"Les aliénistes rouennais semblaient avoir cerné les ravages de la première industrialisation. Ils constataient aussi la perte irréversible du modèle familiale ancestral et le recours toujours plus grand au salaire d’appoint des femmes. Ils montraient aussi les risques de l’arrivée en ville en s’interrogeant sur les métiers de l’industrie, la question des « sans
emploi » et des incapacités au travail.
Dès cette époque ils percevaient le veuvage et le célibat comme des facteurs à risque pour les femmes en Seine-Inférieure surtout dans les industries textile. Ces fléaux pouvaient entrainer l’ « incompétence » de ces salariées. De plus au milieu du siècle le déclassement social concernait surtout les ouvrières avec un «passage subit d’une vie active à une vie inactive et vice-versa ». La quantité de ces récits rapportés par les aliénistes rouennais ne représentait qu’une très faible partie de ces circonstances locales.
La faiblesse de l’échantillon étudié dans la rubrique « Insécurité professionnelle absolue » pouvait sembler contradictoire avec les catégories professionnelles rencontrées. Pourtant il montrait toute l’importance de l’insécurité professionnelle et sociale des ouvrières en Seine- Inférieure. Il expliquait aussi la progression des « aliénations » et « maladies mentales » donc des « incapacités » et « incompétences » au travail. Ainsi de la Restauration au début du Second Empire l’assistance aux aliénés s’était complètement métamorphosée. Au milieu du XIXe siècle la dangerosité seule ne justifiait plus seulement l’isolement autrefois unique recours préconisé par Esquirol (1772-1840) accompagné du traitement moral de Pinel (1745- 1826).
Désormais elle était reliée à celle des formes de travail. Pour les aliénistes rouennais il était nécessaire d’instaurer une sécurité professionnelle à l’intérieur des asiles pour aliénés d’où la création d’une colonie agricole pour hommes aliénés ouvert à la campagne en 1853-1854 aux Quatre-Mares près de Rouen.
En dehors de la cité originelle et de ses faubourgs populaires et industriels, la colonie agricole pour hommes aliénés assurerait davantage de « sécurité sociale » pour les ouvriers et les nouveaux salariés « aliénés » : elle serait une nouvelle « entreprise pour sauvegarder l’hygiène publique et réinstaurer la santé sociale ».
Elle intéressait aussi les élites traditionnelles et les bourgeois de Rouen car pour ces derniers « aliénations », « maladies mentales » et « incompétences » au travail représentaient un véritable péril social pour la bonne santé économique régionale."