In Ministère de l’Education Nationale – le 9 avril 2014 :
Accéder au site source de notre article.
Mesdames et Messieurs les Recteurs,
Monsieur le Secrétaire général,
Madame la Directrice générale, Monsieur le Directeur général,
Monsieur le Doyen de l’Inspection générale de l’éducation nationale,
Monsieur le Chef de service de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche,
Mesdames et Messieurs les directeurs de l’administration centrale,
Mesdames et Messieurs les inspecteurs généraux,
Mesdames et Messieurs les inspecteurs d’académie, directeurs académiques des services de l’éducation nationale,
Mesdames et Messieurs les inspecteurs d’académie, inspecteurs pédagogiques régionaux,
Mesdames et Messieurs les inspecteurs de l’éducation nationale,
Mesdames et Messieurs les chefs d’établissement,
Mesdames, Messieurs.
C’est avec un grand plaisir et en étant conscient de l’importance de cette journée que je m’exprime devant vous. Ce moment s’inscrit dans la droite ligne de ce qu’a été l’action du président de la République et du ministre de l’Éducation nationale depuis plus de deux ans. Refondre notre école, lutter contre les déterminismes sociaux pour permettre à chaque jeune de pouvoir réussir et de prendre son avenir en main.
Chaque année, nous faisons les mêmes constats. La France, le pays qui par sa révolution a aboli les privilèges et la société d’ordre, ce pays qui a mis fin au fait que votre naissance détermine votre place dans la société alors que certains n’avaient nul autre mérite que celui d’être bien nés ; ce pays est devenu, plus de deux siècles après notre révolution, celui de l’OCDE où l’origine sociale pèse le plus sur la réussite éducative.
C’est en France que la différence de résultats en mathématiques entre les élèves issus de milieux très défavorisés et les élèves issus de milieux très favorisés est la plus grande. Et cet écart s’est encore creusé au cours des 9 dernières années. Mais, à vrai dire, comment aurait-il pu en être autrement quand tant de moyens ont été supprimés ? Alors oui, malgré l’investissement et la conscience professionnelle de l’ensemble de la communauté éducative, l’école française continue d’accroître les inégalités.
Vous savez également que, en plus du déterminisme social dans l’obtention du diplôme, s’ajoute le fait que nous sommes le pays où le niveau de diplôme a le plus d’influence sur l’ensemble de la carrière professionnelle. Le diplôme demeure certes un relatif "bouclier" face au chômage ; mais cela a un corolaire : c’est que l’absence de diplôme condamne presque inexorablement au chômage ou à la précarité, comme l’a souligné à maintes reprises la sociologue Marie Duru-Bella. En somme, déterminisme lié à la naissance d’une part, et déterminisme lié au diplôme d’autre part, s’additionnent et creusent toujours davantage les inégalités.
Et ce que nous pressentions se trouve confirmé dans l’âpre réalité des chiffres, comme l’illustre la récente étude du Céreq sur l’insertion professionnelle trois ans après la sortie du système éducatif de la génération 2010. Constat le plus frappant : le chômage a doublé par rapport à la génération 2004. Et cela est d’abord vrai pour ceux étant sortis du système éducatif sans qualification. Ceux-là sont presque pour moitié – pour moitié ! – au chômage, mais aussi pour ceux ayant arrêté leurs études à niveau V, qui subissent un taux de chômage de 32%.
Quand la situation économique se détériore aussi massivement que c’est le cas depuis 2008, ce sont ceux qui sont déjà les plus en difficulté qui sont les premiers et les plus durement pénalisés.
Ils sont victimes d’une "double peine" alors que, par ailleurs, les plus favorisés bénéficient quant à eux d’un "double bénéfice". Je m’explique : les élèves les plus favorisés tendent à accroître leur avantage sur les autres car ce sont eux, par exemple, qui sont sélectionnés pour intégrer les filières les plus sélectives et les plus intensives en ressources budgétaires de l’Éducation nationale. Donc, entre ce "double bénéfice" des plus favorisés et la "double peine" des moins favorisés, l’écart se creuse toujours davantage. C’est aussi à cette aune là, pour combler ce fossé qui fragmente notre société, que l’éducation prioritaire a un impératif de réussite.
Cette réalité permet, je crois, de comprendre pourquoi des jeunes de dix, douze, ou seize ans qui sont en difficulté scolaire ou au bord du décrochage, peuvent penser que pour eux c’est fini, qu’ils sont définitivement assignés à résidence sociale, alors qu’ils ne sont encore qu’au commencement de leur vie.
Je sais que l’on demande beaucoup à l’école et plus encore à l’éducation prioritaire. Je n’ignore rien des réalités auxquelles vous êtes confrontés. Vos établissements concentrent les difficultés sociales. Il s’agit d’établissements implantés dans les quartiers urbains, dans les territoires ruraux les plus défavorisés et dans les outremers – car la situation est souvent encore plus rude dans les outremers.
Trois-quarts des élèves des réseaux les plus difficiles de l’éducation prioritaire ont des parents ouvriers ou inactifs, contre seulement un tiers hors éducation prioritaire. Cette spécificité et la concentration des difficultés sociales créent des contextes d’enseignement qui ne sont pas ceux que l’on trouve dans des situations de mixité. Cela impacte directement les résultats des élèves et leurs chances de réussite.
On demande énormément à l’école, et je vais – moi aussi – vous en demander beaucoup. C’est mon rôle en tant que ministre de l’Éducation nationale. Mais permettez-moi de dire deux mots sur la politique générale du gouvernement, car dans la mesure où l’école est impactée par la réalité sociale, transformer cette réalité peut simplifier la tâche des équipes éducatives.
Toute notre politique, je pense à la politique du logement, à la politique de la ville, à la politique fiscale, à la politique en faveur de l’emploi, vise à réduire les inégalités. Si nous nous acharnons à lutter contre les inégalités, c’est pour une raison simple : c’est que "l’égalité est meilleure pour tous", pour reprendre le titre de l’ouvrage de deux épidémiologistes anglais Richard Wilkinson et Kate Pickette. Que disent-ils dans leur étude ?
Ils expliquent que dans les pays riches, l’espérance de vie, l’état de santé, l’obésité, le taux d’incarcération et bien entendu le succès ou l’échec scolaire, sont corrélés au niveau des inégalités internes à la société bien plus qu’au PIB par habitant. Ils démontrent, chiffres à l’appui, que les sociétés démocratiques les plus égalitaires sont aussi celles qui sont les plus humainement développées.
Dans les pays riches, une répartition juste des revenus a plus d’influence sur la réussite éducative que le niveau de richesse du pays. Cela explique, pour partie au moins, que la Finlande, la Suède ou le Danemark aient de meilleurs résultats que les Etats-Unis ou la France.
Et ils concluent en affirmant que "ce n’est que lorsque l’égalité financière est une réalité que la distinction du mérite peut ressortir", se rapprochant dès lors des thèses de François Dubet.
C’est donc l’égalité des places qui peut permettre l’avènement de l’égalité des chances ; c’est la réduction des écarts entre les barreaux de l’échelle sociale qui peut favoriser l’ascenseur social et la méritocratie républicaine.
Je dis tout cela car améliorer la réussite éducative d’un pays ne peut pas se faire sans lutter inexorablement contre la pauvreté et toutes les inégalités qui le rongent.
C’est parce que vous travaillez dans un contexte social inégalitaire que vos succès sont encore plus méritants. C’est là toute la force de la pédagogie, quand le travail des équipes éducatives parvient à renverser les pesanteurs de la réalité sociale. C’est cela que je veux d’abord valoriser.
Je pense à cet instant à la publication la semaine dernière des indicateurs de résultat des lycées. Je vous le dis en tant que ministre de l’Éducation Nationale, je suis beaucoup plus impressionné par une équipe pédagogique qui obtient 65% de taux de réussite au bac pro dans un lycée difficile où, selon les indicateurs du ministère, on en attendait seulement 50%, que par un établissement de centre-ville qui atteint 100% de réussite là où l’on n’en attendait pas moins. Là, on perçoit la plus-value, les bénéfices réels, de l’action des équipes éducatives au sens premier du terme, c’est-à-dire le bénéfice qui veut d’abord dire "faire le bien".
Ces bénéfices, nous les devons à ce que Jean-Paul Delahaye appelle pudiquement "l’effet maître, l’effet chef d’établissement ou l’effet équipe éducative". Nous savons que les Zep sont encore plus sensibles à cet effet. C’est pour cela que, dans le prolongement de l’action de Vincent Peillon, je suis particulièrement attaché à la stabilité des équipes éducatives. C’est à cette fin que nous mettrons en œuvre des incitations fortes pour stabiliser les équipes malgré les contraintes budgétaires que vous connaissez.
Cependant, il y a aussi des résultats qui interrogent ce qui se passe dans nos écoles et qui démontrent que nous avons encore des marges de progression. Je pense aux résultats PISA quand ils mesurent la capacité des élèves sur des compétences non scolaires, à l’image de la résolution de problèmes, où les résultats des élèves français sont meilleurs même chez les élèves défavorisés. Le déterminisme social joue alors beaucoup moins. La refondation de l’éducation prioritaire doit valoriser ce potentiel. C’est le sens d’une démarche avant tout pédagogique. J’y reviendrai tout à l’heure.
Avec la loi d’orientation pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013, le législateur a pour la première fois fixé un objectif chiffré de réduction des inégalités : ramener à moins de 10 % les écarts de maîtrise des compétences entre les élèves de l’éducation prioritaire et les autres. Cet objectif est une belle ambition pour l’école de la République. L’atteindre est une de mes priorités.
Lutter contre les inégalités est donc l’enjeu central de la refondation de l’éducation prioritaire.
Faire réussir les élèves de l’éducation prioritaire, c’est lutter contre les effets de l’appartenance sociale et des difficultés économiques sur les résultats scolaires.
Faire réussir les élèves de l’éducation prioritaire, c’est agir pour que le destin scolaire et social des jeunes ne s’écrive ni à la naissance, ni à l’école élémentaire, ni au collège.
Faire réussir les élèves de l’éducation prioritaire, c’est recréer de l’égalité des chances là où elle n’existe plus.
Réussir la refondation de l’éducation prioritaire, c’est améliorer la performance de toute notre école. Un système éducatif équitable est un système éducatif performant. C’est ce que montrent les enquêtes internationales. C’est ce en quoi je crois profondément.
Je sais que vous êtes au cœur du combat quotidien pour la réussite de tous les élèves et pour faire vivre les valeurs de l’École de la République dans tous les territoires. Vous incarnez, dans les écoles, dans les collèges, auprès des élèves, de leurs parents, de nos partenaires, l’ambition de la refondation de l’éducation prioritaire. Son succès ne se mesurera qu’à l’aune de notre capacité collective à réduire les écarts de réussite et de maîtrise des compétences.
C’est pourquoi l’engagement de chacun d’entre vous – enseignant, directeur d’école, principal, inspecteur, référent académique, inspecteur d’académie, recteur – est indispensable. Je serai, je m’y engage, régulièrement à vos côtés pour vous soutenir dans votre action pédagogique et éducative.
Je veux connaître vos doutes, vos craintes mais aussi vos réussites ; je veux comprendre l’ambiance qui règne dans les salles des classes et les cours de récréation. Je veux savoir si les élèves s’y sentent bien, s’ils se sentent dans des conditions propices aux apprentissages. Car le bien-être à l’école est un marchepied vers la réussite. Le "bien-être" est nécessaire au "bien apprendre". En tant que ministre de l’Éducation nationale, il est important que je connaisse vos réalités, que je les perçoive au plus près. Je le répète, je cognerai à la porte des salles de classe ; j’irai en salle des profs, et d’abord là où c’est difficile. C’est l’une de mes priorités.
J’ai demandé aux recteurs de s’engager personnellement dans le pilotage de la refondation de l’éducation prioritaire dans leur académie. Je leur ai demandé de mobiliser les corps d’inspection pédagogique – inspecteurs de l’éducation nationale (IEN) et inspecteurs d’académie, inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) – pour être au plus près des besoins de vos réseaux. Ils seront à vos côtés pour assurer le succès de la préparation de la préfiguration et pour vous appuyer tout au long de l’année 2014-2015, et lors des années suivantes.
Car c’est la force du collectif qui fera le succès de la refondation de l’éducation prioritaire. La force du collectif au sein des réseaux, entre premier et second degrés (qui partageront des formations et des temps de travail communs), au sein des académies, au sein de tout le ministère. Notre réunion aujourd’hui en est l’expression.
Mais je sais aussi que l’investissement et la cohésion, si grands soient-ils, ne suffisent pas à eux seuls à faire vivre un collectif. C’est pourquoi avec la refondation de l’éducation prioritaire, pour la première fois dans l’histoire de cette politique, des moyens sont donnés aux équipes pour faire vivre et pour faire progresser le collectif.
Vous l’avez exprimé avec force lors des assises organisées en 2013. Plus que dans d’autres écoles et collèges, vous avez besoin de temps pour coordonner votre action, suivre vos élèves, dialoguer avec les familles, travailler avec les partenaires et vous former. C’est une nouvelle répartition du temps entre le face-à-face pédagogique et les autres missions de l’enseignant, que la refondation de l’éducation prioritaire permet. Le chantier est inédit, sans doute complexe, mais fondamental pour réussir la refondation. C’est l’une des raisons majeures qui a fait qu’une préfiguration sur vos 102 réseaux pionniers – dont 17 dans les outremers – a été lancée : apprendre à travailler autrement dans les écoles et dans les collèges. Je vous demande d’y consacrer toute votre énergie.
Toute l’administration centrale, le bureau de l’éducation prioritaire de la direction générale de l’enseignement scolaire, les inspections générales, sont à votre service pour vous accompagner dans ce chantier et dans tous les autres. Vous devez également travailler ensemble au sein des académies, et entre académies, pour échanger et faire progresser nos pratiques. L’expérience de chacun d’entre vous sur le terrain est indispensable à la réussite de tous. Les ateliers de travail qui vous sont proposés cet après-midi, sur l’organisation du travail en équipe à l’école, au collège, en réseau, sur l’articulation des projets de réseaux avec le référentiel, sur le pilotage des réseaux, sur l’accompagnement continu des élèves de 6e, sur le dispositif "plus de maîtres que de classes", sur la formation et l’accompagnement des équipes, nous permettront d’avancer tous ensemble.
Le référentiel pédagogique et éducatif, auquel vous avez consacré votre matinée de travail, sera doublement au cœur de notre travail collectif. Ce référentiel doit constituer le cadre des nouveaux projets de réseaux sur lesquels vous allez commencer à travailler, le cadre pédagogique de votre action collective. Il précise les conditions de l’instauration d’un climat de confiance, indispensable à la réussite de tous les jeunes. Il décrit comment enseigner aux élèves des stratégies pour comprendre, leur apprendre à apprendre, leur donner le droit à l’erreur et à l’aide, et valoriser leurs efforts.
Vous le savez, j’ai été ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire. J’y ai appris que la coopération et la mutualisation des bonnes idées et des bonnes pratiques permet à ces entreprises d’être bien plus performantes que celles qui cherchent le seul profit immédiat.
Je crois dans la force de la coopération pour la réussite de l’éducation prioritaire. Ce matin déjà, et cet après-midi plus encore, il s’agit d’être inspirants les uns pour les autres. Pas une seule bonne idée, une seule bonne pratique, ne doit manquer au pot commun.
Le site internet de l’éducation prioritaire où vous aurez accès au référentiel sera coopératif : vous pourrez toutes et tous l’enrichir. Notre volonté commune, c’est de mettre fin à l’isolement qu’un enseignant, qu’une équipe éducative, peut quelque fois ressentir devant la difficulté, et de partager les solutions. Oui, le référentiel et l’ensemble de la politique des "REP+" vont nous permettre de faire du sur-mesure en fonction de chaque territoire.
George Pau-Langevin et Vincent Peillon ont présenté en janvier dernier les 14 mesures de la refondation de l’éducation prioritaire. J’ai voulu que cette journée soit le coup d’envoi de cette refondation.
Vous serez, à la rentrée 2014, les pionniers de la refondation de l’éducation prioritaire.
Les pionniers, ce sont ceux qui vont à la conquête, découvrent de nouveaux territoires, ceux qui repoussent les frontières.
Les pionniers sont ceux qui n’ont pas peur de l’adversité si elle permet le progrès.
Les pionniers sont les préfigurateurs du monde de demain.
Vous êtes les pionniers des nouvelles pratiques pédagogiques qui permettront la réussite des élèves les plus en difficulté. Vous êtes les préfigurateurs de l’école de demain. Le référentiel de l’éducation prioritaire a ainsi été pensé pour être au service des apprentissages des élèves des territoires les plus défavorisés. Il a vocation à être demain un guide pour l’ensemble des enseignants, des écoles, des établissements de France.
Ensemble, nous allons démontrer que l’innovation, l’imagination, la coopération, tout ce qui permettra la refondation de l’école et le redressement de la France, naît là où personne ne l’imaginait. La pédagogie du XXIe siècle, elle va naître dans les classes et les établissements des réseaux d’éducation prioritaire.
Vous avez vocation à être l’avant-garde pédagogique qui ouvre la voie au service de la réussite de toute la jeunesse de France, dans sa pluralité.