PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Rapport d’information SENAT :

Accéder au site source de notre article.


"Transformer les territoires ruraux en foyers d’innovation scolaire :

a) Favoriser les regroupements par la concertation

La question des écoles rurales est systématiquement présentée sous un jour très pessimiste. Il n’est question que de tension et d’incompréhension réciproques entre maires et inspecteurs d’académie ou recteurs, de suppressions de postes entraînant des fermetures de classes et d’écoles, de manque d’équipements notamment numériques, de dévitalisation des territoires, etc. Votre mission est pourtant convaincue que l’éducation en milieu rural est potentiellement un foyer d’innovations susceptibles de se diffuser dans l’ensemble du système éducatif. L’École rurale peut devenir le laboratoire d’un nouveau mode de gestion partenariale axée sur une concertation et une coopération intense entre l’Éducation nationale et les collectivités territoriales au service d’un projet éducatif partagé. Les démarches autoritaires, centralisées, décidées unilatéralement par l’Éducation nationale, pour répondre à des restrictions budgétaires, sans considération pour les conséquences sur le tissu social local, doivent être bannies ici encore plus qu’ailleurs.
Le nœud du problème est de parvenir à établir un lien de confiance durable et solide entre des acteurs ne parlant pas toujours le mêmè langage.
Ensemble, élus, parents et administration disposent de toutes les ressources d’inventivité nécessaires pour trouver des solutions structurelles et pérennes
adaptées aux caractéristiques particulières des milieux ruraux, conjuguant
l’efficacité pédagogique, l’efficience financière et te développement des territoires. L’exemple de restructuration d ‘un ensemble de petites écoles isolées d’une communauté de communes de la Somme, adossée à un ambitieux projet numérique, a rendu les membres de votre mission très optimiste, à cet égard. En outre, dans le second degré, l’enseignement agricole, dont tous s’accordent à reconnaître l’excellence, a un rôle majeur à jouer dans la reconfiguration de l’offre scolaire en milieu rural, en complémentarité avec l’Éducation nationale.
Plusieurs académies se caractérisent par une dichotomie forte entre un pôle urbain central très attractif et de vastes zones rurales peu denses, comme celles de Toulouse, de Reims ou d’Amiens. Il serait illusoire et vain de prétendre traiter de la mème façon des situations aussi différentes. Votre mission n’a rencontré aucun recteur, ni aucun inspecteur qui ne soit sensible aux particularités des territoires ruraux. Le principal trait de l’école rurale est la prédominance des petites structures isolées; dont la sensibilité aux décisions ministérielles et rectorales est plus grande. Par exemple, en Picardie, 53 % des écoles ont 3 classes ou moins, contre 39 % sur l’ensemble du territoire national, et mème 19 % sont des écoles à classe unique, soit quasiment le double de la moyenne nationale.

Les surcoûts du maintien de toutes les structures à faible effectif sont évidents et ne peuvent être ignorés dans un contexte budgétaire lourdement contraint. En outre, les communes rurales ont parfois du mal à mobiliser des ressources financières suffisantes pour équiper adéquatement les écoles, qu’elles que soient leur engagement par ailleurs. Mais, plutôt que sur les questions strictement financières, il a été surtout insisté devant la mission sur les inconvénients pédagogiques de la dissémination des écoles rurales. Lors de son audition, M. Bruno Racine, président du Haut conseil de l’éducation (HCE), a ainsi déploré l’insuffisance du pilotage de proximité dans le primaire,et plus particulièrement en zone rurale en. raison de la grande dispersion des implantations. Il relève notamment que «cette dispersion résultant de l’attachement louable au maintien d’écoles dans des communes peu peuplées. – rend néanmoins plus difficiles les échanges entre les maîtres d’un même cycle, la possibilité d’interventions extérieures ou la pratique d’activités collectives ou sportives. Une telle dispersion – la France compte actuellement 7000 écoles à classe unique sur un total de 56000 établissements – n’est donc pas toujours favorable aux élèves. »J Le recteur de l’académie d’Amiens a précisé que les petites structures empêchaient paradoxalement la personnalisation des enseignements, alors. que celle-ci est la clef de l’amélioration des apprentissages dans la· classe et des. performances globales du système éducatif. Selon son argumentation, la différenciation pédagogique nécessite de constituer une équipe dont les membres disposeraient collectivement de compétences et de qualifications spécifiques pour repérer les difficultés des élèves, pour identifier les techniques de remédiation appropriées et les mettre en oeuvre. Plus l’équipe est étoffée, plus le dialogue entre enseignants devient fécond, plus leur capacité à adapter leur pédagogie grandit. À l’inverse, plus l’enseignant est isolé, plus le risque de la routine et de la répétition mécanique grandit. Les écoles à classe unique constituent la situation la plus tendue,* compliquée par .la nécessité de faire progresser des élèves appartenant à des cohortes différentes, sans véritable mixité et émulation possible entre eux.
Les élèves en difficulté retrouvent chaque année le même maître qui n’a pas
véritablement d’autres ressources que de répéter les mêmes choses avec les· mêmes méthodes. Poursuivre dans la voie de l’éclatement reviendrait à tout
miser sur « l’effet maître », avec les risques de loterie et d’accroissement des
inégalités qu’il comporte, et empêcher l’émergence d’un effet établissement ‘qui nécessite une structlure de base plus étoffée pour se déployer. Le recteur
d’Amiens estimait, en conclusion, que trois classes (une enfantine et deux
élémentaires, par exemple) constituait un seuil minimum d’efficacité pédagogique, mais qu’il était préférable de constituer des écoles d’au moins cinq classes (deux maternelles et trois élémentaires, par exemple).
C’est sur des arguments similaires que les autorités portugaises ont justifié devant une. délégation de votre mission la réforme radicale mise en oeuvre depuis 2006. Une réorganisation complète du maillage territorial des écoles a été opérée avec la fermeture de toutes les écoles d’effectif inférieur à 21 élèves, au double motif qu’elles enregistraient beaucoup d’échecs scolaires et de redoublements, d’une part, et qu’elles étaient coûteuses à maintenir, d’autre part. La mission est hostile à toute restructuration de ce type en France parce que celle-ci ignorerait les souhaits .des populations concernées, accroîtrait l’antagonisme entre les élus locaux et les autorités académiques, et conduirait à une dévitalisation brutale et intolérable des territoires frappés ..
Les élus auditionnés par votre mission déplorent surtout le défaut de dialogue et l’absence d’une pérennité et prévisibilité suffisantes des décisions académiques, alors mème que le code de l’éducation confie des responsabilités éminentes aux communes dans l’entretien et le fonctionnement matériel des écoles primaires et aux conseils généraux pour l’organisation des transports scolaires. Selon l’Association des maires de France (AMF), «il importe que les ouvertures et fermetures de classe s’inscrivent dans le temps.
Ces ouvertures et fermetures ne peuvent être gérées à court terme. et doivent
être décidées en concertation avec les communes, de telle manière que les
investissements qu’elles réalisent pour le développement des activités
scolaires soient rentabilisés· à moyen terme. »’ M. Pierre-Yves Jardel, président du groupe de travail sur l’éducation de l’association, a rappelé que cette exigence était intégrée dans la charte relative à l’organisation de l’offre des services publics en milieu rural adoptée en. 2006, qui prévoit notamment·. que l’annonce des. fermetures de classe s’effectue deux ans avant la date d’application effective. Votre mission ne peut que déplorer, à l’instar des représentants des élus locaux, que cette disposition n’ait jamais été appliquée, car elle était de nature à désamorcer les perpétuels conflits lors de la préparation de la rentrée scolaire et à favoriser l’émergence departenariats éducatifs locaux. ‘
. Pour autant, votre mission considère que les regroupements pédagogiques appuyés sur des structures intercommunales peuvent constituer une solution intéressante, conciliant l’efficacité pédagogique et l’efficience budgétaire, dans la mesure ·où ils ne constituent pas une mesure purement administrative mais offrent l’occasion d’articuler un projet éducatif pertinent. A cet égard, l’exemple de la communauté de communes du Haut-Clocher dans la Somme, présidée par notre collègue Daniel Dubois, a emporté la conviction des membres de la mission.
Les vingt communes concernées ont tout d’abord transféré leur compétence scolaire à la communauté qui gère le fonctionnement de l’école, la restauration scolaire, l’accueil périscolaire et les personnels d’intervention (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelle (ATSEM), accompagnateurs de car, agents périscolaire et d’entretien), Les élus ont fait le constat que les treize écoles de leur territoire comptaient peu de classes et peu d’élèves, les bâtiments étaient vétustes et mal équipés, et les transports scolaires difficiles à organiser. Chaque année; la préparation de la rentrée et les décisions de l’inspecteur d’académie étaient accueillies avec appréhension.
La passivité n’était plus line solution viable. Au terme d’une large concertation au sein de. la communauté de communes sur plusieurs années pour prendre ·le temps de convaincre l’ensemble des maires, de poser un dIagnostic fin, de proposer une solution au rectorat et de trouver les financements adéquats, ila été décidé de fermer toutes les écoles dispersées existantes et de constituer trois regroupements pédagogiques concentrés.
Trois nouveaux bâtiments de haute qualité environnementale et adaptés à la pédagogique numérique ont été construits regroupant de 8 à 12 classes pour 192 à 285 élèves par structure. Le projet s’est progressivement mis en place depuis 2003 pour être entièrement finalisé en septembre 2010.
L’investissement total s’est élevé à 10 millions d’euros, 3 millions à la charge
de la communauté dont la moitié sur emprunt et 7 millions relevant de subventions de l’État, de l’Union européenne, de la région, du département, de.
la caisse des allocations familiaies et de l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). C’est désormais très légitimement que les élus de la communauté peuvent demander à l’Éducation nationale de leurfournir un suivi des résultats des élèves, afin qu’ils puissent mesurer l’impact sur les apprentissages de la réorganisation et des investissements massifs qu’ils ont consentis.
De même, M. Pierre-Yves lardel, président du groupe de travail éducation de l’AMF, a fait part d’une initiative tout aussi positive dans une zone très rurale de la Marne: « la communauté de communes à laquelle appartient ma commune· a ainsi fermé sept écoles disséminées, où les enseignants ne voulaient plus enseigner. En contrepartie, elle a ouvert trois groupes scolaires de six classes où les enseignants. sont heureux de travailler. »’ C’est en créant une synergie sur le fondement d’une collaboration efficace entre les élus, les enseigr;J.ants, les parents d’élèves et l’académie que la restructuration a rencontré le succès. Ces deux exemples témoignent de l’efficacité du dialogue à froid, en amont des .décisions, pour les mûrir conjointement entre partenaires égaux. Votre mission ne peut que recommander l’extension de cette démarche, souplement modulée en fonction des caractéristiques de chaque territoire ru rai et des contraintes propres à sa géographie."

 

Print Friendly

Répondre