Propos recueillis par Antoine Peillon, le 5 avril 2002 auprès de Marcel
GAUCHET*
« La disparition des enjeux métaphysiques de la politique ouvre un nouvel espace à la discussion politique, au débat, à la participation. La
politique ne peut plus promettre le paradis. Elle devient moins
idéologique et les gens sont mieux éduqués. Ils veulent prendre part Ã
la vie collective. Le problème, c’est que les décisions politiques sont
prises, encore aujourd’hui, sous la double emprise irrationnelle, de
plus en plus occulte, de la communication et de l’Administration. »
(avril 2002)
Marcel Gauchet (DR)
*Y a-t-il une crise actuelle de la démocratie ?*
Marcel Gauchet : évidemment, c’est une réalité. Tout d’abord, il y a un
affaiblissement extrêmement marqué de l’implication des citoyens dans la politique. Les gens sont de plus en plus distants, spectateurs, de la
vie politique. Et, j’en suis persuadé, le dégoût des « affaires »
n’explique rien.
*Ce n’est pas très encourageant…*
Si, cela peut être interprété positivement. Il faut tout de même relever
la célébration actuelle de la « citoyenneté », qui est d’ailleurs un mot
très récent. En fait, la disparition des enjeux métaphysiques de la
politique ouvre un nouvel espace à la discussion politique, au débat, Ã
la participation. La politique ne peut plus promettre le paradis. Elle
devient moins idéologique et les gens sont mieux éduqués. Ils veulent
prendre part à la vie collective. Le problème, c’est que les décisions
politiques sont prises, encore aujourd’hui, sous la double emprise
irrationnelle, de plus en plus occulte, de la communication et de
l’Administration.
*Quelle est la solution pour que notre démocratie revive pleinement ?*
Il faut prendre acte de la désacralisation de l’Etat, laquelle a suivi
celle de l’Eglise, du fait d’un approfondissement de la laïcité depuis
une trentaine d’années. La « guerre scolaire » n’a plus lieu parce
qu’elle n’est plus motivée par l’opposition de deux « croyances », l’une
religieuse et l’autre républicaine. Dès lors, une démocratie
participative de masse peut se construire : pas seulement, comme cela se pratique déjà , localement, pour des problèmes limités, mais aussi pour toutes les décisions politiques, y compris aux niveaux national et même international. La démocratie participative peut être un véritable
perfectionnement de la démocratie représentative qui est notre héritage
de deux siècles de République.
*Mais, pour y arriver concrètement, que faut-il faire ?*
Notre principal atout est notre culture profondément laïque : elle
protège le débat contre l’affrontement des positions absolues. Mais, il
faut que l’Etat fasse un nouvel effort de transparence, d’information
sur la gestion des affaires publiques. Cependant, le lieu privilégié de
la renaissance du civisme est l’école, parce que la famille est devenue
un refuge par rapport à la dureté de la société et que les média sont
soumis à une concurrence qui les pousse vers le spectacle. C’est bien Ã
l’école que peut se faire l’apprentissage de la participation,
c’est-Ã -dire de la réflexion, de l’expression de ses idées et, surtout,
du travail qu’elles supposent.
Le blog de Marcel Gauchet
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