin, une journée nationale a réuni le 15 mai dernier en Sorbonne, plus de 500 acteurs représentants ces différentes composantes, pour réfléchir ensemble et chacun dans son rôle à la meilleure manière de contribuer à l’épanouissement de l’enfant.
Le travail s’est poursuivi ensuite pour aboutir tout récemment, le 15 octobre, à la signature d’un pacte pour la réussite éducative dans lequel chacun reconnaît les principes et valeurs qui animent les acteurs de la réussite éducative. Il constitue aussi un document de reconnaissance et de valorisation pour l’ensemble des partenaires.
Ce pacte constitue la feuille de route de la réussite éducative sur le terrain. Il doit permettre de renforcer la démarche partenariale et de faire vivre les projets locaux. Il appartient à chaque académie de développer une stratégie propre, adaptée à ses problématiques et spécificités territoriales.
Je tiens à cet égard à saluer l’engagement de l’académie de Rouen et celle de sa rectrice dans cette démarche.
La réussite éducative ce sont des principes que nous avons voulu clarifier, mais ce sont aussi des méthodes et des outils que nous souhaitons développer.
C’est notamment l’installation à l’école normale supérieure de Lyon, dans le cadre de l’IFé (institut français de l’éducation) de l’observatoire de la réussite éducative, destiné à collecter et analyser l’ensemble des initiatives de réussite éducative, et à devenir un lieu de ressources et de fédération pour l’ensemble des acteurs.
La réussite éducative se donne aussi pour objectif d’impulser l’innovation au sein du système éducatif, car les enfants des écoles sont divers et obligent à des pratiques pédagogiques diversifiées et différenciées. De nombreuses dispositions de la loi vont dans ce sens, dans le cadre de la formation des personnels et la mise en place d’un service numérique éducatif.
Pour la première fois dans l’histoire de l’éducation, le code de l’éducation a introduit la démarche d’innovation parmi les missions du personnel d’éducation. Le ministère de la réussite éducative a apporté sa contribution à cette entreprise en créant le conseil national de l’innovation pour la réussite éducative en avril dernier.
Le conseil a pour mission de favoriser l’esprit d’innovation et la mutualisation des pratiques innovantes, en croisant le repérage des politiques de terrain et les travaux issus de la recherche.
En conclusion
Il y a quelques jours, un groupe d’experts franco-québécois sur la persévérance scolaire et la réussite éducative m’ont remis le rapport final du projet de coopération qu’ils ont conduit de part et d’autre de l’Atlantique de mars 2011 à mars 2013.
Après avoir tracé un portrait comparé des approches, concepts et déterminants liés à la persévérance et la réussite éducative et partagé les initiatives probantes, ces experts ont formulé des préconisations et des recommandations communes en matière de prévention du décrochage scolaire et de persévérance scolaire à destination de l’ensemble des institutions et des acteurs concernés par cette problématique.
En complément de ces préconisations, ces experts nous invitent à une rencontre entre démarche descendante (politiques publiques) qui est plutôt une tradition française, et démarche ascendante (actions probantes), plus largement répandue outre-Atlantique, en soulignant que cette rencontre pourrait être la clé de l’innovation sociale en matière de persévérance scolaire, le jeune étant au cœur de toutes les actions mises en œuvre.
Au cours de ces rencontres, vous avez je crois fait un large pas dans cette direction en l’enrichissant de l’expérience de nos amis belges et de nos amis suisses.
Vous l’avez compris, ces démarches sont pleinement convergentes avec les objectifs, les méthodes et les valeurs de la réussite éducative que je souhaite impulser.
Je voudrais donc vous remercier pour votre initiative, qui va pleinement dans le sens de l’élan de recherche et d’innovation contenu dans la refondation de l’école, comme vous le souligniez dans votre invitation, madame la rectrice.
Je voudrais également faire part de mes remerciements aux experts qui nous ont apporté leur précieux concours ainsi que mes chaleureux encouragements à l’ensemble des acteurs hauts normands de la réussite éducative en saluant leur engagement, et exprimer à tous mon soutien pour la poursuite de travaux communs.