In Les Cahiers Pédagogiques – le 1er octobre 2013 :
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L’université ouverte des compétences a invité Philippe Meirieu le 24 septembre à répondre à une question à tiroirs : « Créer de l’activité sur les territoires : ce que pourrait faire la formation » ? Le 2ème Vice-président délégué à la formation tout au long de la vie de la Région Rhône-Alpes a pris visiblement du plaisir à décortiquer les termes de la motion avec le regard acéré du pédagogue.
Philippe Meirieu l’avoue tout de go : c’est au moment de son élection en tant que vice-président qu’il a découvert la complexité de l’univers de la formation professionnelle. Et complexité il y a, avec des responsabilités partagées entre l’Etat et les Régions, des financements multiples et des organismes de formation formant une nébuleuse. La formation professionnelle s’adresse à la fois aux demandeurs d’emploi et aux salariés des grandes entreprises comme des plus petites. Elle touche peu ceux qui en ont le plus besoin, ceux qui sont éloignés de l’emploi comme ceux qui travaillent dans des structures peu étoffées. On lui réclame des miracles, dont celui de permettre l’adéquation entre les personnes et les emplois proposés, celui de l’employabilité. Or, constate Philippe Meirieu, « la formation professionnelle continue n’est pas miraculeuse ». L’accès à l’emploi est conditionné par nombre de facteurs individuels et sociaux comme la question du logement, du transport ou encore le rapport au travail et l’accueil dans l’entreprise.
Au-delà de la formation
Le phénomène quasi mécanique d’adéquation entre les compétences acquises et celles demandées par un emploi n’a pas l’exclusivité des effets attendus de la formation. La formation rejaillit sur l’environnement de la personne formée qui, en rentrant de stage, transmet à son entourage personnel et professionnel des connaissances, des techniques acquises. Elle participe donc à la dynamisation du tissu économique et social. Et, même si elle ne débouche pas directement sur un emploi, la formation tout au long de la vie contribue à l’épanouissement personnel, permet de se sentir mieux, de mieux comprendre le monde qui nous entoure. Vide abyssal pourtant dans la recherche, concernant l’évaluation du système de formation.
Philippe Meirieu considère que nous restons dans un carcan où la vie humaine est organisée avec un début d’âge adulte consacré à la formation, un milieu à la production et une fin aux loisirs. « Nous sommes ligotés par des représentations de la vie encore enracinés dans le taylorisme » déplore-t-il. Et pour battre en brèche ces principes qui nous paralysent, il nous invite à considérer autrement les temps de vie. Il propose la création d’un droit permettant à chacun de bénéficier de vingt ans de formation tout au long de sa vie et engage à penser logique formative plutôt que formation. En effet, des activités sont formatrices sans être repérées comme activités de formation. Ainsi, la Région Rhône-Alpes expérimente avec la Lorraine un e-portfolio permettant de valoriser les expériences, les savoirs informels et de les inscrire dans une trajectoire.
A la ville et à la campagne
La formation est un enjeu aussi pour les territoires, qu’ils soient bassins de vie ou bassin d’emploi, région, pays ou Europe. Elle dépasse en effet la question de l’adéquation entre compétences et emplois disponibles, elle est un élément de développement et de maintien de l’activité sur les territoires, un levier d’équilibre entre métropoles et territoires ruraux et périphériques. Philippe Meirieu redoute un phénomène d’aspiration par les métropoles des activités économiques et sociales selon le principe « arroser où c’est déjà mouillé ». Il préconise la création de zones de formation prioritaire, à l’instar des zones d’éducation prioritaire.
Enfin, la formation est une question éminemment politique où les données budgétaires conjoncturelles brouillent la prospective et la stratégie de développement territorial. On estime à trente-deux milliards les fonds affectés à la formation, provenant des entreprises, de l’Etat et des Régions. Ce système demande à être consolidé pour répondre au défi principal posé à la formation : favoriser la qualification de tous pour assurer un développement des activités au niveau territorial et national.
L’attribution des responsabilités entre Etat et Région demande à être lui aussi redéfini, puisque les modèles de référence, oscillant entre le tout marché et le tout état, sont obsolètes. L’élu rhone-alpin préfèrerait un cadrage clair de l’Etat, « un jacobisme pour les finalités et un jacobisme pour les modalités ». Plusieurs points restent en effet de côté : il n’existe pas de curriculum spécifique pour la formation pour adultes, la formation des formateurs ne connait aucun cadrage et le contrôle des organismes des formations demande à être éclairci.
L’université ouverte des compétences prend un malin plaisir à choisir des invités qui bousculent les représentations habituelles sur l’univers du travail et de la formation. Elle a là encore réussi son coup en conviant Philippe Meirieu, fin connaisseur de l’éducation tout au long de la vie et élu régional. La formation professionnelle est encore sans doute pour un moment en chantier. Comprendre ses enjeux à la fois pour les individus et les territoires est une nécessité pour ne plus l’observer avec une lunette mécaniste et pour que le jour où un ministre à la formation professionnelle sera à nouveau désigné, des idées nouvelles arrivent sur son bureau.
Monique Royer