le droit continu au ‘raccrochage’ et à la formation devrait être promu tout au long de la vie :
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Qu’est?ce qui conduit un jeune à « décrocher », c’est?à?dire à sortir du système scolaire prématurément, avant d’avoir obtenu un diplôme ?
Le décrochage scolaire n’arrive pas d’un coup : c’est le fruit d’un processus, et d’une conjonction de facteurs sociaux, personnels et bien sûr scolaires.
Or, sortir du système scolaire, ce n’est pas rien. C’est sortir d’un parcours balisé, quitter la norme, se dé?socialiser de ses pairs, se positionner souvent en tension parfois en rupture avec sa propre famille…
C’est surtout, au regard de la place déterminante du diplôme dans notre société, se retrouver, de fait, dans une situation où il va être extrêmement difficile voire impossible de s’insérer professionnellement. Mesurons que les conséquences sociales du décrochage scolaire en 2012 sont sans commune mesure avec ce qu’elles étaient, par exemple, dans les années 1980 au début de la massification scolaire.
A l’inverse, lorsqu’on écoute les témoignages des jeunes concernés, sortir du système scolaire peut aussi constituer le moyen d’en finir avec le sentiment d’échec ou d’infériorité : les notes humiliantes, le regard dévalorisant des autres, le sentiment de ne pas être à sa place (notons que la France possède l’un des indices les plus bas de sentiment d’appartenance des élèves à leur école1), le sentiment d’avoir été dépossédé d’une libre orientation… en somme : tout ce qui nourrit une forme de souffrance scolaire.
Qu’est?ce qui conduit 150 000 jeunes à sortir chaque année prématurément du système scolaire ?
Poser la question du décrochage revient à interroger notre système éducatif et sa difficulté à être inclusif, à sécuriser le parcours de chaque élève et le pourvoir ? quelle que soit son origine sociale, l’établissement, le quartier où il est scolarisé, ses compétences, ses difficultés..? d’un bagage citoyen et d’une qualification.
Poser la question du décrochage c’est aussi poser la question des inégalités sociales quand on sait que 32 % des enfants d’ouvriers sortent du système éducatif sans diplôme contre 5 % d’enfants de cadres2.
La grande majorité des décrocheurs se compte parmi les élèves de milieux populaires et plus précisément encore parmi les jeunes en filières professionnelles qui n’ont pas choisi d’y être orientés. C’est paradoxalement pour ces jeunes que le diplôme agit le plus comme une protection sociale.
Poser la question du décrochage c’est enfin poser la question de la volonté politique et d’une forme de « complaisance » à l’égard d’un nombre de sorties sans diplômes qu’on a du mal à déterminer précisément mais dont la seule évocation donne le vertige si l’on considère qu’à partir de 2005 a commencé à circuler le chiffre de 150 000 décrocheurs.
S’il est nécessaire de dénoncer cette ‘hémorragie scolaire’ et de la mesurer en chiffrant au plus juste les décrocheurs (ou devrait?on parler de « décrochés » ?) : il est tout aussi important de valoriser le travail de celles et ceux (équipes pédagogiques dans des établissement expérimentaux ou banalisés, missions générales d’insertion, missions locales, éducateurs professionnels et bénévoles d’associations…) qui, dans et hors l’école, accompagnent ces jeunes en rupture et les aident à
raccrocher. Comment y parviennent?ils ? Qu’est?ce qui motive les jeunes « décrochés » à raccrocher ?
C’est un travail d’orfèvre que d’accompagner un jeune à reprendre un parcours scolaire après une rupture. Parmi les leviers qu’on peut actionner, on peut citer : l’importance de l’écoute et l’accompagnement (on décroche parce qu’on se sent seul, on
raccroche parce qu’on est accompagné), qui suppose de pouvoir articuler individualisation et dynamique collective. la prise d’appui sur l’émergence d’un projet personnel (raccrocher c’est « retrouver la main sur son propre parcours »). Ainsi que la création d’un rapport aux apprentissages qui font sens (parce qu’ils trouvent leur place dans le projet personnel du jeune) dans un contexte apaisé. la question du climat scolaire, on le sait, est déterminante, toute comme celle de l’évaluation. Permettre aux jeunes d’évoluer dans un climat scolaire apaisé afin qu’ils puissent se consacrer pleinement aux apprentissages et instaurer des modalités d’évaluation qui en fassent non plus une sanction mais un outil pour l’élève pourrait constituer un levier puissant.
Globalement, le principal levier reste la restauration de la confiance : confiance entre élèves et enseignants, entre les élèves, développement de la confiance en eux, en leur avenir…
Enfin, le travail sur le raccrochage sera considérablement renforcé s’il se fait avec et non pas contre les parents. En France, la lutte contre le décrochage se fait plutôt dans une logique de culpabilisation et pénalisation des familles4. Nos récentes études ont montré que les familles populaires étaient inquiètes de l’avenir scolaire de leur enfant mais se sentent très démunies pour aider leur enfant à réussir.
Certains parents constatent, ainsi, impuissants, le décrochage progressif de leur enfant, se sentant directement responsables de la situation sans pouvoir y remédier…
Des expériences efficaces basées sur la coopération et le dialogue avec les parents sont pourtant menées. On voit, à ce titre, l’intérêt de développer par exemple des permanences de parents au sein des établissements scolaires ou de modéliser les expériences d’implication effective des parents dans la vie scolaire.
En conclusion, si l’on considère que le décrochage scolaire est bien un processus, il est indispensable d’articuler le travail de raccrochage à celui de prévention du décrochage tout au long du parcours.
C’est une des caractéristiques de notre système éducatif que se situer principalement dans une logique de remédiation, ce qui fait que, bien souvent, on arrive presque trop tard.
D’autres systèmes éducatifs (notamment dans les pays du nord ou au Québec) se focalisent moins sur les politiques de raccrochage parce qu’ils traitent les difficultés des élèves dès qu’elles apparaissent et portent une attention continue à la prévention et la sécurisation des parcours scolaires et ce, dès les premières années.
Ce qui marche pour faire raccrocher est tout aussi bénéfique pour prévenir le décrochage. Plutôt que de se concentrer sur des politiques marginales de remédiation, tout en maintenant un système qui agit comme une centrifugeuse et exclut progressivement les plus fragiles, il est temps de réinterroger l’ensemble de notre système éducatif.
A l’aune du prisme de la prévention du décrochage c’est bien vers un système inclusif et sécurisant pour tous les élèves que nous devons évoluer.
Au?delà de la formation initiale, dont on sait qu’elle est aujourd’hui surdéterminante dans le parcours d’un individu, c’est plus globalement la question de la sécurisation des parcours individuels qui devrait être posée, et son corollaire : le droit continu au ‘raccrochage’ et à la formation qui devrait
être promu tout au long de la vie.