In Observatoire des Inégalités – le 26 Août 2014 :
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Des jeunes sortis prématurément de l’école sans diplôme s’expriment sur leur « ras-le-bol » de l’école dans une étude récente menée par le Centre de recherche en éducation de Nantes. Quelles sont les causes de ces décrochages ? Comment ces jeunes jugent-ils le système scolaire ?
Les jeunes décrocheurs de l’école interrogés dans l’étude menée par le Centre de recherche en éducation de Nantes [1] (Cren) condamnent un système scolaire qu’ils considèrent comme inadapté, sélectif et injuste. Ils se déclarent insatisfaits de leur dernière formation suivie, surtout lorsqu’ils ne l’ont pas choisie. En particulier, 29,1 % considèrent que le travail demandé par les enseignants était trop difficile. Et malgré leurs difficultés scolaires, seuls 14 % disent avoir bénéficié d’un dispositif spécifique d’aide à l’école. L’éloignement géographique, le coût des études ou l’absence de soutien de l’entourage amical et familial sont rarement évoqués par ces jeunes pour expliquer leur « ras-le-bol » de l’école. Certains mettent plutôt en avant le fait de vouloir avoir une activité professionnelle, de gagner de l’argent et leur désintérêt de l’école. « Pour ces jeunes, le décrochage est une mise à distance d’un monde qui ne leur convient pas » indiquent les auteurs de l’étude.
Qui sont ces décrocheurs ?
21,8 % des jeunes interrogés dans l’étude du Cren ont interrompu leurs études avant la fin du collège, le plus souvent en classe de troisième. 60,9 % ont commencé ou poursuivi des études en lycée professionnel ou en centre de formation d’apprentis (CFA) sans obtenir le diplôme préparé. Ils sont moins nombreux (16,6 %) à être sortis d’un lycée général ou technologique. Comme le soulignent les auteurs « c’est surtout au collège que se cristallisent progressivement les difficultés de nature diverse » : un tiers des décrocheurs a redoublé au moins une classe du collège.
Les motifs principaux de décrochage des jeunes interrogés dans l’enquête du Cren ont été classés en cinq catégories (voir tableau ci-dessous). Un quart de ces jeunes qui ont de grandes difficultés scolaires est constitué d’élèves ayant rencontré des difficultés relationnelles importantes au sein des établissements scolaires, que ce soit avec les enseignants ou avec les autres élèves. Ils sortent du système scolaire avec un faible niveau de compétences. Leur décrochage est synonyme de rejet global du système scolaire. Un autre cinquième estime l’école « inutile ». Ces derniers se déclarent insatisfaits de la dernière formation suivie et n’y voyaient pas d’intérêt. Les contenus des enseignements étaient, selon eux, trop abstraits. La troisième catégorie représente plus de trois jeunes sur dix : ces derniers ont une vue moins négative de leur parcours scolaire ; ils évoquent davantage leur attrait pour la vie active et l’autonomie financière qu’elle peut apporter, parfois par nécessité. Ceux-là sortent de l’école plus souvent avec un niveau BEP. Autre motif de décrochage de l’école : le découragement, après avoir connu un échec plutôt en fin de parcours scolaire. 14,4 % des jeunes interrogés le mettent en avant. Ce motif concerne davantage des jeunes sortis de terminales générale et technologique sans avoir obtenu de diplôme. Face à cet échec, ils n’arrivent pas à reprendre pied. Enfin, 8,4 % des jeunes disent avoir des problèmes personnels qui se manifestent principalement par une anxiété en classe. Ces problèmes sont liés aux difficultés rencontrées dans le système scolaire mais aussi au manque d’aide des parents au cours de leur scolarité.
Les raisons évoquées par les jeunes ne sont pas à prendre au pied de la lettre. D’ailleurs, en pratique, différentes causes se conjuguent : on peut être découragé, avoir des difficultés scolaires et personnelles en même temps. Il ne demeure pas moins intéressant de constater la faible proportion de ceux qui mettent en avant des difficultés d’ordre personnel. Le décrochage relève massivement d’un dysfonctionnement de la relation entre le système scolaire et des jeunes qui ne suivent pas. Pour Pierre-Yves Bernard et Christophe Michaut, auteurs de cette étude, « le décrochage scolaire est donc bien un révélateur de la crise des systèmes éducatifs et de leur difficulté à répondre aux besoins de l’ensemble des jeunes ».
Une école très académique, où les évaluations sont très fréquentes, place mécaniquement davantage de jeunes en situation difficile. Et en cas d’échec, les moyens de renouer le lien avec ces élèves sont particulièrement minces. Un certain nombre d’entre eux attendent patiemment leurs 16 ans au fond de la classe. Un contrat implicite se noue parfois entre l’élève et le système : pas d’exigence scolaire contre « pas de vagues ». « Ainsi, lorsqu’un élève est en grande difficulté et développe des signes de résistance aux exercices scolaires, ses enseignants cessent souvent de lui imposer des apprentissages » comme l’indique Joanie Cayouette-Remblière, sociologue, dans une étude publiée par le ministère de l’éducation nationale [2]. Le système ferme les yeux et ces élèves disparaissent des classements à partir de 16 ans.
Classification des motifs de décrochage | ||
Effectifs | Fréquences (en %) | |
De grandes difficultés scolaires | 296 | 25,6 |
Le rejet de l’institution scolaire | 234 | 20,3 |
L’attrait de la vie active | 362 | 31,3 |
Le découragement | 166 | 14,4 |
Des problèmes personnels | 97 | 8,4 |
Ensemble | 1 155 | 100 |
Source : Centre de recherche en éducation de Nantes (Cren), 1 155 décrocheurs interrogés |
Qu’est-ce que le décrochage ?
Un décrocheur est un jeune qui quitte un système de formation initiale sans avoir obtenu de diplôme de niveau V (BEP ou CAP) ou de niveau supérieur (baccalauréat) (source : ministère de l’éducation nationale). Dans le cadre de l’étude du Cren, on considère les jeunes de 16 ans ou moins qui ont été scolarisés au moins 15 jours en continu au cours de l’année scolaire en cours ou de l’année scolaire précédente, qui ne sont pas diplômés d’un second cycle du secondaire (hors CAP-BEP) et qui ne sont plus inscrits dans un système de formation initiale. |
Qui sont les décrocheurs ?
Sur 800 000 élèves inscrits en sixième en 1995, l’Insee estime qu’un quart, soit 200 000 ont décroché. Parmi eux, 23 % sont allés jusqu’à l’année de terminale. Les deux tiers sont en difficulté dès le collège : 46 % d’entre eux ont un niveau très faible mais suivent le cursus commun et 21 % ont été orientés vers les filières spécialisées (Segpa [3] et anciennes classes technologiques notamment). Le tiers restant a abandonné avant d’avoir le bac. Pour partie, il s’agit de jeunes qui, en sixième, avaient un niveau comparable aux autres mais qui ont décroché par la suite, notamment au lycée. Les décrocheurs sont le plus souvent issus de milieux populaires : 48 % ont un père ouvrier, contre 31 % parmi les non-décrocheurs. 5 % ont des parents cadres supérieurs contre 18 % parmi les non-décrocheurs. |
Pour en savoir plus :
- « « Marre de l’école » : les motifs de décrochage scolaire », Pierre-Yves Bernard et Christophe Michaut du Centre de recherche en éducation de Nantes (Cren), mars 2014.
- « Les décrocheurs du système éducatif : de qui parle-t-on ? », France portrait social – Insee Références – Édition 2013.
- « Ecole : 200 000 décrocheurs », Centre d’observation de la société, novembre 2013.
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Notes
[1] « « Marre de l’école » : les motifs de décrochage scolaire », Pierre-Yves Bernard et Christophe Michaut du Centre de recherche en éducation de Nantes (Cren), mars 2014. Etude menée auprès de 1 155 jeunes ayant interrompu leurs études sans avoir obtenu un diplôme du second cycle de l’enseignement secondaire (hors CAP-BEP) – le second cycle de l’enseignement secondaire va de la seconde à la terminale.
[2] « Le décrochage scolaire : un défi à relever plutôt qu’une fatalité », Revue Éducation et formations, n° 84, décembre 2013.
[3] Sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) qui accueillent des élèves présentant des difficultés d’apprentissage graves et durables.