Une contribution au débat éducatif… Pour l’horizon 2007
S’appuyant sur les premiers travaux d’un groupe de réflexion interne , le titre interrogatif de cette journée organisée en Sorbonne le 11 septembre dernier par un courant du Parti Socialiste A Gauche, En Europe, traduisait la difficulté, mais aussi la volonté de trouver des angles d’attaque pertinents sur des problèmes, pour la plupart déjà identifiés, mais en évolution permanente – et sur lesquels demain il faudra agir à nouveau…
Constatant que « la société française s’adapte aux évolutions du contexte technologique, industriel et commercial en maintenant des inégalités relativement modérées (au regard de ce qu’elles ont été), mais de plus en plus irréversibles, des inégalités de statut et de destin », le document princeps considère que ce n’est pas là une fatalité et qu’ il existe bien d’autres façons de s’adapter, comme en témoigne la diversité des expériences en Europe et Outre Atlantique Car il faut relever que « la France est le pays d’Europe où les inégalités de statut dans l’emploi entre jeunes et plus âgés ou entre diplômés et non diplômés sont les plus élevés ; on sait aussi par exemple , rappellera M Gurgand chargé de recherche au Cnrs, à partir de programmes de recherche menés aux Etats – Unis, à quel point est « rentable », sur le long terme, l’investissement du côté de « l’éveil pédiatrique » …
C’est donc, en impulsant dans la Nation « une vitalité démocratique » qui doit répondre au « décalage croissant entre une demande de repères nouveaux et une offre politique, au-delà de récents succès électoraux, de plus en plus inadaptée », qu’on pourra notamment s’attaquer à un des grands chantiers de demain : la lutte contre les inégalités – dont l’école est -malgré elle ?- une matrice…
Une école pour laquelle , « si elle est encore au cœur de nos préoccupations, le lyrisme n’est plus de mise » puisque les discours optimistes d’autrefois « s’effacent devant la réalité d’un malaise que tout le monde ressent »…
L’analyse proposée sera d’abord posée historiquement, approche sur laquelle reviendra C Lelièvre lors de la première table ronde : il faut en effet rappeler qu’à partir de la structuration initiale du système éducatif à l’époque de J Ferry épousant les clivages de la société de son temps – il a fallu pour le peuple, « au total quatre-vingts ans, pour faire sauter le verrou inégalitaire qui barrait la route vers les collèges et les lycées » …
C’est donc bien dans une perspective politique que doit être pointé le constat – comme les solutions à inventer – que « l’école ne parvient plus à endiguer la montée des inégalités » car depuis le milieu des années 1990, la démocratisation s’est enrayée : les inégalités se reconstituent alors que simultanément la « promotion sociale est en panne… »
Bref,comme l’affirme le texte qui emploie aussi l’expression de concert de frustations , il ne faut donc pas s’étonner qu’Ã l’arrivée on ait gâché des talents, engendré de l’insatisfaction sociale et de l’inefficacité économique.
L’ouverture des débats à d’autres pays d’Europe représentera une originalité de cette journée puisqu’entre le temps des mises au point – « l’école face aux nouvelles inégalités » – et celui des « pistes pour une égalité réelle à l’école », une table ronde proposait des « réflexions européennes »…
L’ECOLE FACE AUX NOUVELLES INEGALITES : ELEMENTS POUR UN DIAGNOSTIC
C’est donc sur ces constations peu optimistes que commenceront les débats de la première session :
S’impose d’abord selon M Duru-Bellat une réflexion sur les programmes qui sont, par eux-mêmes source d’inégalités : s’il faut en effet « faire état de travaux récents où des enseignants expriment l’idée que les programmes sont trop lourds », il s’agira aussi d’avancer l’idée que le contenu du travail scolaire ne devrait pas être fixé au départ par des didacticiens – les spécialistes n’ intervenant qu’ après
Présent également pour participer à l’état des lieux, l’ancien secrétaire d’Etat JL Mélanchon, prononcera un vibrant plaidoyer en faveur de l’enseignement professionnel : dénonçant au passage la récente suppression de toutes les classes à PAC dans cette filière,il réclamera « une qualifiquation nécessaire à la sortie de l’école pour les enfants du peuple » « car tout devient métier et tous les métiers impliquent une qualification« ,notant in fine que » dans l’expression 80% d’une classe d’âge au niveau bac et l’ensemble d’une classe d’âge qualifiée, on oublie trop souvent la deuxième partie de la phrase…
Les deux syndicalistes qui interviendront, G Aschieri pour la Fsu et P Gonthier pour l’Unsa-Education, insistent, quant à eux, sur « la nécessité de redonner des objectifs ambitieux à l’école » en affirmant que « la culture commune des enseignants doit évoluer en fonction de la réalité des jeunes ».Et de leur point de vue, quand il s’agira de penser »autonomie »,ce doit être plutôt celle des équipes éducatives que celle des établissements scolaires…
A Van Zanten,enfin, sollicitée pour s’exprimer sur les Zep pointant l’intérêt initial de cette démarche rappellera « l’idée juste de concentrer les moyens », au demeurant « contraire à l’extension actuelle du dispositif » …Elle soulignera en particulier que « cette politique implique la légitimité politique des acteurs » et qu’elle « ne peut pas être seulement une politique pédagogique, mais aussi participer d’une politique sociale et urbaine globale »
LES REFLEXIONS EUROPEENNES
Quelques interventions marquantes concernant autant les difficultés que les solutions recherchées chez nos voisins apporteront au débat « de l’oxygène » selon le mot d’une intervenante de la salle…
Par exemple, S Mc Nally, de la London School of Economics, constate que pour la Grande -Bretagne à l’instar de la France « la reproduction sociale se cristallise » : il y a d’abord eu remontée de l’éducation après 16 ans, puis ralentissement…
Depuis quelques années cependant le gouvernement travailliste, outre une augmentation des fonds, a tenté des politiques innovantes dont l’allocation pour continuer l’école après 16 ans, l’heure de lecture qui concerne tous les jours tous les enfants de 5 Ã 16 ans – avec des premiers résultats intéressants- et enfin les projets excellence in cities, proches des Zep, qui offrent plus de moyens aux écoles en milieux défavorisés : un premier impact positif a pu être constaté dans la réussite aux examens… Est maintenue enfin ,une politique initiée par les conservateurs la compétition entre les écoles, « avec le négatif de la ségrégation, mais le positif d’une plus grande transparence » : ici aussi le gain semble réel, en tout cas, pour ce qui est de « la qualité de l’enseignement ».
Au sud, en Italie, les questionnements essentiels recoupent largement ceux du séminaire comment maintenir la qualité du système éducatif, comment éviter l’échec scolaire que la massification a engendré ?
A Ranieri, secrétaire national des Démocrates de gauche rappellera que des initiatives intéressantes ont été prises par le gouvernement de centre-gauche des années 1990et par exemple des politiques visant l’extension de l’école maternelle – plus utilisée au nord qu ˜au sud-, la mise en place d’un cycle unique primaire-collège, le passage de la scolarité obligatoire à 15 puis à 16 ans…
Avec l’abandon de ce dernier acquis -puisqu’il a introduit une orientation dès 13 ans et demi,le gouvernement Berlusconi fait dans l’ensemble une place plus grande au choix des familles : « la personnalisation a son intérêt, y compris pour nous, mais la droite s’appuie d’abord sur les conditions socio-culturelles des familles »
L’autre point d’achoppement est celui de l’école à temps plein : cohabitent, en effet deux systèmes, l’école le matin et l’école toute la journée ; « cette dernière avait été crée pour les enfants du sud de l’Italie dans les années 1970 et n’a pas trop mal marché » Ce modèle fait l’objet aujourd’hui d’un dénigrement par les pouvoirs publics :il est pourtant populaire car il a permis à de nombreux parents de se diplômer dans les années 1980…
C’est en tant qu’acteur de terrain que le maire de Sarcelles, F Pupponi ouvrira la troisième table-ronde PISTES POUR UNE EGALITE REELLE A L’ECOLE en insistant, pour ce qui est de l’hexagone, sur le caractère négatif de la politique actuelle en direction des associations et des collectivités locales :l’effet en est un affaiblissement du lien social à l’inverse de ce qui est recherché par nombre de villes…
Les pistes proposées par la suite – et que plusieurs intervenants pensent comme des voies d’avenir- donneront lieu à quelques riches contributions.
F Dubet, revenant sur le fait que « les inégalités sociales traversent l’école en fonction des ressources culturelles et des ressources stratégiques des parents », ne mâchera pas ses mots en rappelant à quel point « l’arbitre n’est jamais neutre, mais toujours favorable aux favorisés ». Partant du constat que « l’école fonctionne comme un marché », le sociologue insiste sur le fait qu « il faut informer davantage », sinon deux types de « privilèges « continueront à s’opposer, « celui des classe moyennes qui ont accès au marché noir scolaire et celui des pauvres ,obligés d’être républicains »…
La visée récurrente d’ « égalité des chances » lui semble pourtant »la seule manière de produire des inégalités justes dans une société démocratique »- car « s’il ne faut pas être dupe de ce modèle,il faut en même temps y croire, puisqu’il n’est pas épuisé »
Il conclura sur l’idée de définir « un SMIG de connaissances »,idée qui avait déjà été avancée par M Duru-Bellat sous forme de « minimum garanti », l’enquête européenne PISA ayant clairement montré que « les pays qui ont pensé un tronc commun ont un bon niveau moyen »…
Pour E Maurin, responsable du groupe de réflexion signalé plus haut, il faut clairement se situer à partir des »inégalités de contexte » puisque « la ségrégation spatiale et ses effets est très forte en France ». L’objectif n°1 lui paraît donc, pour désamorcer les enjeux associés à la compétition scolaire, d’instaurer réellement « un collège pour tous » en tant que lieu où se constituent les processus essentiels de construction « d’ une culture commune ». Il faudra aussi redéfinir la politique Zep , car il y a des Zep qui ont vu de nettes améliorations des performances scolaires,du fait de la qualité du travail pédagogique,de la permanence des équipes,d’une insertion améliorée de l’école dans l’environnement social…
Et dans tous les cas, le capital humain doit être perçu comme un facteur d’avenir décisif, avec un effet majeur du côté de l’enseignement supérieur…
Complémentairement,les travaux récents du jeune économiste Thomas Piketty sur la réduction de la taille des classes en milieu défavorisé l’amènent par exemple à la conviction qu’il est possible d’abaisser de 40% l’inégalité de réussite scolaire dans le primaire :il faudra dans ce cas prévoir des classes de dix-huit élèves en Zep contre une moyenne de vingt-deux actuellement…..
Anticipant sur les conclusions de la journée, C Valter, représentante officielle de la Commission Education du Parti socialiste, approuvant plusieurs propositions avancées, soulignera en particulier la nécessité « d’investir le temps péri-scolaire car, c’est pendant ce temps là que les inégalités pèsent le plus ».A « une globalisation éducative » qui commence à se préciser,devra aussi faire écho une approche du côté de « la formation tout au long de la vie » afin que « l’éducation soit le fait de toute la société »…
« CHEMINS DU POSSIBLE » ET PERSPECTIVES…
Les « quelques cadres » que formulera en conclusion D Strauss-Kahn impliquent,de son point de vue, que l’on cherche à « changer de paradigme » : il faudra à l’avenir « attaquer le mal à la racine » en passant notamment », de la discrimination positive à la recherche de l’égalité réelle-par opposition à légalité formelle- si on veut promouvoir une société moins élitiste et moins cloisonnée ».
L’action publique- et « l’école doit redevenir la priorité de l’action publique » – se doit donc de chercher les leviers sur lesquels on peut agir ,car pour nous « enfants de Jules Ferry qui ne pourraient pas oublier Bourdieu » , il y a un « espace politique pour l’action. » Et demain « gagner la bataille de la justice ,c’est aussi gagner la bataille de l’efficacité » L’allusion à « la stratégie de Lisbonne « est alors venue naturellement,qui impliquait « l’idée centrale d’une économie de la connaissance ».
Souhaitant en finir avec »l’incroyable gaspillage collectif correspondant à la deuxième explosion scolaire ».
L’orateur retrouvera les accents d’un célèbre rapport sur l’éducation aux Etats -Unis A Nation at Risk,qui voilà trente ans stigmatisait une dérive matlthusienne et élitaire du système éducatif et recommandait de travailler davantage la pâte sociale afin à la fois d’élever le niveau global de formation et de dégager de nouvelles élites ..
Il retiendra trois axes d’initiative essentiels :
1- Une approche territoriale mieux ciblée croisée à une concentration réelle des moyens – retenant l’idée d’une détermination différenciée de la taille des classes …
2- Puisqu’il est établi qu ‘il faut agir très tôt pour développer « la capacité Ã apprendre »,mettre en perspective la création « d’un service public de la petite enfance » pensé dans une démarche transversale comme dans les pays scandinaves..
3- Il s’agira enfin de se donner les moyens d’un véritable rattrapage-en regard par exemple de ce niveau d’offre éducative aux Etats-Unis- en ce qui concerne l’enseignement supérieur pour lequel: « un très gros effort financier est à faire ».
La mise en œuvre de ces priorités implique trois conditions de succès : »il faudra réformer le système avec les enseignants, il faudra faire preuve d’inventivité budgétaire, il faudra situer l’action dans un plan de lutte général contre les inégalités… »
Ces propositions nourries d’avancées de la connaissance proposées depuis vingt ans par la recherche en éducation, d’apports syndicaux et d’une réflexion politique récemment rouverte sur l’école montrent donc que le débat est plus qu’amorcé pour 2007… Pour l˜instant ce séminaire d’un jour a réussi à témoigner simultanément de chemins du possible et d’ambitions éducatives nationales…