PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Faut-il ou non des tablettes dans nos écoles? Cette question a marqué la rentrée 2012-2013. Mais elle n’est que la partie émergée de l’iceberg: le passage de l’école à l’ère digitale. L’AWT fait le point sur un sujet fondamental pour l’avenir de notre système éducatif

La rentrée scolaire est l’occasion pour les acteurs de l’éducation de confronter leur vision et leurs projets avec l’espoir de contribuer à la réforme de l’école. Celle-ci, en effet, comme toute organisation sociale, doit s’adapter et surtout se positionner vis-à-vis des évolutions de la société notamment, au niveau de la diffusion croissante des technologies numériques.

Ces échanges d’idées et d’expériences de terrain, permettent de mesurer les défis majeurs afin de propulser nos écoles dans la culture du XXIème siècle afin de tirer profit de l’essor des TIC qui doivent soutenir l’émergence d’une véritable "société de la connaissance".

Le tsunami numérique

Une récente étude menée par le Service de Médiation Scolaire en Wallonie auprès de plus de 2600 jeunes de 12 à 15 ans, dont les premières observations ont été révélées lors de l’université d’été 2012 du SeGec, montre que 96% d’entre-eux disposent d’une connexion Internet au domicile. 97% possèdent un téléphone portable disposant pour les trois quarts d’entre-eux d’un accès à Internet. Chaque jeune peut utiliser en moyenne 10,4 écrans (télévision, console de jeux, ordinateur fixe et/ou portable, tablette, smartphone, etc.). Ces chiffres confirment clairement les tendances lourdes dégagées depuis plusieurs années par le baromètre TIC de l’AWT et mettent en évidence que l’école doit prendre en compte ce déferlement des technologies numériques dans le quotidien des élèves. Jean-Michel Fourgous, député français, auteur de deux rapports sur le numérique dans l’école, était présent la semaine dernière à l’Université d’été Ludovia 2012. Il n’hésitait pas à qualifier de "tsunami" la révolution que va provoquer à brève échéance le numérique dans le cadre scolaire.

Quelles sont les actions qui doivent être mises en oeuvre pour transformer cette évolution inéluctable en opportunité et redonner le plaisir d’apprendre à nos élèves et celui d’enseigner au corps professoral? Plaisir et éducation numérique étaient la thématique abordée lors des 3 journées de Ludovia. Différents intervenants ont affirmé que ces technologies ne doivent pas uniquement aider les enfants à réussir, mais doivent amener tous les enfants à réussir.

Les pistes évoquées sont nombreuses, allant de l’exploitation des tablettes et smartphones à celle des réseaux sociaux en passant par la mise en oeuvre de TNI (tableaux numériques interactifs) ou d’ENT (environnements numériques de travail). Toutefois l’accent a toujours été mis, non sur l’équipement technologique utilisé, mais davantage sur les usages pédagogiques menés sous la conduite des enseignants. Ce sont précisément les deux défis majeurs adressés à la société pour intégrer des technologies numériques omniprésentes au dispositif éducatif. Il s’agit, d’une part, de diffuser dans les classes l’environnement technologique et informationnel motivant et riche en stimulations, et, d’autre part, d’entourer les élèves des ressources humaines capables de les encadrer et de les accompagner efficacement dans leur apprentissage.

Un équipement technologique indispensable, mais plus varié et plus mobile

Impossible de mettre en oeuvre les technologies numériques dans l’école sans disposer des équipements adéquats. La diversification et la multiplication des "types d’écrans" aux possibilités souvent complémentaires interdisent toutefois de désigner "le terminal" qui pourrait satisfaire tous les besoins scolaires et se plier à toutes les exploitations pédagogiques envisageables. La classe laboratoire, dotée de 10 à 20 ordinateurs fixes, convient parfaitement à certains usages, comme la production de documents ou les exercices de "drill", mais elle est largement concurrencée par les "classes mobiles" dotées d’ordinateurs portables ou ultraportables (netbooks) ou, progressivement, de tablettes numériques, voire encore de terminaux plus spécialisés comme des baladeurs audio, des consoles de jeux portables ou des smartphones appartenant aux élèves.

La tablette numérique dispose d’atouts remarquables pour devenir l’interface la plus polyvalente et la plus apte à incarner le toujours attendu "cartable numérique". Elle combine, en effet, un encombrement et un poids réduits à une interface tactile très appréciée, y compris pour les plus jeunes. La puissance de calcul et la capacité de stockage sont largement suffisantes pour la majorité des usages et le coût en est assez réduit (le marché en propose déjà à moins de 200 euros). La mise en route, pratiquement aussi immédiate que l’ouverture d’un livre ou d’un cahier, est unanimement appréciée des enseignants l’ayant expérimentée. De même, l’autonomie de ses batteries permet de l’utiliser la journée durant si nécessaire. L’absence de clavier physique, qui peut cependant souvent être ajouté, semble beaucoup moins perturbant pour les jeunes que pour les adultes. Il reste toutefois des efforts considérables à fournir pour que les tablettes disposent d’une palette d’applications et de contenus aussi riche que celle de l’ordinateur "classique". Il faut espérer que les éditeurs ne manqueront pas de combler cette lacune dès lors que les utilisateurs se feront plus nombreux. Une politique plus volontariste dans le sens du développement des usages ne pourrait que les y encourager.

Pour une véritable intégration des usages numériques et une exploitation plus large, il est essentiel que "l’écran" soit là où le cours se donne ou puisse y être amené facilement. Le recours à la classe laboratoire ne se justifie que pour des usages longs durant toute la période alors que nombre d’exploitations des ressources numériques ne nécessitent qu’une consultation ou une activité de 5 à 10 minutes, trop courte pour justifier le déplacement de toute la classe vers un laboratoire … qu’il faut avoir réservé. Par contre, l’évolution vers les usages nomades n’exclut pas le travail en commun. Au contraire, il le renforce en favorisant les échanges au sein de la classe et, dans certains cas, avec l’extérieur. Aussi, toujours sur le plan technologique, deux équipements d’infrastructure apparaissent de plus en plus indispensables et devront se trouver, à demeure, dans toutes les classes. Il s’agit du vidéoprojecteur, d’une part, et de la connexion internet partagée, d’autre part.

Le travail en groupe implique la consultation d’un même document, plusieurs fois par jour, et, surtout, permet à chacun des élèves de confronter sa production avec celle de ses condisciples. Pour ce faire, il doit pouvoir montrer son travail via un écran lisible pour tous, par exemple via un projecteur qui pourra parfois prendre la forme d’un véritable tableau interactif. Mais ce n’est pas indispensable partout. Un enseignant témoignant à Ludovia a ainsi indiqué son intention de libérer pour un collègue le TNI dont il dispose dans sa classe, dès lors que chaque élève aura sa tablette. De même, il est indispensable que chaque classe dispose d’une connexion internet de qualité utilisable par l’ordinateur de l’enseignant d’abord, mais aussi par les équipements des élèves. A ce niveau, le WiFi s’impose comme une évidence même si son déploiement doit être réalisé de façon organisée et contrôlée pour garantir à tous une connexion de qualité professionnelle et convenablement sécurisée.

Bref, s’il convient de doter l’élève d’un "cartable numérique" personnel, qui ne supprimera pas complètement le "cartable classique", mais l’enrichira en l’allégeant, il est probable qu’à moyen terme et à l’instar de la tendance BYOD (Bring Your Own Device) observée dans la société civile, ces terminaux devront être financés, au moins partiellement, par les familles. Cela est par ailleurs presque indispensable pour inciter l’élève à prendre le soin nécessaire de son instrument de travail. Il va sans dire que des mesures devront être prises pour faciliter cet accès aux enfants socialement plus démunis. En complément, l’effort de l’autorité publique devra se concentrer sur la mise à disposition des infrastructures partagées dans les classes.

Des enseignants mieux formés et mieux accompagnés

Au delà de l’équipement technologique et de la disponibilité de logiciels et de ressources numériques de qualité, conditions nécessaires, mais tout à fait insuffisantes à l’intégration du numérique dans les classes, il faut plus que jamais insister sur l’importance des ressources humaines à mobiliser! En premier lieu les enseignants eux-mêmes sont les organisateurs des activités qui se déroulent dans la classe, et donc les médiateurs incontournables des apprentissages. Ne pas les impliquer activement, c’est embarquer les élèves dans un avion sans pilote!

Certes, nombre de professeurs font aujourd’hui usage, de manière plus ou moins intensive, de l’ordinateur dans le cadre de la préparation de leurs cours (assemblage de documents, énoncés d’exercices, etc.) ou dans la phase d’évaluation (cahier de cotes, bulletins, etc.), mais trop peu "osent" l’emporter en classe et l’exploiter durant le déroulement de la leçon. Quant à proposer aux élèves d’utiliser eux aussi l’ordinateur ou un autre équipement numérique, c’est une étape que beaucoup craignent de franchir pour de multiples raisons allant de la peur des soucis techniques à celle de voir les élèves en savoir plus qu’eux. Cette réalité est pratiquement incontournable mais peut, lorsqu’elle est dépassée, être l’occasion d’une réelle collaboration apprenant-enseignant, prouvant ainsi que l’on peut apprendre à tout âge de la vie! Ce coapprentisage est alors source d’enrichissement et de plaisir partagés.

On le voit, le rôle de l’enseignant tirant profit des ressources numériques s’en trouve modifié, voire métamorphosé. De dispensateur de savoirs, il devient médiateur des apprentissages apportant son expertise pour guider et soutenir l’enfant dans la construction de ses connaissances et de ses savoir-faire. Aider les enseignants à assumer ce changement de posture et à maîtriser les technologies sans cesse renouvelées ne s’improvise pas et est une brique essentielle de toute action de développement du numérique dans l’école.

Le Conseil de l’Éducation et de la Formation de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne dit pas autre chose dans son récent avis 115 du 22 juin 2012 (p.20) : "Ainsi, on ne peut plus attendre pour réfléchir à la place des TIC dans l’école et aux transformations profondes que leur utilisation pédagogique suppose […]" et de renchérir plus loin "Il est donc fondamental de s’interroger sur le devenir de la pédagogie à l’ère numérique".

Un effort conséquent de formation continuée accessible à l’ensemble des enseignants, tant du secondaire que du primaire est dès lors indispensable. Il a été démontré que pour l’année scolaire 2009-2010, l’offre structurée de formation aux technologies de l’information et de la communication (TIC) et à leur exploitation éducative (TICE) ne dépassait pas, en Wallonie, une journée par enseignant … tous les huit ans! La situation n’a guère évolué depuis. La formation initiale des futurs enseignants doit également être beaucoup plus clairement orientée vers l’exploitation des ressources du numérique afin que ceux-ci puissent devenir les éclaireurs des nouvelles pratiques pour leurs collègues. Ce qui n’est pas simple, car le contexte institutionnel pousse souvent les jeunes professeurs à s’adapter aux pratiques " éprouvées" plutôt qu’à innover.

Toutefois les expériences ont montré que l’équipement et la formation restent encore bien souvent insuffisants. Sans un accompagnement actif des enseignants, au moins dans les premières années, afin de partager les bonnes pratiques et de les encourager à développer des activités innovantes, les usages TICE peinent à décoller. Plusieurs régions françaises (Rhône-Alpes, PACA notamment) ont ainsi choisi de constituer un réseau d’animateurs TICE, affectés à plusieurs écoles et chargés de faciliter et d’encourager les initiatives d’exploitation du numérique dans les classes. Encore faut-il s’armer de patience: six mois à un an sont nécessaires pour voir se développer une véritable appropriation des TICE par les enseignants.

Enfin, la gestion quotidienne des équipements et des ressources numériques, leur détection, leur validation et leur diffusion nécessitent aussi des ressources humaines spécialisées capables de réaliser ces tâches avec tout le professionnalisme nécessaire qui contribuera à diminuer sensiblement les appréhensions des enseignants envers ces nouveaux outils.

Deux défis considérables et complémentaires

On le voit, les enjeux liés au passage de notre système scolaire à la culture numérique du 21ème siècle ne vont pas sans susciter une crainte véritable quant à l’ampleur du chantier et à l’énergie, humaine et financière, qu’il faudra mettre en oeuvre. C’est en effet une tâche considérable qui ne pourra être menée à bien qu’avec une mobilisation intense et cohérente des forces, tant au niveau de la Région que de la Communauté et avec une volonté ferme de saisir les opportunités du numérique pour en faire un levier de (re)développement comme cela a été souligné dans le plan Master TIC du programme Creative Wallonia.

Si l’investissement pour équiper les classes et faciliter l’accès des élèves aux outils numériques est nécessaire, il est surtout indispensable de remettre l’enseignant au coeur de la stratégie du développement numérique en créant, enfin, les conditions d’une véritable appropriation de ces technologies pour qu’il puisse réinvestir son rôle de médiateur des apprentissages dans le contexte de notre siècle.

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