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Mardi 21 mai de 11h00 à 12h30
Co-animée par :
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Éric Sanchez, maître de conférences, École normale supérieure de Lyon – Institut français de l’éducation
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Paul Mathias, inspecteur général de l’Éducation nationale
La question des relations entre le numérique et l’École ressortit moins aux progrès de la technologie qu’à la détermination de la culture qui s’y dessine. Ainsi, l’École est aujourd’hui confrontée à des élèves dont elle connaît moins bien les compétences réelles tout en ayant pour mission de les former, notamment à résoudre les problèmes de plus en plus complexes qui se posent dans une société de la connaissance. C’est pourquoi il est devenu capital de penser une refondation numérique de l’École et de comprendre comment elle peut se confronter aux évolutions de notre société en s’y adaptant mais aussi en les accompagnant.
Dans ce contexte, la question de l’usage du numérique dans l’enseignement se révèle celle de ses opportunités pédagogiques — en termes de diversification des modalités d’enseignement, de fluidité des temps et des espaces éducatifs — mais elle trahit également un défi qu’il appartient à l’École de relever du point de vue de l’accueil des natifs du numérique, avec l’intégration du numérique dans les programmes des disciplines scolaires.
Au-delà des annonces sur les Digital natives, les Millenium Learners et la Génération Y, que savons-nous en effet des cultures numériques des élèves de l’enseignement secondaire ? Comment prendre en compte ces cultures dans les curricula ? Quelles compétences numériques les collégiens et les lycéens doivent-ils développer pour s’adapter et s’ajuster à la société de la connaissance ? Quelles sont les responsabilités de l’École du point de vue de la culture numérique des élèves ?
La table ronde réunit des représentants de la recherche, de notre système éducatif et des mouvements éducatifs afin de débattre de ces questions.
L’école, oui mais pas toute seule…
Christian GAUTELLIER, directeur national de la communication, Centre d’entrainement aux méthodes d’éducation active (CEMEA)
Aujourd’hui, les cultures numériques et médiatiques des jeunes se construisent principalement hors de l’école… La socialisation mise en œuvre au sein de l’école doit s’articuler avec celle des industries médiatiques et celle exercée par les parents…
La responsabilité de l’école est donc de faire le lien entre cette culture médiatique des jeunes, souvent très consumériste et commerciale, et les apprentissages à finalité émancipatrice, dispensés dans les curricula scolaires. Cette responsabilité est de mettre en place les passerelles, les ponts avec tous les acteurs, dans l’école et hors l’école, qui concourent à l’éducation critique des jeunes. Elle est de créer des complémentarités et une continuité éducative sur cette question des médias et de l’information. Elle est d’inscrire cette question systématiquement, pour tous les enfants et les jeunes, à tous les niveaux d’enseignement…
Au-delà, institutionnellement, la responsabilité de l’Éducation nationale, est de s’inscrire dans une politique inter-institutions, interministérielle, multiacteurs et de faire émerger un lieu qui construise la cohérence entre les différents politiques publiques, Jeunesse, Culture, Famille, Économie numérique et les établissements qui ont des responsabilités et missions de service public tels le CSA, la CNIL, la Défenseure des enfants, le CNN… sans oublier la dimension européenne.
La triple responsabilité de l’école
Sophie JEHEL, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Paris 8, Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation (CEMTI)
L’accès des jeunes à la culture et à l’information se fait massivement par les médias électroniques. Or la fréquentation médiatique ne permet pas aux enfants et aux adolescents de construire spontanément une compréhension du fonctionnement des médias et peut renforcer les inégalités sociales. On peut sur cette base dessiner trois responsabilités principales pour l’éducation aux médias et à l’information à l’école.
1) Prendre en compte à l’école la culture numérique des enfants et des adolescents, même s’il s’agit pour l’essentiel d’une culture populaire et standardisée.
2) Construire une compréhension critique des médias et des usages médiatiques. La tâche pourrait impliquer toutes les disciplines scolaires tout en tenant compte de la nature commerciale des objectifs des industries du numérique.
3) Construire des repères dans les pratiques médiatiques en développant (pour une part) des pratiques pédagogiques numériques (notamment dans la recherche d’information) mais aussi en transmettant des normes juridiques et des informations quant aux risques médiatiques.
La prise de conscience de la responsabilité de l’école a d’ores et déjà donné lieu à des expérimentations pédagogiques ; elle émerge aussi ponctuellement dans les programmes. Mais il est temps de changer d’échelle aussi bien dans la formation des enseignants que dans celle des élèves. L’enseignement des bonnes pratiques ne peut se faire sans une réflexion d’ensemble sur les contenus médiatiques et leurs logiques de fonctionnement, et il nécessite, comme tout enseignement fondamental, un suivi et une constance.
L’idée d’un cursus en éducation aux médias et à l’information, couplé avec l’instruction morale et civique, pris en charge par des enseignants volontaires, issus de toutes les disciplines et ayant reçu une formation spécifique en éducation aux médias et à l’information, serait une piste à mettre en débat. Cela ne rend pas moins urgente la mise en cohérence des actions de l’école et celles des associations qui contribuent à l’encadrement des jeunes, et en particulier celles des associations d’éducation populaire.
Trois défis majeurs pour faire entrer l’École dans l’ère du numérique
Michel PEREZ, inspecteur général de l’Éducation nationale
Afin d’entrer véritablement et durablement dans l’ère du numérique, l’École aura à relever de nombreux défis. Parmi ceux-ci, nous relevons trois défis majeurs qui ont essentiellement trait aux évolutions culturelles et qui se traduisent par de nouveaux comportements relationnels, cognitifs et citoyens.
Dans la société numérique d’aujourd’hui, nous assistons à l’émergence du citoyen numérique, avec les nombreuses zones d’ombre et d’incertitude créées par cette émergence comme le montre le Rapport de l’Assemblée nationale du 22 juin 2011 sur les droits de l’individu dans la révolution numérique (Bloche et Verchère) et d’autre part nous constatons la difficulté de l’École à prendre en compte ce nouveau citoyen en formation qu’est le jeune du XXIe siècle dans sa globalité.
Une question fondamentale est posée par le constat de Michel Serres : « Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître. Qui se présente, aujourd’hui, à l’école, au collège, au lycée, à l’université ? » (Serres, 2012). Autrement dit l’école connait-elle réellement les jeunes qu’elle forme dans leur réalité d’aujourd’hui. Et si non, « l’école peut-elle continuer à former des élèves qu’elle ne connaît pas ? ». Et dans ce cas, « quel citoyen formera-t-on alors ? » L’école peut elle continuer à ne pas intégrer les compétences et les connaissances que les jeunes acquièrent et qu’ils ont acquises ailleurs dans la société numérique et entre pairs ? Car la Y génération existe bel et bien.
En effet, les changements induits par le numérique affectent non seulement la nature des équipements technologiques dont disposent les jeunes (nous ne les appellerons pas obligatoirement des « élèves »), mais aussi la manière dont ils les utilisent pour tous les actes de la vie quotidienne, la principale pratique étant l’échange entre pairs.
De même n’ont pas été pris en compte les nouveaux outils et les nouvelles pratiques d’accès à l’information, à la culture ou au savoir qui sont universellement répandus chez les jeunes. On le voit bien, ces changements de comportements et d’attitudes ne se sont pas encore traduits dans l’organisation de la vie scolaire, car le temps, l’espace, la composition des groupes de travail ainsi que les lieux de travail n’ont guère été modifiés. C’est le premier défi.
Par ailleurs, si les pratiques pédagogiques sont encore loin d’intégrer toutes les potentialités du numérique, elles intègrent difficilement le rapport des jeunes à l’autorité. Pour penser ce rapport moderne à l’autorité, nous nous appuierons sur les travaux de Daniel Marcelli (2009). C’est le deuxième défi.
Le troisième et principal défi ne sera pas seulement d’adapter l’école, son environnement, son rythme de vie, ses rituels ; il sera essentiellement d’adapter les pratiques des enseignants aux nouvelles modalités de comportement privilégiées aujourd’hui par les jeunes dans l’accès à l’information et aux médias, sources essentielles de la construction du savoir dans une démarche d’autonomie. La responsabilité de l’école, sans laquelle celle-ci n’a aucune chance d’entrer dans le numérique, sera de donner aux enseignants les moyens d’être capables de médiatiser l’accès à la connaissance dans ses nouvelles modalités issues du monde numérique. Serge Tisseron définit ainsi cette réalité : « L’introduction des technologies numériques à l’école, ce n’est pas seulement faire les mêmes choses autrement, c’est une manière de repenser tout l’enseignement » (Tisseron, 2012). C’est le troisième défi : celui de la médiatisation.
Ainsi, l’École est aujourd’hui confrontée à des jeunes (des élèves) dont elle connaît moins bien les compétences réelles tout en ayant pour mission de les former. Elle aura, pour remplir sa mission, à résoudre les problèmes de plus en plus complexes qui se posent dans une société de la connaissance. C’est pourquoi il est devenu capital de penser une refondation numérique de l’École qui repose sur une compréhension et sur une acceptation des évolutions comportementales et culturelles induites par les évolutions technologiques afin de les intégrer durablement pour réintégrer l’école à la société numérique.
La question centrale sera : « Comment refonder l’École dans l’ère du numérique pour former les citoyens du XXIe siècle ? »
- Serres Michel (2012). Petite poucette. Paris : Éditions Le Pommier.
- Marcelli Daniel (2009). Il est permis d’obéir. L’obéissance n’est pas la soumission. Paris : Albin Michel.
- Tisseron Serge (2012). « L’enseignant, un guide pour introduire le numérique à l’école ». [vidéo]. Ludovia, 1er février. En ligne : http://www.ludovia.com/recherche_labos/2012/1289/l-enseignant-un-guide-pour-introduire-le-numerique-a-l-ecole.html.
D’accord, mais c’est quoi la « culture numérique » ?
Xavier de la PORTE, journaliste, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture
Dans l’idée qu’il faut organiser des ponts entre école et culture numérique – et quel que soit le sens de circulation sur ces ponts –, un élément est souvent négligé : la définition même de la « culture numérique ». S’agit-il d’objets ? D’usages ? De pratiques ? De savoirs ? Ou alors, ce qui n’est pas exclusif, d’une forme de rapport au savoir ? D’une manière propre d’apprentissage, voire de structuration neurocognitive ?
Il ne s’agit évidemment pas de trancher, mais d’esquisser quelques pistes de définition, et surtout l’idée que la culture numérique est une méta-culture, une culture des cultures, une manière de traverser les cultures préexistantes, d’y avoir accès autrement, de les réorganiser, de les situer différemment les unes par rapport aux autres, etc. Et dans ce « méta », il y a des éléments de différentes natures : technique, historique, psychologique, artistique et politique.
De ce point de vue, la rencontre avec l’école est problématique, mais dans le sens le plus fertile du terme. Elle oblige l’école à se positionner – segmentation des disciplines, autonomie de l’élève, rapport à l’enseignant, etc. – sans qu’il soit certain pour autant que tout doive changer.
Références d’appui
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- Gautellier C. (2010). « Consommations médiatiques des jeunes, un double enjeu d’éducation et de régulation ». Site du CEMEA. En ligne : http://www.cemea.asso.fr/multimedia/enfants-medias/?p=802
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