Pour une « chronobiologie du comportement humain »
Je n’ai cessé au cours de cet ouvrage de démontrer que les rythmes scolaires sont un faux problème scientifique, mais revoir l’organisation temporelle de l’école relève pour moi d’un véritable projet de société. Un cadre national doit être donné si on veut préserver l’égalité que seul un service public d’enseignement est à même de donner, mais ce cadre ne doit pas être trop contraint afin de permettre toute initiative au profit de l’enfant. Nous pensons aussi que l’égalité des chances passe par une inégalité de moyens, certains enfants ont, bien plus que d’autres, besoin que l’école et son environnement immédiat leur apportent tout ce que leur famille n’est pas en capacité de leur procurer. Réaménager les temps scolaires et
leur donner une cohérence avec les autres temps de vie de l’enfant ne peut donc qu’être un projet éducatif que l’état doit porter, même si les collectivités territoriales doivent mettre à son service toutes les ressources disponibles.
Constatons que depuis très longtemps, tout est fait pour que l’école convienne à ceux qui en ont le moins besoin étant donné ce que pourraient leur offrir les parents pour qu’ils puissent être instruits. Le 28 octobre 2007, Xavier Darcos déclarait sur une chaîne de télévision être favorable à la semaine de 4 jours malgré les recommandations de la chronobiologie, «une science exclusivement française»! Ce qui est exclusivement français, c’est justement la semaine scolaire de 4 jours. Pour qui a-t-on supprimé le samedi matin d’école? Pour les 50% de salariés qui ne travaillent pas, pour les 10% de privilégiés qui partent en week-end. Pour qui fait-on trois zones de vacances en février? Pour les 8% qui partent au ski. Et qu’ offre-t-on à ceux qui n’ont certes pas la possibilité de partir en week-end ou même en vacances? On leur impose 1/2 heure de soutien, à un très mauvais moment, en plus de leurs 6 heures journalières. Rappelons ici qu’on impose aux élèves mais aussi aux enseignants de digérer un programme scolaire prévu pour 26 h sur 24h, soit une massification des apprentissages insupportable. Il est urgent que l’école opère les changements nécessaires qui lui permettront de respecter tous les enfants: ce ne peut se faire que si on la considère comme le vecteur principal d’un projet de société remettant en marche l’ascenseur social actuellement en panne. Pour autant nous n’attendons pas de l’École qu’elle s’« adapte» en orgarusant des scolarités et des cursus à plusieurs vitesses, et en modulant son niveau d’exigence, c’est pourquoi d’emblée nous avons dit ne pas nous inscrire dans le faux débat des «rythmes scolaires ». C’est mener une réflexion sur l’activité du sujet apprenant qui nous importe et donc sur les pratiques pédagogiques mais aussi sur les découpages de temps, sur les séquencialisations des activités au cours d’une journée non dépendantes d’une soit-disant durée maximale d’attention possible de l’élève.
Gadbois, en 2004, (p. 206) écrivait à propos des travailleurs postés: « Le temps n’est pas simplement un cadre formel, vide; c’est un cadre dans lequel viennent s’inscrire des actions mettant en jeu des ressources physiques et mentales dont le déploiement est soumis à des dynamiques qui leur sont propres. La durée d’un cycle n’a de sens que rapportée à la nature des opérations qu’il faut inscrire dans cette durée. […] D’où s’ensuit que le lien entre les caractéristiques temporelles de la situation de travail et leurs effets, au plan de l’efficience comme sur celui des conséquences pour l’opérateur, n’est ni mécanique, ni direct. En effet, confrontés aux exigences temporelles de leur travail, les opérateurs répondent par des stratégies de régularisation, visant à parvenir au meilleur compromis possible entre les objectifs de production, leurs objectifs propres et le coût qu’implique l’activité qu’ils ont à déployer pour atteindre ces objectifs.La question essentielle est ainsi de reconnaître l’espace dans lequel s’inscrivent ces stratégies de régulation et de définir lme organisation du temps de travail qui garantisse aux travailleurs des marges de manoeuvre suffisantes pour qu’ils puissent aboutir à des compromis satisfaisants ». Anne Lancry-Hoestlandt, Nicole Delvolvé (élève de Yvon Queinnec) ont développé l’idée d’appliquer les théories de l’ergonomie à l’enfant, qui n’est rien d’autre qu’un travailleur quand il est élève. Nous le confirmons et transférons les dires de Gadbois à l’activité scolaire.
Nous achevons notre ouvrage sur les propositions que nous souhaitons être entendues des politiques mais aussi de tous les acteurs de l’éducation de l’enfant car tous sont concernés et tous doivent admettre que les choses doivent aussi changer pour eux: on ne peut conserver le statu quo dans les fonctionnements de chacun et affirmer que l’enfant est central dans nos revendications. Le monde du travail doit aussi l’entendre.
Ces propositions s’adressent donc aux politiques, aux parents, aux enseignants, aux professionnels des associations partenaires de l’école, aux associations et clubs municipaux ou privés, aux enfants et adolescents. Elles ont vocation à être lues mais surtout prises en considération dans tout débat en vue d’un projet éducatif concerté.