Jules Ferry, dans sa lettre aux instituteurs (17 novembre 1882), écrivait : « il ne suffit pas que vos élèves aient compris et retenu vos leçons, il faut que leur caractère s’en ressente ; ce n’est pas dans l’école, c’est surtout hors de l’école qu’on pourra juger ce qu’a valu votre enseignement. ». (In Leconte, ibid., p. 147).
Cette réforme dite des rythmes scolaires doit, comme le faisait Ferry, s’intéresser à l’enfant dans sa globalité et non au seul élève scolarisé. C’est pour quoi nous nous devons d’aménager les temps de vie de l’enfant et non ses seuls emplois du temps scolaire, ce qui nécessite de considérer que l’école ne doit pas rester repliée sur elle-même.
Certes il est impératif de préserver l’Éducation nationale, c’est donc au niveau du cadrage à respecter que cette préservation sera assurée, sans toutefois oublier que le national de l’éducation tient au programme unique qui est le même pour tous les enfants en âge de scolarisation obligatoire.
Mais on ne peut ignorer l’existence de différences importantes dans les territoires, en particulier au niveau des besoins de la population, mais également au niveau des ressources disponibles sans oublier les différences géographiques. Il faut donc que ces territoires puissent avoir l’opportunité de proposer un aménagement le mieux à même de répondre à ces besoins différents. Ce sont des décisions qui devront être prises en commun entre l’Éducation nationale et les collectivités locales, ainsi qu’avec les représentants de parents d’élèves. Dans ce cadre il ne faudra pas oublier que tout aménagement des temps doit s’accompagner d’aménagement des espaces.
Un cadrage national qui imposerait une semaine de 24 heures de classe pour tous les élèves réparties sur au moins cinq jours éducatifs allant du lundi au samedi, jours éducatifs comprenant tout au long de la semaine des temps éducatifs scolaires et des temps éducatifs non scolaires laisserait cette souplesse indispensable aux collectivités pour aménager au mieux de leurs concitoyens les temps de vie de tous les enfants et adolescents mais aussi celui des familles.
Cadrer l’organisation autour des jours permet de casser l’idée de demi-journées équivalentes entre elles. Mais cela permet aussi, et c’est particulièrement important dans le cadre de la refondation de l’école, de pointer l’importance d’une continuité éducative dans le temps de l’enfant, d’éviter de saucissonner ses temps journaliers en ne leur donnant jamais la cohérence nécessaire pour le développement harmonieux de l’enfant.
C’est dire encore qu’il ne s’agit pas uniquement de réfléchir à un allégement de la journée qui ne se concrétiserait que par une diminution d’une demi-heure de temps de classe chaque jour (alors même qu’il est facile de démontrer que 6 heures bien gérées peuvent être moins fatigantes pour l’élève que 5 heures mal organisées !), c’est bien aux contenus des temps, quels qu’ils soient, auxquels il faut s’intéresser afin de les organiser de manière à ce que les enfants puissent en bénéficier en permanence pour acquérir toutes les connaissances et compétences attendues dans le cadre du socle commun.
Pour ce faire, il est évident que reprendre la formation des enseignants alors qu’elle a été supprimée voici 4 ans est une urgence, qu’elle soit initiale ou continue.
Dans cette formation doit être intégrée, outre une formation didactique, une formation sur les pratiques à mettre en place pour développer la motivation intrinsèque des élèves à partir de la théorie de l’autodétermination, source de bien-être psychologique, tant pour les enfants que pour les enseignants (Laguardia et Ryan, 2000) ; pour donner du sens aux savoirs à transmettre ; pour ordonnancer efficacement les séquences d’apprentissage sur tous les contenus du programme, pour les rendre le moins coûteux cognitivement (Leconte, 2005) tant au cours d’une journée qu’au cours de la semaine. Leur apprendre encore à repérer les comportements signifiants par rapport à la fatigue et à la baisse de vigilance (Leconte, 2003) et à y apporter des réponses appropriées comme lâcher une bonne plaisanterie, car le rire détend les élèves et contribue à les ramener au sujet de l’enseignement (le sens de l’humour devrait faire partie des critères de recrutement des futurs enseignants).
Leconte, (2011), fait d’autres propositions concernant cette formation des enseignants ainsi que les pratiques à leur enseigner, car ces pratiques permettent de minimiser les fluctuations de l’attention ainsi que la fatigue inhérente à l’ennui ou l’angoisse de ne pas savoir faire.
L’adaptation des méthodes d’enseignement et des objectifs aux besoins de l’élève, grâce à une réorganisation complète des temps de vie de l’enfant dont font partie les temps scolaires est fondamentale si on veut réellement voir des changements se produire dans le rapport de chaque enfant à l’école. Ce n’est certes pas qu’un changement d’horaires, pas même un allégement dans le nombre d’heures, qui permettra d’atteindre cet objectif.
L’intérêt vrai pour l’enfant doit passer conjointement par une attention à son développement global, à son éducation non uniquement scolaire, à sa place dans la famille et dans la société. Si vraiment on veut que l’école réponde aux besoins de chaque enfant tout en le préparant à la vie qui s’ouvre devant lui, deux séries de facteurs doivent être pris en considération : ceux liés aux activités d’enseignement comme les finalités, les objectifs, les méthodes, les relations éducatives, les évaluations, et ceux liés à l’élève à savoir son âge, son niveau de développement, ses conditions de vie en particulier.
C’est bien dire que seule une modification de l’emploi du temps scolaire n’y suffira pas. C’est une réorganisation complète des temps de vie de cet enfant qu’il est nécessaire de réaliser, en introduisant la réorganisation des temps scolaires, (pas des heures mais des contenus) au sein d’un projet éducatif qui prendra en compte les temps non scolaires de ces mêmes enfants.
On ne peut nier que l’école est actuellement en grande souffrance, les enseignants également, il est impératif de leur redonner des raisons de se remotiver pour leur métier, c’est le pari qui doit être fait avec des décisions politiques à prendre qui permettront que se construisent des partenariats entre les acteurs de la communauté éducative, pour un mieux-être des enfants mais pas uniquement.
C’est pourquoi il est nécessaire d’organiser la journée en Jour éducatif permettant d’organiser très différemment les matinées d’apprentissage ainsi que les après-midis par rapport à l’existant.
En 1969, passage à la semaine de 27 heures, une circulaire du 7 août 1969 précise que les horaires de maths (5h) et de français (10h) seront groupés de préférence pendant les matinées. Dans la circulaire d’application du 2 septembre 1969, il est dit : « l’arrêté définit de grandes masses temporelles pour l’enseignement des disciplines. Il insiste également sur l’importance des disciplines fondamentales (français et calcul) qu’il conseille d’enseigner le matin, de préférence. Il tend à placer l’après-midi les disciplines d’éveil, de même que les activités physiques et sportives. ». Voilà pourquoi en France, dans les écoles primaires, on fait tous les matins des maths et du français, et on renvoie les autres disciplines, considérées moins nobles, aux après midi connus pour être de moins bonne qualité du point de vue de la concentration et des capacités attentionnelles soutenues. Depuis 2008 et le passage à 4 jours, avec deux heures de moins de classe pour réaliser le même programme, j’ai pu constater dans de nombreuses écoles, que les enseignants avaient dû abandonner les disciplines telles que l’EPS, les arts plastique, la musique, par manque de temps. Il faut donc revenir à la semaine de 4 jours et demi (au moins) – et non pas à 9 demi-journées – car il faut aussi revoir l’organisation des temps scolaires au cours de la journée afin de mieux les rentabiliser.
On a souvent entendu que la journée devait tenir compte de la courbe dite classique par François Testu, concernant les fluctuations de l’attention. Mais on a souvent oublié d’ajouter que cette courbe porte sur des mesures très particulières, à savoir un éveil de l’attention, pas même une attention soutenue, ce qui est quand même le plus souvent requis à l’école pour mener à bien des apprentissages complexes. Testu lui-même a montré que la courbe de ces fluctuations attentionnelles varie en fonction de l’âge de l’enfant, qu’elle n’est pas le fait des activités intellectuelles dépendant par ailleurs des compétences de l’enfant, du niveau de difficultés de la tâche, qu’elle dépend également d’un nombre important de facteurs comme la motivation, le milieu de vie de l’enfant (ce qui a encore été démontré récemment par Ponce et Alcorta, 2012). Nous-même avons publié à plusieurs reprises des travaux montrant que l’analyse des rythmes attentionnels doit tenir compte, entre autres, de l’âge, du type de tâche (tant contenu que niveau de complexité), des modalités sensorielles activées (auditive ou visuelle), du climat de la classe, des capacités de remobilisation par la motivation entre autres. Dans un article de 1998 que j’avais intitulé « appel pour une chronopsychologie anti-gourou », je rappelais déjà les illusions créées par le fait de ne tenir compte que de la place dans la journée des heures de cours, sans tenir compte des espaces, des contenus d’activités, des pratiques pédagogiques, des temps de transport, des modes éducatifs familiaux, des rythmes alimentaires et du temps de restauration, des loisirs…
Je tiens ici à signaler que si on s’en tient à certains discours consistant à laisser croire que l’attention des élèves n’est vraiment efficace qu’entre 9h30 et 11h30 puis entre 15h30 et 17h, ce sont alors plus de 246 jours de classe qu’il faudrait prévoir dans l’année pour effectuer les 864 heures obligatoires ! Les enseignants sont prêts ?
C’est dire qu’il est plus important de considérer que les pratiques d’enseignement et l’organisation des séquences pédagogiques vont jouer un rôle important dans le maintien attentionnel de l’enfant au cours de la journée, sachant par ailleurs que l’alternance efficace de séquences pédagogiques (entre les séquences coûteuses cognitivement et les autres) va avoir un effet très positif sur la mobilisation des enfants pour les apprentissages.
Ainsi serait-il intéressant de proposer un allongement des matinées (4 heures), qui permet beaucoup mieux ce type d’alternances, y compris en y intégrant des activités d’EPS ou d’art plastique ou de pratiques scientifiques, plutôt que de ne consacrer les matinées qu’aux maths et au français. Cela impose également une réflexion sur l’organisation des pauses (récréations) qui ne doivent surtout pas être considérées comme la cocotte minute dont on va retirer la soupape : on doit préparer les enfants à aller en récréation, en leur proposant quelques minutes de relaxation, afin que ces moments de détente ne deviennent pas des champs de bataille. Cela suppose un aménagement spatial de la cour de récréation (voir les travaux de Fortin), si on allonge la matinée, deux pauses seront alors bienvenues, ce qui permettra trois périodes d’activités alternées.
C’est ce que nous avons mis en place dans le groupe scolaire Duruy De Comines en 1996 et qui, depuis, montre les effets positifs induits. De plus l’organisation telle que réalisée dans ce groupe scolaire permet actuellement de libérer deux après-midi que les enseignants peuvent consacrer à toutes leurs activités « invisibles » de façon beaucoup plus efficace et plus satisfaisante pour eux que quand ils doivent réaliser ces activités uniquement dans des temps contraints.
C’est un des facteurs qui a permis de faire retrouver une qualité de vie professionnelle aux enseignants, qui leur fait même dire qu’ils ont retrouvé les fondamentaux de leur métier.
Notons encore que contrairement à une habitude inscrite un peu partout il serait préférable le matin, dès l’arrivée des enfants à l’école, de les faire entrer directement dans leur classe plutôt que de les laisser s’énerver dès le début de la journée dans la cour et par tous les temps : cela leur donne la possibilité de rencontrer l’enseignant individuellement (y compris pour lui dire qu’il n’a pas bien compris une leçon), de dire bonjour calmement aux copains déjà arrivés, d’installer tranquillement ses affaires, et évite la perte de temps classique du rangement par deux avant de monter dans les classes, le plus souvent dans un grand brouhaha dans les escaliers.
Un autre point important pour l’organisation de la semaine concerne le choix de la demi-journée supplémentaire à ajouter aux actuels 4 jours.
Certes les sondages trompeurs laissent à penser que tout le monde préfère l’école le mercredi matin. Pourtant plusieurs points doivent être pris en considération si l’on considère vraiment qu’on cherche la meilleure organisation pour tout le monde. Nombreux sont les travailleurs qui travaillent, au moins le samedi matin si ce n’est le samedi toute la journée. Les enseignants reconnaissent volontiers, quand ils s’expriment en tant qu’enseignant et non en fonction d’un souhait d’ordre personnel, que le samedi matin est un moment particulièrement agréable du point de vue du climat scolaire, mais aussi de la disponibilité des enfants pour les apprentissages, y compris ceux qui viennent boucler le programme de la semaine – j’en ai eu confirmation récemment de la part d’un représentant de la FSU -. Les parents qui travaillent toute la semaine reconnaissent volontiers que le contact avec l’école est largement facilité quand il y a classe le samedi matin, ainsi que le contact entre parents. Les parents séparés, même s’ils réclament d’avoir un week-end complet dès le vendredi soir, admettent volontiers que cela les coupe de l’école.
Delvolvé et Jeunet ont étudié en 1999, les effets de la durée du week-end sur l’état cognitif de l’élève en classe au cours du lundi. Leurs résultats mettent en évidence que le taux global de rappel ainsi que la profondeur du stockage des informations sont meilleurs lorsque les élèves ne se sont interrompus qu’un jour et demi.
Sur une année de 36 semaines nous avons 36 lundi (sans compter que le problème est le même quand les enfants reviennent en classe après deux jours d’interruption en cours de semaine, dus à des fêtes nationales et/ou religieuses multiples et variées), c’est dire encore que depuis 2008, pour une grande majorité d’élèves, plus de 25% de leur temps d’apprentissage est beaucoup moins efficace.
J’ai participé à une recherche pour le Ministère de la Recherche et de la Technologie en 2004, en partenariat avec un laboratoire de l’université Louis Pasteur à Strasbourg, le CNRS et des enseignants du SNuipp-FSU, sur « l’optimisation du temps scolaire ». Nous avons comparé les résultats d’enfants de CE2 et CM2 inscrits dans des milieux socio-géographiques favorisés et défavorisés et fonctionnant sur des organisations temporelles différentes : école sur 4 jours, école sur 4 jours et demi avec samedi matin de classe, écoles en CEL avec mercredi ou samedi matins, école en 6 jours (école Duruy de Lille)[1]. Les résultats les plus intéressants sont que nous avons montré qu’en semaine de 6 jours et au niveau des différents CEL implantés en milieux défavorisés les enfants regardent significativement moins la télévision, se couchent plus tôt, dorment mieux, sont plus en forme au lever, prennent plus volontiers un petit déjeuner, comparativement à leurs pairs scolarisés dans une école traditionnelle. Subjectivement ces enfants se déclarent en forme et ont, de plus, la sensation de bien réussir les épreuves d’efficience, signe de bonne estime de soi. En revanche nos résultats sont très en défaveur de la semaine de 4 jours, milieu favorisé comme défavorisé. Ce sont dans les écoles avec classe le samedi matin que la régularité du rythme veille-sommeil est la mieux préservée.
C’est pourquoi la réflexion sur l’organisation de la semaine ne doit pas fermer la porte à divers possibles, en particulier semaine avec samedi matin ou même, pourquoi pas, semaine sur 6 jours comme Duruy De Comines l’a connu de 1996 à 2008. (Ils n’ont jamais connu la semaine de 4 jours).
Et la maternelle ?
Dans un tel cadre, l’école maternelle peut parfaitement se retrouver. Par exemple des matinées de 4 heures permettent de libérer bien du temps sur les après-midi et d’ainsi laisser libres tous les enfants qui le souhaitent, de faire la sieste, sans perturber les temps d’apprentissage. C’est d’autant plus important que toutes les études ont montré que l’après-midi, les enfants de petite et moyenne sections, pour le moins, ne sont jamais au même niveau d’efficacité attentionnelle qu’ils ne le sont le matin.
Allonger les matinées permet sur cinq jours de réserver beaucoup plus de temps aux apprentissages à réaliser sans avoir à « presser » les enfants.
L’organisation de la restauration est pour ces enfants, cruciale, car il n’est malheureusement pas rare d’entendre certains petits dire qu’ils n’aiment pas l’école uniquement à cause de la cantine. De même l’organisation des pauses dans la journée est fort importante. Et assurer un personnel formé à la petite enfance pour encadrer tous les temps hors de la classe est fondamental.
Le retour à l’école des enfants de moins de 3 ans doit inciter à la réflexion sur l’extension des classes passerelle, comme celles qui se sont construites sur la base d’un partenariat entre l’Éducation nationale et les crèches, ce qui revient à la réflexion à mener sur un service public de la petite enfance. Ces classes doivent être conçues pour respecter le mieux possible le rythme de développement des enfants, tous les enfants de deux ans ne sont pas identiques entre eux, ne serait-ce que du point de vue de leur maturation affective. Il faut en tenir compte si on veut que la scolarisation de ces enfants soit d’emblée réussie. Ce qui impose plus encore une réflexion sur la formation des professionnels qui vont encadrer ces classes, qu’ils soient éducateurs de jeunes enfants, assistantes maternelles ou enseignants. Des modules communs de formation là plus encore, doivent être pensés en formation initiale comme en formation continue.
Il est important de pouvoir redévelopper une scolarisation dès deux ans pour toute une catégorie d’enfants, mais il faut entendre que l’un des enjeux éducatifs pour ce groupe d’âges est que tous les acteurs constituant leurs multiples environnements de vie parviennent à communiquer, à partager des informations utiles, à s’unir pour créer les conditions de co-éducation – de coproduction éducative comme le dit Yves Goepfert – optimales pour un bon développement, physique et psychologique, de chaque enfant. Faire que les familles soient partenaires du projet de classe passerelle permet de créer le lien indispensable.
Réaménager les temps de vie des enfants dans le cadre d’un projet éducatif comme celui qui a été construit à Duruy De Comines en 1996, sur la base d’une concertation partenariale permettant des échanges entre les enseignants, les parents et les associations partenaires de l’école, en tenant compte de toutes les ressources déjà mises en œuvre dans le projet éducatif local lillois actuel, permettra à la fois un mieux vivre l’école pour chaque enfant, une amélioration sensible de la qualité de vie professionnelle des enseignants et une valorisation des activités éducatives non scolaires proposées par ces associations ceci grâce au fait qu’on leur accorde du temps (sur après midi libérés) plutôt que de les émietter un peu chaque jour. C’est aussi sans doute ce qui confortera un bien vivre ensemble dans chacun des quartiers de la ville.
Pour réussir ce projet il est nécessaire de se donner le temps de sa construction
[1]
Pour ces écoles, les projets ont été construits en coproduction éducative avec les équipes d’enseignants.