Alors que se prépare une réforme territoriale d’envergure qui va confier aux régions l’entretien de tous les établissements secondaires, une autre révolution entre dans les académies. Au lieu des traditionnels contrats d’objectifs, les collèges et les lycées sont invités par la loi d’orientation à signer des contrats tripartites avec l’Etat, représenté par le rectorat, et la collectivité territoriale, à terme la région. Au cœur de ces conventions la question du numérique et surtout de la maintenance des matériels, une difficulté chronique du système éducatif. Où en est-on de l’application de la loi ? Au salon Educatice, deux conférences abordaient ce sujet le 26 novembre. Preuve peut-être que le contrat entre Etat et régions reste à construire…
La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’Ecole invite les établissements secondaires à signer des conventions tripartites Etat – collectivité territoriale et établissement. Ce faisant, la loi reconnait aux collectivités territoriales un rôle directeur dans les établissements alors que jusque là elles étaient contenues dans un rôle de financeur. Cette évolution témoigne de l’importance croissante des collectivités territoriales dans le financement de l’éducation, où elles pèsent déjà un quart des dépenses, et la vie quotidienne des établissements.
Un feu vert des représentants de l’Etat ?
Pour Claudio Cimelli (Direction du numérique éducatif, ministère de l’éducation nationale), les conventions sont un engagement sincère de l’Etat. Il se marque par l’existence d’un groupe de travail mixte au ministère et la création d’un Conseil national de l’éducation numérique où siègent les associations des collectivités territoriales La situation particulière des collectivités en ce moment de remodelage territorial est la seule explication aux retards à leur mise en œuvre. Pascal Faure, DAN de l’académie de Nancy-Metz, voit dans les conventions des occasions de signer de vrais contrats sur le numérique en allant plus loin que la maintenance en abordant les questions de formation, de ressources. Pour Jean-Pierre Troeira, ancien DSI du 93, c’est la complexité des questions soulevées qui rend les conventions difficiles. Elles doivent refléter la volonté de réfléchir en commun sur le développement numérique. Dans l’autre table ronde, Pascale Montrol Amouroux, DAN de l’académie d’Orléans-Tours, va au-devant des attentes des régions en développant la formation aux usages numériques. L’académie a augmenté ses moyens pour des formations en présentiel et à distance aussi bien sur des usages disciplinaires que transversaux. Tous les chefs d’établissement de la région ont suivi une formation à la gouvernance du numérique en établissement.
Et des régions ?
Car la question des suages est posée par les collectivités locales. Vice président de l’Association des régions de France en charge de l’éducation, François Bonneau voit dans le numérique « une révolution des pratiques pédagogiques et des rapports au savoir ». Mais il souligne aussi les retards dans les usages où la France est 26ème sur 28 en Europe. Or, pour lui, « les investissements régionaux dans le numérique sont intenables s’il n’y a pas d’évolution des usages ». La convention doit donc être un outil pour que la révolution numérique se fasse « en cohérence » et dans la classe. La convention doit être « un lieu de convergence politique ».
La révélatrice question de la maintenance
Depuis des années, l’Etat et les collectivités territoriales se renvoient la question de la maintenance des matériels numériques achetés par les collectivités territoriales. C’est une question d’ampleur car les parcs de matériel sont impressionnants. S’après le ministère de l’éducation nationale on compte un ordinateur pour 2 élèves en lycée professionnel, pour 3 en lycée général, pour 5 en collège et pour 9 élèves dans les écoles. « Depuis la loi d’orientation, maintenant c’est clair que c’est pour nous », dit Bernard Balluix, directeur de l’éducation de la région Languedoc Roussillon. Il rappelle que sa région a anticipé la convention en créant un conseil régional du numérique avec les représentants de l’Etat. La région a distribué des ordinateurs portables aux lycéens et aux enseignants et gère de façon centralisée les serveurs des établissements. Pour Jean-Pierre Troeira disposer du très haut débit est déterminant dans la prise en charge de la maintenance celle-ci permettant une maintenance à distance. C’est aussi la solution préconisée en région Centre rappelle F Bonneau.
Tout irait pour le mieux si Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, le principal syndicat de personnels de direction, ne venait rapporter ce qui se passe dans la plupart des établissements. Pour lui, la maintenance des réseaux d’établissement « relève du bricolage ». Elle est assurée en détournant des moyens d’éducation vers quelques enseignants qui s’en chargent. Il cherche en vain « la priorité au numérique » proclamée par l’Etat. Sans ces enseignants rien ne marcherait. Ce bricolage freine les usages car le professeur a besoin de l’assurance que le matériel marche pour l’utiliser en classe. Il faut être capable d’assurer un dépannage immédiat ce qui n’est pas le cas actuellement. L’autre question rencontrée par les enseignants, celle des ressources, n’est pas plus assurée par l’Etat. Il n’est pas plus initiateur d’usages. Les seuls usages qui se développent (les notes, les absences, le cahier de textes) viennent du terrain.
Pour François Bonneau, la maintenance des matériels ne peut pas techniquement trouver une solution immédiate. Il invite l’Etat à ne pas retirer d’un coup les moyens mis dans les établissements et à les reconvertir en accompagnement aux usages après la prise en charge de la maintenance par les régions.
Des conventions qui peinent à entrer en fonction
Du coup on comprend que les conventions tripartites ne vont rien résoudre immédiatement. Ca va être long et la prise en compte des collèges par les régions va encore prolonger les choses puisqu’il faudra inventorier les matériels et trouver les solutions. Un représentant du Conseil général du 94 ne croit pas d’ailleurs aux conventions. Pour lui les collèges ont des vœux trop différents pour arriver à une convention type. Le pouvoir politique change trop souvent pour qu’on arrive à signer les dizaines de conventions.
En novembre 2014, aucune convention n’est encore signée mais une vingtaine d’académies ont entamé le processus selon C Cimelli. Parfois elles sont au cœur de tensions syndicales. Ainsi en région PACA, le Snes appelle à voter contre la convention en collège car les Dasen ont refusé toute négociation sur leur contenu. Situation inverse pour les lycées : « Le Conseil Régional a été attentif à ce que les demandes du SNES-FSU d’une concertation associant étroitement les représentants des personnels soient satisfaites », écrit le Snes. « Une convention-cadre a été signée par le Conseil Régional et les deux rectorats d’Aix-Marseille et de Nice, à l’issue de discussion au cours desquelles la plupart de nos amendements a été intégrée. Cette convention affirme des principes que nous défendons : élévations des qualifications, défense du service public, … Pour autant, la convention-cadre reste très générale et il faut apprécier la déclinaison du texte établissement par établissement avant d’arrêter une position en vue du CA ». Cette méfiance, Philippe Tournier la confirme. « L’Etat craint l’entrée des collectivités territoriales dans les établissements. Il craint aussi la dimension horizontale du numérique ». Et si le numérique , outre d’être un perturbateur dans le fonctionnement de l’Ecole, était aussi un révélateur des tensions autour de la décentralisation « impossible » en France ? Un « Mariage à trois » difficile à faire entrer dans les mœurs d’un Etat centralisé.
François Jarraud
Sur les conventions tripartites
Le Snes et les conventions en région PACA
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