In Réseau National de Lutte Contre les Discriminations – le 27 février 2014 :
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Intervention COFRIMI – mardi 5 novembre 2013, Toulouse, dans le cadre de la journée « pour un autre regard sur l’immigration : l’audiovisuel comme support pédagogique »
Pour répondre aux attentes que les organisateurs ont formulées dans l’intitulé de mon intervention, je propose une contribution tirée de mes travaux de recherche et d’étude sur ces questions. Dans le cadre de mes activités de recherche, je conduis des travaux dans une perspective à la fois historique (historiographique) et sociologique (sociologie de l’action publique des politiques publiques de lutte contre les discriminations). J’ai eu l’opportunité de travailler sur un certain nombre de dispositifs qui ont pour point commun de mettre en jeu des représentations négatives liées à l’immigration. Beaucoup de ces dispositifs favorisent une approche par la connaissance, l’hypothèse soutenue étant que les représentations sont liées à une méconnaissance de l’immigration et que des apports de connaissance vont peser sur les stéréotypes, et par ricochet, sur le racisme et les discriminations. C’est dans ce sens que l’action publique s’est, en partie, développée. Pour ma part, il me semble que l’infléchissement des représentations ne suffit pas pour lutter contre les discriminations. La diffusion de connaissances est une façon très rationnelle, très cartésienne, d’aborder la question des discriminations et du racisme. On sait que la race n’existe pas mais le racisme existe toujours voire se développe. Si on fait le parallèle entre l’approche scientifique du racisme et le phénomène social, on se rend compte que la connaissance est insuffisante. Pour ce qui est du racisme en effet, qui découle de représentations négatives de groupes racialisés, on a cru qu’après la mission de C. Levi-Strauss en 1952, la notion de race serait remisée dans les poubelles de l’histoire et avec elle le racisme, et il n’en est rien (le racisme est aujourd’hui différentialiste, fondé sur une hiérarchisation des cultures). Par ailleurs, on oublie parfois que la discrimination est un délit. L’application du droit est indispensable pour prévenir et lutte contre les discriminations (information, dissuasion, sanction). C’est le rôle de l’Etat de garantir le respect de l’Etat de droit et force est de constater que le droit ne constitue pas à ce jour un rempart suffisant, une menace crédible.
Deuxièmement, les représentations présentent une grande résistance aux changements et ce changement est limité par la nature contradictoire des messages que l’on reçoit. L’immigration est, ce que l’on appelle, une question socialement vive c’est-à-dire qu’elle fait l’objet de débats et de polémiques dans les sphères politique et médiatique et qu’en conséquence, ces débats alimentent le sens commun en images négatives. Autrement dit, le sens commun, l’opinion publique sont nourris quotidiennement en images négatives et que cela rend extrêmement difficile le travail de déconstructions des représentations. On a tous en tête les exemples récents venus d’en haut.
Troisième remarque, les référentiels d’action publique mobilisés lorsqu’on parle de représentations sont souvent indistinctement l’intégration et la lutte contre les discriminations. Or ceux-ci, sont en tension, ce qui peut avoir pour conséquence de renforcer les représentations négatives, indépendamment des intentions louables et sincères des auteurs des actions. L’intégration des populations immigrées est le paradigme dominant en France. Il faut suite au référentiel de l’insertion (et de l’assimilation) dont il garde en partie la logique centrale, qui est de travailler sur l’inadaptation des personnes issues de l’immigration.
L’intégration pose l’hypothèse que certaines personnes, certains groupes connaissent des difficultés d’intégration, qui sont visibles au travers de l’expression des signes d’appartenance, les signes d’attachement affectif au pays d’origine, la pratique de la langue, voire certaines pratiques religieuses, comme le port du voile, dans certains cas, sont considérés comme l’expression d’une non intégration, d’une distance à une norme supposée française. Ces signes ne concernent pas seulement les immigrés, mais également leurs descendants.
Aussi, le porteur de projets répond-il implicitement à la question suivante :
le problème est-il du côté des supposés signes d’appartenance (qui alimentent les représentations négatives) ou
le problème est-il du côté de la société qui peine à accepter la présence d’une partie de la population et dont il faudrait légitimer la présence par un travail sur les représentations ?
Autrement dit, est-ce qu’on explique la situation des habitants des quartiers populaires par :
par leur non intégration, (ou leur intégration inachevée)
ou par le résultat de mécanismes ségrégatifs qui se sont noués dès l’école et qui combinent une stigmatisation des quartiers de résidence, une discrimination à l’emploi (qui ont des effets
identitaires) ?
Selon la réponse que l’on donne à cette question, soit on place le curseur sur les normes culturelles des immigrés, soit on place le curseur sur les normes identitaires de la société française.
Le constat que je fais, c’est que si on explique les conduites par des valeurs culturelles ou par et non par des parcours de mobilité et des trajectoires en interaction avec la société majoritaire, on aboutit à un renforcement des représentations négatives. Lutter contre les représentations négatives liées à l’immigration, c’est tenir un discours « sur » les immigrés, leurs descendants et/ou ceux qui sont perçus comme telle. C’est bien le problème car, bien souvent, dans les projets que j’ai eu l’occasion de regarder, on ne sait pas trop de qui on parle ; on a affaire à une multitude de définition de l’origine immigrée (des catégories de sens commun, des catégories confessionnelles (« la culture musulmane opposée à la culture française »), des catégories juridiques (les nationalités marocaine, turque, cambodgienne…)), qui sont insuffisantes pour désigner ceux qui sont visés. Ces projets tentent parfois d’éviter l’usage des catégories ethno-raciales, mais ne font, le plus souvent, que les contourner en tenant pour équivalentes des dénominations qui ne le sont pas. Ce biais est renforcé ou induit par l’approche territorialisée car l’immigré ou l’étranger est un habitant d’un quartier dit sensible, en politique de la ville, etc… Ces ambiguïtés catégorielles ne sont pas propres aux porteurs de projets, elles traversent également le monde de la recherche et celui des politiques publiques.
Ce discours se double parfois d’un discours sur les incivilités, le respect d’autrui, l’émancipation des femmes ou la laïcité. Et ces projets, qui bénéficient de crédits politiques de la ville, finissent par s’adresser aux populations issues de l’immigration, et non à la société majoritaire. Bien sûr, ce public n’est sans doute pas épargné par les représentations négatives, mais il convient de s’adresser à tous. Enfin, travailler les représentations sans agir sur les conditions d’expérience quotidienne conduit non pas à peser sur les représentations (sociales) mais à renforcer la représentation (politique) de soi comme bien-pensant.
Aussi, conclurai-je en disant que tout travail sur les représentations d’autrui nécessite en premier lieu un travail de réflexivité sur les catégories que le professionnel mobilise, c’est-à-dire qu’il s’agit d’abord d’interroger ses propres présupposés avant de questionner ceux des autres.