PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Monsieur le Ministre,

Le projet éducatif de l’UNSA Éducation s’intitule Pour une société éducative. Il affirme sa volonté de construire un système d’Éducation plus juste et plus efficace pour changer les rapports aux savoirs et aux qualifications. Or, nous le constatons : notre système éducatif, dans son acception la plus large, ne remplit pas, comme il le devrait, son rôle de réducteurs des inégalités territoriales, sociales et culturelles (pire désormais il les accroît), par insuffisance de moyens mais surtout par insuffisance de volonté politique et du fait, jusqu’à présent, de l’absence d’un projet éducatif progressiste et cohérent installé sur la durée.
C’est pourquoi l’UNSA Éducation est fortement engagée dans l’action pour la transformation et la démocratisation du service public d’Éducation et l’accès de tous à la connaissance, aux compétences et aux pratiques artistiques, culturelles et sportives. Le service public d’Éducation a l’obligation d’offrir le cadre et les moyens permettant d’assurer la réussite de tous.
En inscrivant votre volonté de réforme du système scolaire sous l’égide d’une refondation, vous avez placé la barre haute. À la hauteur des enjeux et des ambitions qui doivent être ceux de la construction de l’avenir de notre pays. La méthode de concertation a été longue et parfois lourde. Après plusieurs années d’absence de dialogue, de refus d’échange, de violence faite à l’Éducation et à ses personnels, elle était particulièrement utile. Au-delà de cette libération de la parole, elle aura permis de faire un état des lieux assez complet des débats actuels sur les questions d’éducation, de dresser la liste des enjeux, de mettre en évidence les positions et les propositions de chacun.
Dans un calendrier et une communication un peu chaotiques, le temps de la consultation, voire parfois de la négociation, a succédé à celui de la concertation. Nous avons pu vous dire nos priorités, nos désaccords, nos revendications… même si tout cela s’est fait sur un texte non stabilisé que nous n’avions pas en notre possession.
Cette fois, le projet de loi est public et cette réunion extraordinaire du CSE nous permet de vous dire ce que nous en pensons.
Ma première remarque, en cohérence avec le début de mon propos, sera pour regretter que cette loi ne soit pas celle de la Refondation de l’Éducation dans toutes ses dimensions, qu’elle ne prenne pas en considération l’ensemble des temps, des démarches, des acteurs et des institutions de l’Éducation, qu’elle n’ait pas cette nécessaire dimension interministérielle, qu’elle ne soit qu’une loi scolaire, une loi très « Éducation nationale ».
Pour autant, nous savons qu’aucune refondation globale de l’Éducation ne pourrait être solide si près d’un jeune sur cinq continuait à se trouver, en tant qu’élève, en situation d’échec scolaire et, pour beaucoup, en souffrance scolaire. Cette loi est donc pour nous une étape, une étape indispensable, et une étape plutôt réussie, car elle a, nous l’avons écrit, l’ambition de la réussite de tous les élèves.
Plusieurs leviers doivent être actionnés pour transformer notre École, la rendre plus juste, en faire un lieu de réussite, d’épanouissement et d’émancipation pour tous. Deux leviers sont essentiels et se retrouvent en bonne place dans le projet de loi.
Le socle commun de connaissances et de compétences rénové, tout d’abord ; la formation des enseignants et des professionnels de l’Éducation ensuite.
L’acquisition par tous du socle commun de connaissances et de compétences constitue le contrat qui va à nouveau lier le peuple et la Nation, au travers de son École ; cet engagement à n’abandonner aucun élève en cours de route et à permettre à tous de se développer en tant qu’humains et citoyens. Bien que dénaturée et dévoyée, cette démarche s’est déjà invitée dans l’Institution ; elle a déjà fait bouger les lignes. Malgré certains conservatismes, les enseignants, la communauté éducative se sont emparés de cette nouvelle logique qui articule contenu et processus, connaissances et compétences, savoirs constitués et démarches instituantes.
Renouvelé et conforté, le socle commun offre cette possibilité d’orienter la scolarité obligatoire vers la réussite de tous et, au-delà, ouvre les portes vers des parcours de formation diversifiés, modularisés et adaptés. L’institutionnalisation de la liaison entre l’école primaire et le collège,
à travers le cycle CM/Sixième et le conseil « Écoles/collège », donne de la force à cette logique.
Toutefois, nous regrettons les éléments qui étaient contenus dans le projet d’expérimentation et qui auraient permis – même pour un petit nombre de volontaires – d’aller au-delà et de proposer des démarches innovantes et pertinentes dans un cadre légal. Notre système éducatif a en effet besoin de précurseurs, de têtes chercheuses qui lui ouvrent de nouvelles perspectives. Cela dit, le bloc de la scolarité obligatoire retrouve, avec ce nouveau socle, une cohérence dans cette continuité devenue plus que jamais indispensable. Pour nous, le Socle pour tous est le tremplin de tous vers le temps de la diversification des parcours.
Il est en revanche dommage que le lycée et l’articulation bac-3/bac+3 demeurent les parents pauvres de la loi. Ils devront devenir un prolongement logique et indispensable à l’acquisition
par tous du socle commun. Il conviendra donc que la Refondation passe aussi par là, durant les prochaines années de ce quinquennat, dans une cohérence de projet et d’action, portée en synergie par les deux ministères concernés.
Et puisque je parle du Lycée, et avant d’aborder la formation des enseignants et des professionnels de l’éducation, je vais dire un mot sur l’article « 16 bis » que nous avons reçu avant-hier. Il recoupe les informations portées à notre connaissance sur le contenu provisoire de l’avant-projet de loi « de décentralisation et de réforme de l’action publique ».
Ces dispositions ont connu, depuis nos premiers échanges, des évolutions et nous estimons, pour notre part, que le cheminement a été positif. Si la Région se voit reconnaître un rôle éminent en matière de politique régionale de formation professionnelle — rôle qu’elle assure largement déjà — la spécificité de la formation professionnelle et technologique initiale est rappelée. Il nous paraît sain que les modifications du Code de l’éducation proposées soient présentées, dans le cadre de la loi d’orientation sur l’Éducation, plutôt que par un autre support législatif.
Il n’est pas aberrant que la carte des formations professionnelles initiales fasse l’objet d’une convention entre l’État, avec une présence réaffirmée des autorités académiques, et la Région.
Pour autant, nous approuvons le fait que la structure pédagogique des établissements soit, in fine, arrêtée par les « autorités compétentes de l’État ». De même, nous approuvons que la convention intègre, le cas échéant, « des formations pour lesquelles des besoins ont été constatés par les autorités de l’État ». Cela procède de la nécessité de garantir la capacité de régulation que l’État doit conserver. Cela implique aussi un suivi et, s’agissant des recteurs, un cadrage national des conventions : oui à l’indispensable dialogue avec les Régions ; non à des conventions passoires qui autoriseraient toutes les dérives. Sous réserve d’inventaire (ce texte étant récent), l’article 16 bis nous paraît toutefois équilibré, mais nous serons attentifs, tant au plan national qu’à celui des académies, aux modalités concrètes de son application.
Après ce détour, je reviens à notre seconde priorité qui, outre le socle, nous semblait indispensable. Elle était de remettre sur pied une formation professionnelle des enseignants et des personnels d’éducation, saccagée depuis 5 ans.
La création des ESPÉ répond à ce besoin indispensable d’apprendre ce métier qui consiste à éduquer les autres, à leur apprendre, à leur apprendre à apprendre. Si les principes inscrits dans le projet de loi correspondent à nos demandes, il va de soi que c’est au regard du référentiel de métier d’enseignant ainsi qu’à ceux d’autres professionnels de l’Éducation, des maquettes de formation, et surtout du contenu des concours que nous pourrons nous prononcer sur la pertinence de cette formation réinstaurée.
Vous l’avez dit plusieurs fois et inscrit dès le début du rapport annexé, cette Refondation de l’École est essentiellement pédagogique. Il s’agit donc de former des enseignants et des professionnels de l’Éducation, certes capables de transmettre des contenus disciplinaires, mais aussi de faire acquérir des démarches, des méthodes, de favoriser l’esprit critique et le libre arbitre, de développer des aptitudes, des capacités, des compétences. C’est à cette formation que les ESPÉ doivent répondre, c’est à cette formation que les concours doivent préparer, c’est-à-dire à toutes les dimensions du métier. Pour les enseignants, on n’enseigne pas seulement une discipline « en soi » : on l’enseigne à des élèves ou à des étudiants d’un âge donné, dans un contexte et un environnement social et culturel donnés, au sein d’une institution dont on doit connaître les règles, les principes, les objectifs et les valeurs.
Là encore, une prise en compte de l’ensemble du champ de l’Éducation est indispensable. Les différents professionnels de l’Éducation doivent élaborer une culture commune, une habitude de travail en commun et des références partagées. Des temps communs de formation initiale et continue, des formateurs issus des différents corps professionnels du scolaire et du hors scolaire, un même lieu de formation, tout cela doit être le ferment de cette globalité éducative.
Ainsi les CEPJ, comme les animateurs, devront avoir toute leur place dans les ESPÉ.
Au-delà de ces deux grands axes forts qui nous conviennent, nous saluons aussi la volonté de faire entrer l’École dans l’ère du numérique, à la fois pour apprendre avec le numérique et pour apprendre le numérique. Cette priorité va dans le bon sens, même si elle manque encore de concrétisation. Elle devra aller plus loin dans les textes d’application. Il faudra également faire
confiance et s’appuyer sur ceux pour qui le numérique n’est pas une nouveauté et qui ont fait la preuve très concrète de son utilité pédagogique et de sa capacité à améliorer la réussite des élèves.
Il en est de même pour les parcours d’éducation artistique et culturelle que nous approuvons.
Ils doivent s’inscrire dans la durée et la pérennité, le partenariat entre les écoles et les collèges, les institutions culturelles, les associations culturelles et d’éducation populaire, les collectivités territoriales. Nous sommes très attentifs à la cohérence entre le projet de loi sur l’École et le plan d’éducation artistique et culturelle que pilote la ministre de la Culture, laquelle, pour le moment, nous exclut des concertations.
Nous regrettons qu’une même affirmation de complémentarité ne soit pas inscrite dans le projet de loi concernant le sport, pour redire l’importance de l’éducation physique et sportive dans la construction des rapports au corps, à l’espace, aux autres, à la règle…, pour réaffirmer la place privilégiée dans la formation des jeunes du sport scolaire et, en particulier, des activités de l’UNSS, pour ouvrir les partenariats avec les activités physiques et sportives pratiquées en dehors du temps et de l’espace scolaire, dans les clubs et associations sportives.
Nous souhaitons également qu’au-delà de l’éducation à la santé, ce soit la promotion de la santé qui devienne une priorité de notre système d’éducation et que des parcours de santé soient proposés à tous les élèves.
Vous le savez, Monsieur le Ministre, l’UNSA Éducation est et demeurera exigeante pour le changement. Nous approuvons globalement les orientations et le contenu du projet de loi et de son rapport annexé. Nous nous félicitons des moyens qui y sont consacrés, et tout particulièrement du nombre de création de postes qui permettront la formation initiale ainsi que la priorité donnée à l’école primaire.
Mais je le redis, cette loi est une étape, un point de départ pertinent mais qui doit être confirmé dans les textes qui suivront, qui la mettront en oeuvre, qui la prolongeront. Pour déboucher sur une Refondation globale de l’Éducation, il faudra articuler éducation scolaire ou universitaire et éducation non formelle, dans une complémentarité constituant une démarche de l’éducation tout au long de la vie.
Enfin, permettez-moi de conclure en rappelant qu’il n’y aura ni réforme, ni refondation sans l’implication des personnels. C’est le cas pour les enseignants du primaire qui ne peuvent plus longtemps rester dans l’incertitude et l’insécurité. Ils doivent voir leur temps de service s’améliorer avec l’évolution du temps de l’école et son articulation aux autres temps éducatifs, mais c’est aussi le cas pour les animateurs pour lesquels cette même évolution des rythmes va avoir un impact sur les conditions de travail. C’est le cas pour les personnels sociaux et de santé dont l’importance du rôle et des missions dans les établissements doivent être confortés.C’est le cas des corps d’inspection, largement absents du projet de loi, et qui pourtant seront des chevilles ouvrières essentielles à la mise en oeuvre de la Refondation. C’est le cas des enseignants des collèges qui devront être accompagnés dans leur appropriation du socle commun et de projet d’articulation avec l’école élémentaire. C’est le cas des administratifs qui ne se sentent pas toujours associés et qui ne veulent plus être, comme cela s’est produit par le passé, les « soutiers de la réforme » ou ceux qui assument des décisions pour lesquels ils n’ont pas été associés. C’est le cas des chefs d’établissement et de leurs adjoints gestionnaires qui doivent être confortés, comme agents de l’État, dans leur mission de pilotage des EPLE, ainsi que dans leurs relations avec l’État d’un côté et les collectivités territoriales de l’autre. C’est le cas des réseaux d’aide qui doivent retrouver leur place et leur mission indispensable dans l’accompagnement des élèves en difficulté, tant pour les élèves que pour les enseignants. C’est le cas des enseignants des lycées qui doivent bénéficier des conditions nécessaires à la mise en oeuvre de la réforme actuelle du lycée, afin de pouvoir passer ensuite à l’étape de l’articulation du bac-3/bac+3. C’est le cas des personnels d’orientation qui doivent demeurer des personnels d’État sur lesquels il faut davantage s’appuyer pour faire de l’orientation une démarche positive au service de la réussite…
Au nom de l’UNSA Éducation, de l’ensemble des personnels que nous représentons, nous voulons vous dire notre volonté de transformer en profondeur notre système d’éducation, mais vous confirmer aussi que cela ne se fera pas sans nous.
La refondation, c’est une dynamique. Plus que la loi, nous jugeons aujourd’hui l’esprit de la loi. Nous savons qu’on ne change pas les mentalités et les habitudes, ni par un claquement de doigt, ni par une mesure administrative. Il nous faut, au contraire, inscrire la refondation dans le temps et il nous faut des étapes.
Malgré les insuffisances que nous avons évoquées et malgré des incertitudes ou inquiétudes qui tardent à être levées, nous considérons que le projet de loi que vous nous proposez peut être, et même doit être, la première étape pour donner le souffle qui manque à l’École de la République et lui permettre de tenir enfin ses promesses.

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