Introduction
Promu au rang de phénomène social reconnu pour son ampleur, le décrochage scolaire est préoccupant "parce qu’il témoigne d’un malaise endémique de la jeunesse scolarisée" (Rayou, 2000, p. 49) et parce que les formes de démobilisation scolaire se manifestent chez des élèves de plus en jeunes. Si de fait le décrochage scolaire n’est pas à considérer comme un phénomène nouveau, le contexte de son émergence est quant à lui changé. Les transformations sociales ont bouleversé notamment la structure des emplois et les conditions d’insertion sociale et professionnelle. Au cours de la première moitié du 20ème siècle, les scolarités courtes et l’absence de diplôme étaient encore dans la norme (Broccolichi, 2000). Ceux qui « décrochaient » pouvaient le faire en espérant trouver du travail. Ce n’est plus le cas aujourd’hui car, au fil du temps, l’absence de qualification s’est fait ressentir. La société actuelle fait de la formation et de la diplomation un passage obligé pour l’emploi, sans pour autant garantir l’insertion professionnelle.
Le décrochage scolaire contrevenant à ce paradigme d’une formation longue et si possible tertiaire suscite des réactions à différents niveaux politiques. Les pays de l’Union européenne accordent désormais une grande importance à la problématique du décrochage scolaire. En 2009, le Conseil de l’Education de l’Union européenne a fixé le taux moyen de jeunes quittant prématurément l’école à 10%. En 2010, ce taux s’élevait en moyenne à 14,1% au niveau des 27 pays de l’Union européenne (MEN, 2012). Au niveau des politiques scolaires, le nombre des structures mises en place pour favoriser une nouvelle mobilisation scolaire des décrocheurs et des décrochés est pléthorique.
Afin de lutter efficacement contre ces divers facteurs de décrochage scolaire, des recherches récentes (Blaya, Gilles, Plunus & Tièche, 2011) évoquent « l’importance d’amener les multiples intervenants à travailler de concert, en alliances éducatives, de façon concertée et de les mobiliser au sein de communautés ou de réseaux plus ou moins larges (p. 241). Selon ces auteurs, ces alliances peuvent intégrer un réseau micro impliquant le jeune, l’école et sa famille et s’élargir à des réseaux méso voire macro englobant d’autres acteurs des sphères sociales, judiciaires ou du monde de la santé.
Et l’école dans tout cela ?
Le décrochage scolaire est un phénomène multidimensionnel, issu d’une combinaison de facteurs d’ordre personnel, familiaux et scolaires qui sont en interaction les uns avec les autres. L’association de ces différents facteurs va petit à petit amener le jeune à se désintéresser, se désengager de l’école pour l’abandonner au terme d’un long processus de frustrations accumulées et de malentendus répétés.
Si la littérature de recherche sur le décrochage a mis clairement en évidence la forte interconnexion entre les pôles individuels, familiaux et scolaires (Brown et Rodriguez, 2009), Davis et Duper (2004) pointent que la majorité des études a essentiellement ciblé jusqu’ici les facteurs individuels et familiaux. Or, il apparaît que les variables scolaires demeurent les meilleurs prédicteurs du décrochage scolaire (Janosz, 2000). Depuis peu, la recherche a commencé à examiner comment ces facteurs scolaires pouvaient contribuer aux problèmes de décrochage. Les variables les plus significatives statistiquement se situent au niveau du climat scolaire (Blaya, 2010 ; Fortin, Plante & Bradley, 2011). Les auteurs mettent en évidence le rôle de la relation enseignants-élèves, en particulier des élèves à risque et l’impact déterminant des croyances et attitudes des enseignants sur la réussite des élèves. Plus précisément, Brown et Rodriguez (2009) montrent que les aspects tant structurels que culturels de l’école entraînent une spirale du décrochage des élèves issus de milieux défavorisés. Ils évoquent notamment, les stéréotypes et les faibles attentes des enseignants combinés à un manque d’encadrement des élèves à risques, et au développement de curricula peu stimulants.
La classification des déterminants scolaires en deux catégories proposés par Gilles, Plunus, Renson, Polson et Dethier (2009) distinguent les déterminants qui se rapportent aux facteurs organisationnels et structurels des facteurs relatifs à la classe. Les filières de relégation, les pratiques de redoublement, et les transitions entre les niveaux d’enseignement (Glasman, 2011) sont considérés comme des facteurs organisationnels ayant un impact négatif sur l’accrochage scolaire. Quant aux facteurs relatifs à la classe, au-delà du climat de la classe et de la relation maître-élèves évoqués précédemment, il apparaît également que des faibles performances en lecture ou en mathématiques sont corrélées négativement aux résultats scolaires et la probabilité d’abandonner ses études serait augmentée (Fortin, Marcotte, Royer & Joly, 2006 ; Sparks, 2011).
Sans pour autant nier l’importance des facteurs d’ordre personnel, familial et social qui font du décrochage un phénomène multidéterminé, les facteurs scolaires méritent une attention particulière. Les réponses apportées au décrochage se situent tant au niveau de la restauration de l’individu qu’au niveau de la restauration pédagogique (Tièche Christinat C; Baeriswyl, D.; Delévaux, C.; Savoy, B.; & Cassagne, J.M., 2012). Pour Turcotte, Roy, Bélanger, Janosz et Bowen (2012), cette dernière nécessite non seulement une réponse organisationnelle et structurelle, mais une importante mobilisation enseignante. La question de l’enseignement et des modalités d’apprentissage des disciplines occupe par conséquent une place importante et ne peut être évacuée des débats autour des pratiques d’accrochage.
Ce colloque s’articulera donc autour des deux questions suivantes :
1. Quels sont les facteurs relatifs à la classe susceptibles d’entraîner le décrochage scolaire ou au contraire de favoriser l’accrochage ?
1.1. La relation enseignant-élève : les attentes des enseignants, le climat de classe, les perceptions des élèves/des enseignants, etc.
1.2. L’enseignement et l’apprentissage des disciplines : les pratiques d’enseignement, les difficultés des élèves, les croyances des élèves/des enseignants, etc.
1.3. Les alliances éducatives : La continuité/rupture des savoirs et des pratiques dans les alliances éducatives, la relation école-famille, etc.
2. Quelles mesures organisationnelles/structurelles sont-elles mises en place au sein même des écoles pour gérer et/ou prévenir l’échec scolaire et le décrochage ? Quelles adaptations ont été proposées ? Pour quelle efficacité ?
2.1. L’échec scolaire : le redoublement, les transitions entre les niveaux d’enseignement (préscolaire-primaire, primaire-secondaire, …), la filiarisation dans l’enseignement secondaire, les mesures de remédiation, le co-enseignement, etc.
2.2. Le décrochage scolaire : les mesures structurelles, les alliances éducatives, la transition entre l’école et le monde du travail, les approches communautaires, etc.
Bibliographie
Blaya, C. (2010). Décrochages scolaires. L’école en difficulté. De Boeck : Bruxelles.
Broccolichi, S. (2000). Désagrégation des liens pédagogiques et situations de rupture. VEI Enjeux, 122, 36-47.
Brown, T. & Rodiguez, L. (2009). School and the co-construction of dropout. International journal of qualitative studies in education, 22(2), 221-242.
Davis, K. & Dupper, D. (2004). Student-teacher relationships : An overlooked factor in school dropout. Journal of Human Behavior in the Social Environment, 9(1/2), 179-193.
Esterle-Hedibel, M. (2006). Absentéisme, déscolarisation, décrochage scolaire, les apports des recherches récentes. Déviance et Société, 30(1), 41-65.
Gilles, J-L, Plunus, G., Renson, J.-M., Polson, D. & Dethier, G. (2009). Les recherches de la DGIE dans le domaine du traitement du décrochage scolaire en Communauté française de Belgique. Conférence présentée lors de la journée de rencontre-débat organisée par l’institut Emile-Vandelvelde, Théâtre de Namur. En ligne : http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/3457.
Janosz, M. (2000). L’abandon scolaire chez les adolescents : perspective nord-américaine. Enjeux, 122, 105-127.
Ministère de l’Education Nationale (2012). Le décrochage scolaire au Luxembourg. Parcours et caractéristiques des jeunes en rupture scolaire. Causes du décrochage. Luxembourg : MEN, L’enseignement luxembourgeois en chiffres, disponible en ligne : http://www.men.public.lu/publications/etudes_statistiques/etudes_nationales/120229_decrochage09_10/120209_decrocheurs.pdf (page consultée en juin 2013).
Rayou, P. (2000). Une génération en attente. VEI Enjeux, 122, 48-62.
Fortin, L., Plante, A. & Bradley, M.-F. (2011). Recension des écrits sur la relation enseignant-élève. Chaire de recherche de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke sur la réussite et la persévérance scolaire. Disponible en ligne http://www.csrs.qc.ca/fileadmin/user_upload/Page_Accueil/Enseignants/Fenetre_pedagogique/PEPS/Relation-maitre-eleve.pdf (page consultée en juin 2013).
Fortin, L., Potvin, P., Marcotte, D., Royer, É. & Joly, J. (2006). A typology of students at risk of dropping out of school : Description by personal, family and school factors. European Journal of Psychology of Education, 21(4), 363–383.
Sparks, S. D. (2011). Early Reading Problems Flag Potential Dropouts. Education Week, 4/20/2011, 30(28), 5.
Tièche Christinat C; Baeriswyl, D.; Delévaux, C.; Savoy, B.; & Cassagne, J.M. (2012). De l’identification des facteurs de décrochage par des enseignants aux réponses pédagogiques et structures d’un canton suisse (Vaud). IN : Gilles, J.l.; P. Potvin; & Tièche Christinat, C. (Eds). Les alliances éducatives pour lutter contre le décrochage scolaire (pp. 109-128). Berne : Peter Lang.
Turcotte,L.; Roy, G.; Bélanger, J.; Janosz, M.; & et Bowen, F. (2012). Mobilisation enseignante et approches intégrées : l’exemple de la stratégie d’intervention Agir Autrement. IN : Gilles, J.l.; P. Potvin; & Tièche Christinat, C. (Eds). Les alliances éducatives pour lutter contre le décrochage scolaire (pp. 150-168). Berne : Peter Lang.