DE L’ETHIQUE DES LIEUX D’ACCUEIL PARENTS ENFANTS- Martine FOURIER,
docteur en sciences de l’Education – expertePRISME
D’abord appelés « Maison verte » par Françoise Dolto puis Lieu Accueil Parents enfants, elles s’appuient sur deux principes : les enfants sont des sujets de paroles dont, si les symptômes sont entendus, peuvent leur être éviter des perturbations ultérieures ; les parents ont besoin d ‘être entendues et soutenues après une naissance.
A leur création, les psychanalystes ont souhaité pénétrer le champ social pour éviter dès les premiers mois des tensions dans les relations entre enfant et parents, dans le « jeu des inter-subjectivités enracinés dans l’histoire de chacun »( F. Dolto la difficulté de vivre 1986).
Ces institutions de prévention et socialisation précoce se sont déployées dans deux champs :
-
la psychologie et celle du dire
-
les pratiques sociales communautaire et participative, alliant dire et faire.
Soutenus par la CAF, via les REAP, des institutions locales (Conseils Généraux, villes, CUCS, MSA…) s’engagent pour des structures au coût moyen faibles (30000€ annuel pour 2 dem-i journées hebdomadaires).
Dans les accueillants, les professionnels petite enfance sont importants (33%) les psychologues (20%) puis des travailleurs sociaux, des animateurs, des enseignants même. Les équipes sont formées et suivent en général une supervision mensuelle. Les enfants entre 0 et 3 à 6 ans sont accompagnés de la mère, de l’assistante maternelle, du père, d’un grand parent et sont orientés souvent par la PMI, avec des garanties d’anonymat et de confidentialité. Les enfants jouent librement ou se voient parfois proposer des activités…. Si le premier objectif est l’accompagnement de la fonction parentale, l’aide à la séparation, l’apprentissage de la sociabilité et des règles et limites, l’écoute des enfants et parents et la prévention des troubles sont aussi présents.
Les questions de mixité sociale, d’interculturalité sont aussi présents, surtout dans les quartiers d’habitat social. Mais quels que soient leurs statuts, les accueillants le perdent dans une implication qui articule professionnel et privé, où se joue à la fois des positions de sujets et de complémentarité pluridisciplinaire.
Ces lieux intermédiaires, entre public et intime, offrent aux parents et enfants une confrontation aux autres, en toute sécurité, l’échange de solutions entre parents sans conseils des professionnels pourtant présents. Ce cheminement personnel permet de construire ces nouvelles identités de parents et d’enfants, sans être sommés pour les premiers, d’abandonner ou de se cantonner à son propre histoire et culture…
Ces espaces de liberté, « contenant vide » de l’ici et maintenant, présupposent une égalité des positions personnels des parents et professionnels dont la subjectivité, permet de construire peu à peu des « démocraties familiales » (F. Jésu) où paroles et écoutes sont possibles. Ils permettent une pause dans le quotidien, à son rythme, en toute sécurité affective…Sortant de la maîtrise et du contrôle social demandé par les financeurs institutionnels, la création de relations intersubjectives entre parents et professionnels décale les relations qui s’inscrivent dans la durée longue. Celle –ci construit un compagnonnage parent – professionnel où le temps partagé parcouru, chemin faisant dans un espace repéré permet une histoire commune, une maturation réciproque des deux parties.; accompagnant celle de l’enfant et la reconnaissance des limites réciproques de chacun des acteurs.
Depuis plusieurs années, différents lieux de droit commun accueillent des parents seuls ou avec leurs enfants : les ludothèques, les bibliothèques avec « l’heure du conte », les animations des PMI, les centres sociaux avec des ateliers, sorties, séjours parents enfants ou pour parents seuls (ASL, cuisine, couture, bricolage …), les maisons des parents dans leur grande diversité, les cafés des parents ou groupes de paroles de parents dans les écoles, les maisons de quartiers…. Les dispositifs « coup de pouce » de la maternelle à l’entrée en 6ème invitent les parents à une participation occasionnelle mais régulière.
La pluridisciplinarité est souvent pré existante dans les différents espaces cités, mais pas systématique. C’est parfois un seul métier qui est présent (ludothèque, bibliothèque) parfois 2 ( PMI, centres sociaux, » coup de pouce »)
Cependant, au contraire des lieux d’accueil parents enfants, les professionnels demeurent, dans ces divers espaces, dans leurs statuts de « savoirs et pouvoirs » et vivent alors des fréquentations des parents variables, difficiles à maintenir ou réduites à un petit groupe fermé.
En effet, si les objectifs de ces lieux sont de « renforcer les liens entre les parents et les espaces éducatifs » (écoles, centres sociaux..) dans une visée de coéducation mais aussi de prévention, d’ouvrir à la culture, à la lecture, aux activités d’éveil, dans les faits, on est souvent sur une éducation des parents. Les échanges entre parents visent à créer ou renforcer le lien social, renforcer leur participation et citoyenneté, voire leur » pouvoir d’agir » local.
Mais si les LAPE offrent des espaces pluridisciplinaires où les accueillants participent de leur subjectivité, avec une supervision qui peut les aider à mieux la repérer, les professionnels des espaces cités demeurent dans leurs compétences, et leur accompagnement, quelle que soit leur bonne volonté, se situe dans une relation hiérarchique entre statut institutionnel et savoirs éducatifs professionnels. De fait, sous couvert d’aide, on assiste souvent à des pratiques de maltraitance institutionnelle fréquentes, souvent inconscientes ou subtiles, mais qui organisent, de façon implicite, une démission progressive des parents, qui en seront accusés.
Les professionnels sont perçus et se présentent comme experts (malgré les effets de modes éducatifs où toute vérité change tous les 10 ans..) . Malgré les déclarations d’intention de co éducation, les présupposés des actions relèvent souvent d’une « éducation parentale » et d’une position de surplomb qui revient rapidement ou reste à la libre appréciation des professionnels.
Ne serait- il possible de mettre en accord les objectifs affichés de ces espaces et les pratiques réelles, à partir des principes et méthodes employées dans les LAPE, en partant de leurs spécificités et en observant comment ils peuvent être transférables ? En effet, la centration sur la relation parent – enfant en l’accompagnant à construire où il veut et peut aller, comment, à repérer ses projections sur l’enfant, les limites que celui-ci pose progressivement comme sujet en construction hors des désirs parentaux ou professionnels.
Le changement d’optique crée un changement d’éthique qui sort des rapports hiérarchiques et développe les capacités critiques pour créer entre partenaires éducatifs de la convergence, de la complicité dans l’observation des progrès d’un enfant.
Questions de parent – alité
Le terme parentalité, derrière sa neutralité apparente renvoie à une psychologisation culpabilisante qui individualise les parcours sociaux et scolaires, à partir de défaillances personnelles qui occultent les conditions socio – économiques des publics visés.
Quand on parle de nouvelles parentalités, on ne doit pas oublier le quart de familles monoparentales du début du XXème siècle et le dixième d’enfants abandonnés à la même période… pas si lointaine et bien proche de certains pays d’exil actuels. De même, les recompositions parentales sont largement présentes dans le théâtre dès Molière, plus provoquées par la mortalité précoce maternelle que par le divorce certes, mais avec des conséquences bien plus lourdes sur la vie des enfants.
Les seules nouvelles formes de familles sont les homoparentalités affichées, mais qui ne semblent pas relever de politiques publiques spécifiques… de même, la question du travail des femmes semble nouvelle, mais ne l’est que dans les milieux aisés où les femmes sont entrés récemment dans le monde du travail : on constate une inversion du travail des femmes avec la récession de l’emploi des femmes des milieux populaires qui travaillaient à l’usine, l’atelier, la ferme, au commerce familial.
Pour elles, ont été créés les accueils petite enfance (crèches, écoles maternelles, garderie, LSH..) dans lesquelles aujourd’hui s’engouffrent les classes aisées ; Pour celles de milieux populaires, avec de faible qualification elles « bénéficient » des aides financières permettant de « choisir d’élever leur enfant ».
Ce choix fort coûteux socialement à terme car la plupart ne retourne pas à l’emploi et s’enferme dans une maternité moins épanouie que les médias l’affichent. Par contre, les femmes des classes aisées accroissent largement leur maintien dans l’emploi et bénéficient ainsi de l’usage (devenu coûteux) des modes de garde prévus pour les premières.
Les modèles éducatifs ont été envahis, comme E. Plaisance l’a démontré, par l’impératif de l’épanouissement de l’enfant, de la démocratie familiale, opposé au modèle d’éducation familiale d’obéissance des milieux populaires décrits par J.P. Pourtois, plus difficile à pratiquer en cas de difficultés économiques. En effet, toutes les études montrent que plus le style éducatif des parents est éloigné des classes aisées ( et des professionnels éducatifs) avec des rôles masculins – féminins non stéréotypés, une autonomie de l’enfant, moins les résultats scolaires sont bons. Les parents qui privilégient le respect de l’obéissance, la propreté, la surveillance, l’adaptation aux contraintes extérieures subissent les inégalités scolaires ; celles -ci sont renforcées quand les parents ne maîtrisent pas les stratégies scolaires (choix de filières, établissements..) peu ou mal la communication avec les professionnels.
On sait que la présence et la pratique des livres, ordinateurs, la lecture de journaux à la maison ont les mêmes incidences, comme celles des loisirs culturels (cinéma, théâtre, musée, conservatoire musique) mais pas les pratiques de sports, de la cuisine, des jeux libres parfois proposés de façon valorisante par des municipalités bien intentionnées. De même, Bernstein a montré les effets différenciés des échanges verbaux mère – enfant, où les classes aisées proposent la maîtrise d’un vocabulaire décrivant l’environnement, des formes pédagogiques d’informations tandis que les milieux populaires s’attachent à un vocabulaire descriptif des activités quotidiennes.
Les actions sont souvent rattachées aux questions d’intégration (socio culturelle, particulièrement pour les populations d’origine étrangère dont les Ateliers socio linguistiques disent clairement qu’ils ne sont pas socialisés.. selon la hiérarchie des civilisations de nos élus), de lien social et de lutte contre la délinquance.
Dans la course à « l’armement scolaire » certains sont moins armés que d’autres, et les statistiques montrent depuis des années les liens directs entre niveau d’études des parents et des enfants, réseaux sociaux, accès aux informations réservé à un cercle d’initiés.. . Pour les parents qui n’entrent pas dans cette catégorie, l’école est une boîte noire dans laquelle on dépose l’enfant, avec un langage technique spécialisé dont ils ne peuvent avouer leur incompréhension.
Cependant, de façon paradoxale, les fortes attentes des parents en matière scolaire ont des effets positifs dans l’enfance, mais peuvent devenir contreproductives à l’adolescence, avec un poids trop lourd pour le jeune.
L’enfant associé aux décisions familiales est devenu la norme, modulé selon l’âge et le degré de maturité (F.Jésu)
Ainsi les parents vivent entre des injonctions multiples (cadre légal, médecine, professionnels éducatifs multiples, médias, coutumes familiales personnelles ou locales) et doivent en faire une synthèse rapide et adaptée face aux sollicitations incessantes des enfants … En effet, présents dès avant la naissance, ils resteront des parents « durables, tout au long de la vie », ne cessant auprès d’enfants adultes d’être sollicités et questionnés sur leur choix éducatifs antérieurs et leurs conséquences. Ils sont experts de chacun de leurs enfants dont ils ont accompagné les étapes, les crises, les avancées. Mais cette relation se vit dans une relation marquée en permanence par l’affectif, les enjeux internes à l’histoire familiale et le contexte socio – économique.
La subjectivité est toujours nécessairement présente, faute d’elle la pathologie viendrait vite, et les professionnels ne sont qu’un peu mieux armés … La place des pratiques éducatives profanes acquises dans les habitudes et les croyances familiales (tétine, pouce, doudou…) se prolongent tout au long de l’éducation, à l’articulation de l’histoire personnelle en construction et de la grande « histoire » dans laquelle chacun inscrit sa vie. Ces pratiques profanes intègrent les recommandations professionnelles si elles peuvent y être conciliées en fondant le socle sécurisant du processus de parentage dans toutes les sociétés. Les parents fonctionnent par adaptation, essais -erreurs tout au long de leurs actions- réactions avec les enfants – conjoints – familles proches et élargies – professionnels éducatifs et sanitaires… mais les jugements de chacun de ces acteurs sur les pratiques profanes peuvent avoir des effets dévastateurs dans la relation parents – enfants (surprotection/désinvestissement, distance/fusion, rejet/ objectivation..)
Seuls les parents adoptants actuels passent de réels examens pour être reconnus par les institutions concernés, avec des critères relevant largement des modèles économiques des classes aisées, rendant l’adoption quasi impossible dans d’autres milieux ; par contre, tout au long de sa vie de parents naturels , en crèche, halte- garderie, écoles, centres de loisirs, activités sportives et culturelles, les personnels vont « conseiller » les parents, observer leurs comportements à l’aune de leurs propres systèmes de valeurs éducatifs ( qu’ils appliquent aussi difficilement personnellement) , créant la fuite des parents éloignés de ces modèles.
Comment repenser la place des enfants, entre ceux considérés comme en danger dans leur milieu devenus des jeunes dangereux quelques années plus tard.. Les enjeux croissants de l’exclusion sociale par l’échec scolaire touchent ceux sortis sans qualification du système (15 0000 par an) qui auront peu de chances de sortir de l’emploi précaire ou des aides sociales.
Face à la complexité des enjeux et des fonctionnements institutionnels, comment sortir d’une subjectivation réciproque (parents vers enfants, professionnels vers enfants et parents) pour utiliser celle-ci comme un outil d’analyse du social, non enfermé dans les processus psychiques intimes
Comment utiliser les temps de crise, de ruptures comme des passages et des étapes dans les familles et avec les professionnels. ?
Février 2012 dans le cadre de l’Assemblée générale de PRISME au CNAM