PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Philippe Morin fait un point…d’actualité! De l’éducation permanente à la formation tout au long de la vie

Par Philippe Morin – Mai 2005
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En ces temps de débats intenses sur la construction européenne, il ne semble pas inutile de s’arrêter un moment sur la relation entre les politiques française et européennes et sur leurs interactions respectives dans le champ qui nous intéresse, celui de la formation d’adultes et des enjeux d’innovation qui l’accompagnent.

En 2000, la Commission européenne publie un  » Mémorandum sur l’éducation et la formation tout au long de la vie  » (1)
. Cette notion de formation tout au long de la vie (déjà abordée dans un document précédent sur la société cognitive) y est définie comme  » …toute activité d’apprentissage entreprise à tout moment de la vie, dans le but d’améliorer les connaissances, la qualification et les compétences dans une perspective
professionnelle, civique, sociale et/ou liée à l’emploi…  »

Pour les acteurs français engagés depuis un moment dans la formation d’adultes,
cela sonne de façon paradoxale. Cette expression reprend de façon
évidente des concepts déjà anciens, ceux d’éducation et de formation
permanente ; mais ces derniers, issus du mouvement social et de
l’éducation populaire, restent attachés à un engagement politique : la
volonté de valorisation de la culture ouvrière et de démocratisation de
l’accès au savoir inscrite dans la volonté de changement des années
50-60. Relayées par les lois de 1971 (mai(s) 68 était passé par-là…),
elles sont désormais pour partie reprises par les institutions européennes.

A la réflexion, ce passage de la notion de permanence à celle de  » long
life « , même s’il mériterait aussi réflexion, n’est pas l’élément le
plus nouveau. Celui de  » learning  » mérite davantage d’attention, en
particulier dans le contexte français. Forme progressive anglaise d’un
verbe connu de tous, to learn, apprendre, forme impossible à traduire, à
la fois littéralement et élégamment en français. Dans notre langue,
l’acte d’apprendre se dit apprentissage et comme ce terme comporte une
forte connotation institutionnelle, (un système de formation formalisé
par la loi), le glissement se porte donc sur les expressions formation
et éducation. La traduction la plus simple en  » apprendre tout au long
de la vie « , se transforme rapidement et finalement en  » formation et
éducation tout au long de la vie « .

Faut-il pour autant engager un débat sémantique de plus sur une idée
apparemment aussi simple ? Oui, car dans le cas présent, le débat n’est
plus seulement sémantique, il est politique. Il réside dans les postures
institutionnelles et politiques que les mots révèlent.
Le plus souvent, lorsque des représentants d’institutions s’expriment
aujourd’hui en France sur cette question dela formation tout au long de
la vie, ils la présentent comme une recherche d’articulation entre le
systèmes d’éducation et formation tout au long de la vie, (de la maternelle à la formation continue, pour faire simple), au risque de ne pas interroger les systèmes eux-mêmes.

Or, le temps  » learning « , dans l’acception que la Commission européenne
a voulu lui donner, signifie autre chose : apprendre tout au long de la
vie, ce n’est pas uniquement se former dans les systèmes existants,
c’est apprendre partout, dans le cadre des systèmes formels, certes,
mais aussi de façon plus ou mois formelle, voire informelle, dans la situation de travail, dans l’engagement citoyen, lorsqu’on le veut et où
l’on veut (ou peut…). C’est donner à tous, sans discrimination aucune,
l’accès au savoir.
Traduit en terme d’initiatives politiques etinstitutionnelles, l
différence est de taille. Pour être plus clair, on pourrait la
caricaturer de la façon suivante : d’un côté, une vision de l’acte
d’apprendre  » bureaucratique  » au sens que la sociologie des
organisations donne à ce terme, c’est-à-dire une vision privilégiant les
appareils (qui, en dépit des intentions de leurs acteurs, restent
discriminants), de l’autre, une vision  » humaniste « , au sens des
Lumières (2) , de l’accès de l’individu singulier au savoir, sans discrimination. Le trait est forcé
: il ne s’agit évidemment pas de condamner les appareils (qui eux-mêmes procèdent pour partie aussi des Lumières), et de leurs nécessaires évolutions, mais de souligner leurs limites (ce qui ne peut que leur
rendre service), et de pointer une dérive hégémonique potentiellement lourde de conséquences. Ils ont évidemment une fonction essentielle à
remplir dans cet  » Apprendre tout au long d la vie « , mais ils ne
sauraient être les seuls, ils ne peuvent tout faire.

Quel rapport avec la FOAD, direz-vous, et les préoccupations
généralement évoquées habituellement dans cet espace éditorial ?
Précisément, le constat, largement partagé, est que la situation
d’aujourd’hui en France et en Europe, en terme d’accès au savoir (et à
sa transformation, sa qualification pourrait-on dire, en compétence, en
performance, dans la vie économique et sociale), n’est pas
satisfaisante. Il faut imaginer autre chose : assouplir les systèmes,
les rendre davantage accessibles en créant d’autres modalités d’accès
(la réduction de la distance géographique ou sociale en constitue une
parmi d’autres), faciliter l’autonomie des individus, créer des liens
entre les apprentissages (et les dispositifs) formels et informels…
Autant de préoccupations que partageaient nos prédécesseurs, mais avec
d’autres mots, plongés qu’ils étaient dans d’autres  » mondes « .

Philippe Morin philippe.morin@algora.org

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(1) http://europa.eu.int/comm/education/policies/lll/lll_fr.html

(2)  » …offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de connaître et d’exercer leurs droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs ; assurer à chacun d’eux la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d’être appelé, de développer toute l’étendue des talents qu’il a reçus de la nature…

Ainsi, l’instruction doit être universelle, c’est-à-dire, s’étendre à tous les citoyens. Elle doit être répartie avec toute l’égalité que permettent les limites nécessaires de la dépense, la distribution des
hommes sur le territoire, et le temps, plus ou moins long, que lesenfants peuvent y consacrer. Elle doit, dans ses divers degrés,
embrasser le système entier des connaissances humaines, et assurer aux
hommes, dans tous les âges de la vie, la facilité de conserver leurs connaissances, ou d’en acquérir de nouvelles (…)  »

(extrait du Rapport sur l’organisation générale de l’instruction publique présenté à
l’Assemblée Nationale Législative par Condorcet au nom du Comité d’instruction publique

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